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Radicalisation sociale et mobilisation religieuse : l’institution catholique reprend la lutte

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 105-108)

cité, p 126 SAR, SORPE, ULTAB

I.2.6 Fin de la période civile : la déposition de Goulart

2.2 La question politique des conflits agraires : l’institutionnalisation d’un marché à partir du latifundium réveille l’institution catholique

2.2.1 Radicalisation sociale et mobilisation religieuse : l’institution catholique reprend la lutte

L’Église catholique étouffait les paysans par la peur idéologique. Mais la répression militaire fait renaître une Église qui s’identifie aux pauvres. Le 11 avril 1964, dans une tentative de diminuer le champ d’action de Mgr Helder Camara, l’archevêché de Rio de Janeiro où il était affecté le transfère à Olinda, au Pernambouc, avec l’objectif de le faire taire. D’après Mainwaring, cela a eu un effet contraire, car cet acte l’a doté d’une plus grande autonomie. Tout d’abord, il refuse de signer un document en appui aux militaires et les avise du fait qu’il est en désaccord avec eux. Le conflit entre l’Église du Nordeste et l’armée s’amorça en 1966 avec la publication par les militaires d’une circulaire accusant l’évêque d’être démagogue et communiste. Celle-ci répondait au « manifeste » des évêques du Nordeste qui soutenait l’Action catholique ouvrière en mettant l’accent sur la situation socio-économique du pays.

Pour Mainwaring, la JOC ainsi que l’Action catholique étaient organisées et coordonnées par les évêques, mais n’étaient pas préparées à faire face à la répression militaire.

« On n’imaginait pas qu’on allait être arrêté parce qu’on agissait comme demandait l’Église et personne allait toucher l’Église (…), on était naïf et on croyait que tout était correct. »

En 1968, Helder Camara prononça une allocution devant les paysans du Pernambouc, dénonçant sévèrement les injustices sociales, l’assassinat de travailleurs ruraux et l’impunité des coupables. H. Camara considère la classe aisée comme toute-puissante car elle contrôle la politique, la police, le juge et les jurés. Cette affirmation a beaucoup dérangé les militaires, mais ils savaient que cela n’était pas un mensonge.

De nombreuses actions furent menées contre l’archevêque pour le décourager. Il reçut des menaces de mort de plus en plus fréquentes – anonymes, même si ses ennemis étaient bien connus. Pour l’effrayer, le CCC (Commando de chasse aux communistes) du Pernambouc commit un crime barbare contre un prêtre de son diocèse en mai 1969. Aucun journal ne voulut s’y intéresser mais, bien que la presse brésilienne n’ait rien diffusé à ce propos, l’archevêque reçut de nombreuses manifestations de solidarité venant de tout le pays et de l’étranger. Selon Cirano, ce crime n’a jamais été élucidé car des pièces à conviction ont disparu du dossier.

Les couvents des dominicains furent envahis à São Paulo et dans l’État du Minas Gerais car, selon la police politique, les religieux étaient favorables à la lutte armée, fréquentaient les communistes et débattaient sur des thèmes marxistes ; de plus, le frère Betto avait été reconnu coupable d’aider les persécutés politiques à fuir vers l’Uruguay et l’Europe, en agissant comme passeur clandestin. Le dominicain journaliste frère Betto révèle dans son livre Batismo de sangue (Baptême de sang) que les dominicains étaient en contact avec le fondateur de l’ALN

(Alliance libératrice nationale) , Carlos Marighella. Leurs rencontres se tenaient à São Paulo par l’intermédiaire des frères dominicains et de la librairie où travaillaient les frères de l’ordre de saint Dominique. En 1969, douze prêtres dominicains soupçonnés d’avoir aidé les révolutionnaires ont été arrêtés par l’équipe du commissaire Sérgio Paranhos Fleury.

