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3. À l'origine de l'idée d'élaborer une Convention européenne des droits de l'homme

et d'instituer une Cour pour en assurer son respect, se trouve le Mouvement Européen5, mouvement

non officiel fondé le 25 octobre 1948 et composé de personnalités issues de divers pays européens6.

La section juridique internationale du Mouvement Européen, sous la présidence du professeur P.-H. Teitgen, et avec pour rapporteurs joints, le professeur F. Dehousse et Sir D. Maxwell-Fyfe, avait produit un projet de Convention européenne des droits de l'homme et un projet de statut pour la Cour européenne des droits de l'homme, soumis au Comité des Ministres du Conseil de l'Europe le 12 juillet 19497.

Ce projet visait à reproduire à l'échelon européen la Déclaration universelle des droits de l'homme, en l'assortissant d'un juge chargé de veiller à son respect pour lui garantir une pleine effectivité. La reproduction n'était cependant que partielle dans la mesure où il avait été décidé de n'y inclure que des droits civils et politiques. En effet « dans le contexte de la guerre froide

4

J. MORANGE, « Droits civils et politiques », in D. ALLAND, S. RIALS, Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003, p. 536.

5 Le Mouvement Européen affirma ainsi en mai 1948 à La Haye lors du « Congrès de l'Europe » : « Nous voulons une

Charte des droits de l'homme, garantissant les libertés de pensée, de réunion et d'expression ainsi que le libre

exercice d'une opposition politique ; nous voulons une Cour de Justice capable d'appliquer les sanctions nécessaires pour que soit respectée la Charte », Recueil des travaux préparatoires de la Convention européenne des

droits de l'homme, Conseil de l'Europe,  XXII.

6

Parmi eux, Sandys (premier Président), Blum, Churchill, de Gasperi et Spaak (Présidents d'honneur).

naissante et au sortir de l'affrontement avec le totalitarisme nazi, la Convention – tout comme l’organisation lui ayant servi de cadre – ont été conçues avant tout comme des instruments de

préservation des valeurs de la démocratie libérale, au moment où était instaurée, dans une autre

partie de l'Europe, une toute autre conception des droits et libertés »8.

4.  Teitgen, considéré comme « l'acteur clé français de la rédaction » de la

Convention9, dans une intervention du 19 août 1949 devant l'Assemblée consultative du Conseil de

l'Europe, identifiait ainsi trois menaces pesant sur les libertés et contre lesquelles il lui semblait nécessaire de se prémunir : tout d'abord la « tentation de la raison d'État » comme « tentation

permanente, et quelle que soit la forme de l'État fut-il démocratique » ; ensuite les risques d'anéantissement de la démocratie que ce soit en raison des traces laissées par l'hitlérisme et le fascisme dans les opinions publiques européennes, que du fait du développement d'un « certain

anticommunisme qui prétend combattre le communisme non pas avec les moyens de la démocratie

mais avec ceux de la dictature » ; et enfin les « conditions économiques et sociales »10.

Les deux premières menaces imposaient naturellement la nécessité de garantir de manière effective les droits civils et politiques, comme un retour aux fondamentaux du libéralisme politique, instruments de limitation de l'État et de garantie de la démocratie. Cependant, la garantie des droits économiques et sociaux, qui aurait constitué la meilleure défense contre la troisième menace, fut considérée comme plus délicate et non prioritaire.

5. Elle était plus délicate car elle aurait sans doute nécessité de longs débats avant

que les États se mettent d'accord quant à la formulation des droits économiques et sociaux. Or l'objectif était d'adopter un texte le plus rapidement possible. Dans un contexte de début de guerre froide, il s'agissait de se munir au plus vite d'une Convention capable de constituer un rempart contre l'avancée du communisme en Europe. Un instrument incluant à la fois des libertés et des

8

M. LEVINET, « Les présupposés idéologiques de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », in Les 60 ans de la Convention européenne des droits de l’homme (9 avril 2010), Les Petites Affiches, n° 254, 22 décembre 2010, p. 9.

9 M. R. MADSEN, La genèse de l'Europe des droits de l'homme, Enjeux juridiques et stratégies d'État (France,

Grande Bretagne et pays scandinaves, 1945-1970), Presses universitaires de Strasbourg, coll. « sociologie politique européenne », 2010, p. 114.

10

Car elles empêchent une partie de la population de « bénéficier personnellement dans leur vie quotidienne » de la liberté, et constituent en outre un terreau favorable à l'implantation du communisme qui propose l'égalité et la justice sociale aux dépens de la liberté présentée alors comme mère de tous les malheurs, « parce qu'elle implique le

libéralisme, la dure concurrence et l'écrasement, quelquefois, du faible par le fort » (Intervention de       "   #%  & (  )     % #      )  *+%,&  -    Recueil des travaux

droits créances, c'est-à-dire, « permettant d'allier inséparablement la conquête de la justice et la

possession de la liberté » selon les mots de Teitgen, aurait considérablement ralenti le projet du fait qu'il aurait exigé « des années de compréhension mutuelle, d'études et d'expériences

collectives pour pouvoir tenter d'établir, avec quelques chances de succès au bout de plusieurs

années, cette définition générale et totale de toutes les libertés et de tous les droits qui seraient

donnés par l'Europe aux Européens »11.

