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Le problème foncier et ses enjeux politiques : la sociologie historique de la condition paysanne

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 53-56)

Les institutions catholiques et civiles au Brésil

I.2.1 Le problème foncier et ses enjeux politiques : la sociologie historique de la condition paysanne

L’Église catholique utilise aussi l’influence de l’Union des travailleurs agricoles du Brésil (ULTAB), fondée en 1954, pour mieux toucher les paysans. Les paysans qui travaillaient dans les moulins furent à l’origine de toutes les mobilisations. Le système d’organisation agraire de la région Nord et du Nordeste du Brésil est conçu en fonction des grandes étendues de plantations de canne à sucre. En raison de la difficulté à introduire sur ces terres des produits européens, les colonisateurs continuèrent à exploiter les cultures préexistantes. Après l’abolition de l’esclavage, les travailleurs n’obtinrent guère plus de droits et leur masse fut remplacée par la vague d’immigration européenne. La production de cette monoculture était destinée à l’exportation. Chaque moulin rassemblait un groupe de familles régentées par un régime paternaliste. Le système du métayage était la règle : le propriétaire louait un morceau de ses terres aux cultivateurs en échange de la moitié du produit de leur récolte. Le propriétaire était bien le chef d’une société patriarcale puisqu’il commandait, accumulait les fonctions d’entrepreneur, de médiateur et d’acheteur, et qu’il représentait dialectiquement la force de travail et le capital investi, sans parler de son autoritarisme autocratique, parfois même despotique. Cette organisation des habitations autour du moulin présentait, selon Gilberto Freyre, l’avantage d’être un système économique, social et politique fonctionnel, tout en permettant une

surveillance hors du commun. Lors des élections, le ou les patrons pensaient avoir le droit d’imposer aux habitants des plantations le candidat pour qui voter. Ils contrôlaient tout.

Avec le temps, la structure économique commença à changer, les grands propriétaires intensifièrent l’élevage et, en quête de terres supplémentaires, demandèrent à leurs peões de déménager. Ce changement de cap dans l’économie les obligea à acheter toutes les petites parcelles et à expulser les résistants, tuant même les plus rebelles. La fazenda restait cependant l’unité de production de référence du système économique et s’étendait de plus en plus au fur et à mesure que le sol devenait plus rocailleux. Plus tard, les fazendas les plus importantes agrandirent leurs dépendances et leur espace de plantation en englobant les maisons et les masures, même parfois les chapelles.

Les plus puissants groupes économiques construisirent leurs propres usines de fabrication de sucre et d’alcool. Ce fut encore une nouvelle période dans la vie des paysans, mais, cette fois, malgré le retard accumulé par rapport à l’Europe, les usines ouvrirent le marché du travail en donnant certaines assurances qui n’existaient pas dans la monoculture. Malgré ce relatif progrès, les installations implantées furent vite dépassées, et leur entretien nécessitait des dépenses trop importantes pour un pays dépendant comme le Brésil. À cette époque, pour Lacerda de Melo, le seul modèle de réforme agraire était le moulin central parce qu’il fonctionnait comme un centre de convergence, une structure foncière traditionnelle qui convenait à la majorité. Personne ne se souciait du retard technologique et des déficiences.

Encadré n° 1.1 : Deux présidents catholiques: l’un populiste, l’autre modernisateur

Le gouvernement Vargas n’a jamais essayé d’étendre au monde rural les avantages acquis par les syndicats urbains. Malgré la misère existant chez les paysans, ceux qui avaient un peu de pouvoir économique, les « colonels », n’avaient d’autre intérêt que d’acheter plus de terres jusqu’à la pleine expansion de leur domaine. Vargas créa la CLT (Consolidation des lois du travail) en ignorant complètement l’existence du secteur rural qui vivait marginalisé. La seule attention qu’il eut pour les travailleurs agricoles fut l’octroi d’un petit lopin de terre à côté de

leurs maisons afin d’y planter de quoi subsister. Ce mépris vis-à-vis du secteur agricole lui coûta très cher, comme nous le verrons par la suite. La réforme agraire ressemblait à un tunnel sans fin. Alors que son mandat allait s’achever, Vargas envoya au Congrès ses propositions pour la stabilité de l’emploi, la limitation des heures de travail, la régularisation de tous les contrats de travail incluant le droit pour les travailleurs d’être reconnus citoyens par l’octroi d’une carte de travail et de bénéficier de l’assistance sociale. L’élite, qui se sentait trahie par cette politique, s’y opposa en exerçant une forte pression contre le gouvernement. Les années Kubitschek (1955-1960) prônaient un processus de modernisation en prenant comme priorité l’industrialisation. Le PTB (Parti des travailleurs brésiliens), fondé par Vargas, se présentait alors comme le seul parti capable de représenter la classe paysanne et de la défendre. La politique de Kubitschek, en dehors de l’implantation industrielle, n’apporta malheureusement rien de plus sinon la fondation de la nouvelle capitale. Avec lui, le processus d’immigration s’accéléra ; beaucoup de familles qui avaient cru dans la marche vers l’Ouest partirent après avoir été expulsées ou après s’être retrouvées dans l’obligation de vendre ou d’abandonner leurs terres. L’expulsion des paysans dégénéra en des conflits sans contrôle. Cependant, on peut reconnaître à Kubitschek d’avoir approuvé la SUDENE dont le but était de structurer la région du Nordeste.

Servolo de Medeiros remarque cependant que le vrai problème de la question foncière n’a jamais été abordé que par de petits groupes d’intellectuels et de politiciens, et que Kubitschek, pas plus que ses prédécesseurs, n’a constitué de mouvement social concret, malgré les conflits généralisés pour la terre et le travail des ligues paysannes. Le fait est que l’arrivée des immigrants se fit avant qu’aucun logement ni aucune distribution de terres n’aient été accordés aux anciens esclaves, ce qui aboutit à une discrimination sociale entraînant les Noirs vers les ghettos des bidonvilles. S’y ajoutèrent une multitude de paysans qui n’avaient jamais vu la réforme agraire arriver jusqu’à leurs hameaux reculés.

Si Lacerda de Melo évoque une certaine volonté des producteurs d’indemniser les anciens travailleurs, d’autres acteurs, comme le journaliste Kotscho et l’évêque Casaldaliga, affirment que, au contraire, les paysans furent expulsés avec la panoplie des violences habituelles. Nous

pouvons toutefois rejoindre le journaliste Kotscho quant à l’augmentation des inégalités sociales et de la pauvreté à cause des expulsions. L’organisation des paysans se voit forcée à l’anonymat, à la démobilisation. Mais la révolution cubaine donne un souffle nouveau aux militants voulant la réforme agraire.

I.2.2 Les ligues paysannes et la formation socialiste (1955-1959) : les noces

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