Encadré n° 2.6 : Marighella : du communisme au radicalisme

Carlos Marighella (1911-1969) s’inscrivit très tôt au Parti communiste du Brésil (PCB). À l’époque de l’État nouveau (Estado novo) – la nouvelle dictature imposée par le président Vargas en 1937 –, le PCB devint clandestin et fut pourchassé par la police politique. Lors de la

manifestation du 1er mai 1936, Marighella fut arrêté et torturé pendant 23 jours, puis resta un an emprisonné, selon le témoignage de frère Betto. Arrêté de nouveau en 1939, on lui brûla la plante des pieds au fer à souder et il fut condamné à une peine de huit ans qu’il partagea entre les prisons de Fernando de Noronha et d’Ilha Grande où il se consacra à l’éducation culturelle et politique de ses compagnons d’infortune. À sa sortie, quelques temps avant de finir de purger sa peine, le Parti communiste reconquit la légalité et il fut élu député fédéral, mais son mandat fut de courte durée puisque, deux ans plus tard, en 1947, le président Dutra interdit de nouveau le PCB, renvoyant ainsi ses membres à la clandestinité. En 1953 et 1954, le révolutionnaire voyagea en Union soviétique puis en Chine. À son retour, il dénonça le retard du Brésil qu’il trouvait semi-colonial, presque féodal, avec 70 000 grands propriétaires monopolisant un peu plus de 62 % des terres. Marighella était persuadé qu’il fallait agir immédiatement et de manière radicale contre le pouvoir.

Le dirigeant de l’Alliance de libération nationale fut tué par balle le 4 novembre 1969. Selon la version des militaires, cette mort survint lors d’un échange de tirs entre le révolutionnaire, ses gardes du corps et la police de São Paulo. Selon celle du journaliste Percival de Souza, confirmée par frère Betto, les militaires avaient emprisonné des frères dominicains et les avaient soumis à la torture afin qu’ils avouent leur appartenance à l’ALN ou, pour le moins, leur complicité. Grâce à ces révélations contraintes, les policiers avaient préparé une embuscade afin de piéger celui qu’ils présentaient comme hautement dangereux. En fin de compte, l’homme le plus recherché du pays serait mort sans avoir pu toucher son arme, persuadé que personne ne le suivait ce soir-là. Cet événement dévoila par ailleurs un sordide règlement de comptes entre les diverses forces de police en compétition pour être les premières à revendiquer la capture de Marighella à la presse et gagner ainsi une promotion au sein de l’appareil judiciaire.

En effet, la police civile du DOPS (Département d’opérations politiques et sociales) avait libre accès aux informations des services secrets de l’armée au point de pouvoir entrer dans les dépendances du DOI-CODI pour réclamer tel ou tel prisonnier, alors que l’armée ne bénéficiait

pas, en contrepartie, de cette même liberté dans les quartiers du DOPS. Malgré leurs différends, les deux forces de police arrivèrent à s’entendre pour éliminer les guérilleros.

L’après Vatican II était une époque d’ouverture pour les religieux, qui pouvaient vivre insérés dans une communauté laïque, être salariés à l’exemple des prêtres-ouvriers français et syndicalisés comme n’importe quel citoyen. Pour le journaliste Percival de Souza, qui a décrypté la vie du commissaire Fleury dans un livre autobiographique, il est notable que les religieux de saint Dominique ont soutenu par leur logistique la formation de l’ALN et sont intervenus dans les discussions du Parti communiste du Brésil. Selon João Antonio Caldas Valença, un ancien dominicain, Louis Althusser, Camilo Torres, Ernesto Che Guevara et Karl Marx faisaient partie des auteurs les plus lus par les groupes dirigés par les dominicains. Les militants de l’ALN ont reçu un entraînement à Cuba et Fidel Castro était leur maître. Si les militants religieux étaient persécutés pour leurs débats autour des lectures marxistes et léninistes, peu étaient ceux qui en connaissaient les auteurs au sein de la police et de l’armée. Toutes ces discussions n’auraient toutefois pas pu aboutir à la création d’un mouvement légal : d’une part, les généraux avaient rétabli la peine de mort par crainte du « terrorisme » du VPR (Avant-garde populaire révolutionnaire) ; d’autre part, la réorganisation d’un parti politique ou d’une association était passible d’une amende et d’une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans. Un parallèle peut être fait avec la thèse de Yann Raison du Cleuziou, qui évoque la subversion dominicaine qui s’est déclenchée à partir des jeunes religieux étudiants en 1968 en France. Y. R. du Cleuziou a bien expliqué l’action et l’engagement de ces jeunes dominicains pendant que la hiérarchie de l’ordre dominicain essayait de les retenir. À partir de la persécution contre les membres du clergé progressiste, l’institution catholique ouvre la page des droits de l’homme. Ainsi, comme au Brésil, les dominicains français, d’après Y. R. du Cleuziou, se sont emparés du renouveau annoncé par Vatican II pour justifier la radicalisation envers les mouvements sociaux.

2.2.2 Les droits de l’homme dans l’Église militante : confusion

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