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L’histoire politique du Statut de la terre : l’Église mise sous silence

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 94-97)

cité, p 126 SAR, SORPE, ULTAB

I.2.6 Fin de la période civile : la déposition de Goulart

2.1 Les prémisses du putsch militaire brésilien : début du radicalisme catholique

2.1.2 L’histoire politique du Statut de la terre : l’Église mise sous silence

Les militaires et l’élite dominante prétendaient contrôler la question agraire par la violence, comme l’explique Mançano Fernandes, mais l’implantation de leur modèle de développement économique dans les campagnes a placé au premier plan l’agriculture capitaliste, au détriment de l’agriculture paysanne. Pour le sociologue rural José de Souza Martins, le coup d’État est le symbole de la continuité du problème foncier et que rien ne pouvait changer. J. S. Martins assure que les militaires cautionnaient l’accumulation foncière. B. M. Fernandes et J. S. Martins tiennent le même discours critique. Devant les impasses politiques, l’État brésilien crée un appareil institutionnel pour administrer la question foncière. Le Statut de la terre facilite les discussions à propos de la question foncière, car il est plus tolérable politiquement de traiter la question de la terre avec le Statut de la terre, car dorénavant tout se trouve dans les mains de la justice. C’est-à-dire que c’est plus facile de traiter le problème dans la sphère judiciaire. C’est précisément ce que désigne J. S. Martins par « politique du retard ». Alors que la campagne politique et le mandat du président Juscelino Kubitschek mettaient l’accent sur le retard technologique, les paysans étaient encore négligés, ce qui a déclenché une vague de violence à cause de la terre. Pour Jacob Gorender, le problème agraire brésilien ne se développe pas à cause de la concentration monopoliste de la terre. B. M. Fernandes partage cette opinion : « La politique qui privilégie le capital monopoliste en différents secteurs de l’agriculture augmente la concentration de terre. »

Si le problème social de grande importance est la terre, pourquoi la classe politique ne prend-elle pas en charge cette question ? D’après Ricardo Abramoway, le problème foncier a toujours existé, mais l’agitation qui entoure la question foncière ne permet pas que le processus agraire avance. B. M. Fernandes décrit une course un peu déséquilibrée pour la terre, comme abordé au premier chapitre, ce qui expliquerait la démobilisation de l’État et le manque d’organisation. Le premier président militaire, le général Humberto Castelo Branco, disait qu’

« Il fallait exécuter les réformes (de base) pour éviter la démagogie et le jeu politique autour d’elles. Par exemple, la réforme agraire deviendrait possible avec le Statut de la terre qui allait définir l’accès à la propriété ».

Nous ne pouvons pas dire si ces lois deviennent légitimes. Le Statut de la terre a fait taire les paysans dans l’attente de la mise en œuvre de la législation foncière.

La réforme agraire s’est transformée en l’un des principaux sujets politiques au début des années 1960 grâce à l’organisation des paysans. Pour Leonilde Servolo de Medeiros, les conflits prenaient des proportions effrayantes et la mobilisation paysanne a contribué à rendre visible cette classe sociale plutôt exclue. Pour cette raison, les militaires ont créé le Statut de la terre. Ce Statut de la terre inscrit dans le cadre de la réforme agraire un ensemble de mesures visant à promouvoir une distribution équitable de la terre. Cependant, s’il assure le droit à l’accès à la terre à tous, il ne considère pas les grandes extensions de terre du latifundium comme des possessions démesurées. Dans le même temps, le latifundium est considéré par le sociologue rural José de Souza Martins et par Caio Prado Junior comme faisant partie du passé. Ce vaste espace foncier de jadis comprenait la fazenda, les maisons, le moulin, la chapelle et même l’école. Lorsque le grand propriétaire a vendu ses biens, devenu entrepreneur ou commerçant, les habitants de la fazenda ont dû partir. Martins évoque les représentations manichéistes des paysans, pour lesquels le grand propriétaire représentait le « méchant ». Dès lors, la revendication d’une réforme agraire de la part des paysans mobilisés comprend celle d’une punition des grands propriétaires et la confiscation de leurs terres - ce que le Statut de la terre est loin de garantir. Tout d’abord, ce dernier ne vise pas la mise en œuvre d’une quelconque réforme agraire. Il joue un rôle de « diviseur des eaux » en instituant la différence

entre plusieurs conceptions de la propriété : minifundium, entreprise rurale, latifundium pour l’exploration et latifundium par dimension. C’est un ensemble de règles juridiques qui définit l’espace rural comme un bien social, tout en usant de termes techniques éloignés de la compréhension des paysans.

« Cette loi régule les droits et les obligations qui concernent le bien rural ayant comme but l’exécution de la réforme agraire et la promotion d’une politique agricole. »

Cette loi réunit la législation sur les activités agraires du pays, proposant même une sorte de facilitation de prêts, et définit les droits concernant les obligations sociales d’un espace foncier.

Le Statut de la terre, explique Leonilde Servolo de Medeiros, a été considéré par les spécialistes juridiques comme la loi la plus avancée au monde à l’époque. Mais pour Souza Martins, le processus foncier brésilien est lié à un retard pris de longue date. Au Brésil, un paysan qui travaille la terre sans être son propriétaire est aujourd’hui reconnu comme un occupant, ou posseiro dans le langage commun. Le sociologue José de Souza Martins explique que le posseiro est un homme qui habite chez un grand propriétaire et bénéficie du droit d’utiliser une partie de la terre pour sa plantation. En échange de quoi, il a l’obligation de lui rendre service, soit comme travailleur agricole, soit comme homme de main. Il ne doit pas être confondu avec un locataire et encore moins avec un associé. Soumis à une nouvelle forme d’esclavage, les posseiros se trouvent, en grande majorité, concentrés dans les États du nord et du centre-ouest jusqu’à aujourd’hui.

D’après l’un des évêques que nous avons pu rencontrer, Mgr. Pedro Casaldaliga, il ne fait aucun doute que « le problème de la terre (…) remonte à 500 ans ».

Il semble paradoxal que ce Statut de la terre véhicule une conception de la terre comme ayant une fonction sociale – autrement dit, l’idée que la réforme agraire serait mise en œuvre pour réaliser une justice sociale – quand, dans le même temps, tout se passe comme si le régime cherchait à démobiliser les paysans, asphyxier les mouvements pour en reprendre le contrôle. On pense notamment aux Ligues paysannes contraintes à la clandestinité et aux mouvements

sociaux interdits d’organisation et condamnés à disparaître.

Certes, cette loi prend en charge le sujet foncier, mais le retard que les « sans terre » espèrent voir combler s’étend de décennies en décennies. Stedile suggère une explication au refus des élites brésiliennes de réaliser une réforme agraire : les colonisations ont implanté un capitalisme dépendant fondé sur l’agriculture d’exportation qui s’appuie sur la grande propriété. Or un capitalisme dépendant, colonial, n’a pas besoin de partager la terre pour avoir une croissance économique. Les militaires ont promu la modernisation technologique des grandes propriétés et accentué l’importance du latifundium. José de Souza Martins présente cette modernisation comme le symbole du capitalisme. Dans cette optique, le Statut de la terre aurait permis aux élites d’atteindre leur objectif, mais il s’est révélé un échec pour les paysans.

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 94-97)

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