6. La garantie des droits économiques et sociaux était en outre non prioritaire. Les

gouvernements au pouvoir n'étaient pas tous défavorables à la reconnaissance de ce type de droits, mais ne voulaient pas l'envisager dans l’immédiat. Le continent était dévasté, les États ruinés et désorganisés. L'urgence était d'instaurer un juge européen garant de la démocratie afin de voir garantis les droits « liberté » ou droits civils et politiques. Le 5 septembre 1949, P.-H. Teitgen, avait présenté un rapport au nom de la Commission des questions juridiques et administratives devant l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe, dans lequel était recommandée l'instauration d'une garantie collective des droits et établie une liste des droits à intégrer dans la Convention. Il expliquait de la manière suivante l'opportunité d'exclure les droits économiques et sociaux : « certes

les libertés " professionnelles " et les droits "sociaux" d'une valeur capitale, devront eux aussi être,

dans l'avenir, définis et protégés ; mais qui ne comprendra qu’il convient de commencer par le

commencement, de garantir dans l’Union européenne, la démocratie politique, puis de coordonner

nos économies avant d’entreprendre la généralisation de la démocratie sociale ». Ainsi, selon ses

mots, il fallait garantir prioritairement « ces droits et libertés » qui « constituent le dénominateur

commun de nos institutions politiques, la première conquête de la démocratie mais aussi la

condition de son fonctionnement »12. En ce sens, selon le Professeur E. Decaux, le choix s'est opéré

« sur une base empirique plus qu'idéologique »13.

7. Pour certains représentants, et en particulier pour le britannique D. Maxwell-Fyfe,

les arguments avancés pour justifier la non inclusion des droits économiques et sociaux dans la

11

Intervention de    " #%& () % #   )*+%,&-   

Recueil des travaux préparatoires de la Convention européenne des droits de l'homme, op. cit., vol. 1, p. 45.

12

Intervention de         %,   "  . / #%  & (  )     % #      )  *+%,& -   Recueil des travaux préparatoires de la Convention européenne des droits de l'homme, op. cit., vol. 1, p. 219.

13 E. DECAUX, « La Charte internationale des droits de l'homme, cohérence et complémentarité ? », in COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME (éd.), La Déclaration universelle

des droits de l'homme, 1948-2008, Réalité d'un idéal commun ? Les droits économiques, sociaux et culturels en

Convention étaient tout autres. Estimant que les « droits ou libertés négatifs » constituaient « dans

tout système législatif (…) un élément plus fondamental même que les droits positifs », il défendait que les droits économiques et sociaux étaient « trop difficiles à appliquer » à la différence des droits civils et politiques dont l'expérience notamment américaine avait démontré l'absence de difficulté

d'interprétation et d'application14. Ces arguments avaient été développés dans son rapport devant

l'Assemblée Consultative, lorsque s'était posée la question d'inclure dans la Convention des dispositions relatives à la propriété et à l'éducation. Il avait soulevé trois arguments : « le premier a

trait à la difficulté, (…), d'interprétation et d'application judiciaire de ces droits. En second lieu, on

a fait remarquer qu'en général, même à l'intérieur d'un État les droits économiques et sociaux ne

sont pas définis dans la Constitution sous forme qui permette des sanctions juridiques. Troisième

difficulté, plus générale : lorsqu'on commence à définir ces droits (…) sociaux et économiques, il

est très difficile de savoir où s'arrêter et il est donc prudent de ne pas aborder ce domaine »15.

L'argumentaire britannique était cohérent avec celui avancé plus tard au niveau international pour démontrer la complexité générée par la reconnaissances d'obligations positives et d'obtenir la conclusion de deux Pactes distincts, l'un sur les droits civils et politiques, l'autre sur les droits économiques, sociaux et culturels. La nature positive de ces derniers droits impliquerait la nécessité de les définir de manière extrêmement détaillée, chose impossible dans des instruments internationaux de ce type. Elle rendrait en outre impossible toute sanction juridique, en particulier tout contrôle judiciaire. Si ces deux droits précités, droit à l'éducation et droit à la protection de la propriété n'ont finalement pas été garantis dans la Convention, leur adoption, bien que se heurtant à

quelques difficultés16, n'a été que repoussée, et ils ont été consacrés au sein du premier protocole

additionnel à la Convention signé le 20 mars 1952. En revanche, les autres droits économiques et sociaux n'ont pas été intégrés à la Convention de Rome de 1950 mais « relégués » dans la Charte sociale européenne adoptée en 1961. En outre, un Comité et non une Cour, a été chargé d'en assurer le contrôle17. Il est depuis longtemps question que soit adopté un Protocole additionnel à la

14 Intervention de 0  +1234543      "   #%  & (  )     % #      )  *+%,& -   Recueil des travaux préparatoires de la Convention européenne des droits de l'homme, op. cit., vol. 1, p. 117-119.

15 Cité par M. BOSSUYT, « La distinction entre les droits civils et politiques et les droits économiques sociaux et culturels », RDH, 1975, p. 786.

16 Ibid., p. 786.

17 La Charte fut complétée par le Protocole additionnel du 5 mai 1988, le Protocole portant amendement à la Charte prévoyant un système de réclamations collectives du 9 novembre 1995, et par la Charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996. Sur le système de la Charte Sociale européenne cf. F. SUDRE, « Le protocole additionnel à la Charte

Convention EDH pour que les droits économiques et sociaux deviennent justiciables devant la Cour

de Strasbourg, mais en l'absence de réelle volonté des États, le projet n'a toujours pas abouti18.

8. La Convention EDH garantit donc des droit civils et politiques, initialement définis comme des droit négatifs. Or, la jurisprudence de la Commission et de la Cour EDH, en venant affirmer que ces droits peuvent également générer des obligations positives, a remis en cause cette définition traditionnelle.

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