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L’échec du Statut de la terre et la crise des institutions agraires

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 97-101)

cité, p 126 SAR, SORPE, ULTAB

I.2.6 Fin de la période civile : la déposition de Goulart

2.1 Les prémisses du putsch militaire brésilien : début du radicalisme catholique

2.1.3 L’échec du Statut de la terre et la crise des institutions agraires

Après l’échec du Statut de la terre, les militaires ont créé l’Institut brésilien de réforme agraire (IBRA), en 1967. Pour la région Nord, a été fondé le Groupe exécutif de travail de l’Araguaia- Tocatins (GETAT), dont la mission était d’atténuer les tensions rurales en accordant de nouvelles parcelles aux indigents. Rattaché au Conseil de sécurité nationale, sa priorité était de faire respecter l’ordre dans les régions les plus sensibles, entre paysans, acheteurs de terre et grileiros qui se multipliaient.

Encadré n° 2.3 : Le royaume des « fraudeurs » de documents

Les grileiros étaient des bandits qui pénétraient sur les terres d’autrui en prétendant qu’elles leur appartenaient. Ces personnes, munies de faux titres de propriété, expulsaient le paysan et, de surcroît, réclamaient à l’État une indemnisation pour l’occupation frauduleuse de leur présumée terre. Les grileiros étaient (ils le sont encore de nos jours) présents dans presque tous les États. Selon J. Bosco Feres, ces détournements sont en partie imputables à l’État qui n’opérait aucun contrôle sur les indemnisations qu’il concédait. Cette habitude créa un réseau d’acheteurs de terre parmi les politiques et les personnes doté d’un certain pouvoir économique. Pour les sans- terres, ces clients sont devenus une sorte de clients surnommés des papa-terres. La surface foncière représentait une moyenne de 10 000 hectares pour chaque escroquerie. Bernardo Mançano Fernandes, tout comme José de Souza Martins, parle également de la résistance (des

grileiros, fraudeurs de terres) contre les grands propriétaires, des fraudeurs de titre de la terre, d’envahisseurs, d’expulsions arbitraires.

Mançano Fernandes souligne que le premier objectif du GETAT était de profiter de la conjoncture politique de tension pour expulser les paysans de leurs terres. Ces derniers, de leur côté, se sont organisés avec l’appui de l’institution catholique, à la recherche d’un nouveau chemin de résistance.

Le pôle progressiste de l’Église catholique souhaitait le maintien du GETAT car il était en charge de recevoir les nombreuses plaintes concernant les persécutions commises par les riches propriétaires contre des paysans et des religieux. L’un des responsables de cet organisme, surnommé commandant Curio, un officiel de l’armée, avait pour tâche de repérer les religieux susceptibles de subversion et considérait comme des intrus tous les missionnaires étrangers se montrant sensibles aux questions sociales et foncières, à l’instar du prêtre italien Nicola Arpone et du Français François Jentel. Le premier fut enlevé à bord d’un hélicoptère de l’armée de l’air et le deuxième fut condamné puis expulsé du pays. Pour Kotscho, le GETAT admettait qu’il ne pouvait agir qu’en cas de corruption et contre les abus connus sur dénonciation. Mais les accusations qui parvenaient au GETAT émanaient essentiellement de la CPT et des religieux. Le GETAT jouait un double jeu, réprimait les paysans et, de temps à autre, recevaient leurs réclamations.

Même à l’époque du GETAT, les petits propriétaires ainsi que ceux qui étaient dans l’attente d’un titre de propriété, de crainte de mourir, vendaient leur lopin à un prix dérisoire ou tout simplement l’abandonnaient. L’évêque espagnol Casaldaliga officiait dans le diocèse de Conceição do Araguaia, dans l’État du Pará, entre le Mato Grosso et l’Amazonie. Cette zone connut une série de quarante-trois conflits identifiés et enregistrés dans les annales de la CNBB, dans les six mois suivants, leur nombre était passé à cinquante-cinq.

Maranhão, le téléphone sonna. Quatre tueurs à gage avaient été tués par des paysans qui attendaient un titre de propriété. Un fermier souhaitait, depuis deux ans, le départ de ces gens qui occupaient sa terre proche de Conceição do Araguaia. »

Nous pensons que le pouvoir militaire a voulu mettre un terme à la vague d’idées révolutionnaires. Cela va de soi avec la période de guerre froide et l’intervention américaine en Amérique latine. Le rôle joué par l’Église progressiste est reconnu par quelques scientifiques étrangers. Il faut noter toutefois que si le groupe progressiste minoritaire de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) a été muselé pendant un certain temps, il sort de son silence et s’implique à partir de 1968 dans la question agraire. En effet, en 1968, le président militaire Costa E. Silva crée par décret le Groupe de travail spécial (GTE), dont le but était d’élaborer une législation complémentaire pour appliquer le Statut de la terre. Les militaires facilitent l’achat des grandes extensions foncières en croyant faire une révolution dans le champ agraire. Mais, aux yeux des membres de l’Église progressiste, cela n’était pas une réforme agraire et ce latifundium détériorait la situation foncière pour ceux qui n’avaient pas les moyens de les acquérir.

Le latifundium était constitué de propriétés dont la superficie dépassait, pour chacune, mille hectares. Le GTE créa l’IBRA (Institut brésilien de la réforme agraire), puis le GERA (Groupe exécutif de la réforme agraire) et l’INCRA (Institut national de colonisation et de réforme agraire), soumis au MIRAD (ministère de la Réforme et du Développement agraire). Mais la réforme agraire continuait à n’être qu’un objet d’étude et non d’application de la répartition des terres. Certes, beaucoup de terres furent délimitées dans l’objectif de les redistribuer, mais les paysans devaient les acheter. Ceux-ci n’ayant ni argent ni crédit, ce furent les étrangers et les immigrés du Sud et du Sud-Est qui achetèrent les terres vendues par l’INCRA, l’organe gouvernemental chargé de la mise en œuvre de la réforme agraire. En 1971, ce groupe a fait quelques changements en créant le PROTERRA (Programme de redistribution des terres et de stimulation agro-industrielle), dans le Nord et le Nordeste, mais là encore, le programme ne fut jamais appliqué. D’ailleurs, le PROTERRA a été mis en place en remplaçant le PDN (Plan de développement du Nordeste). L’agriculteur José Gomes da Silva, également ingénieur agronome et directeur-président de l’Association brésilienne pour la réforme agraire (ABRA),

affirmait pourtant que le PROTERRA était un mécanisme pragmatique visant une réforme agraire réelle.

Encadré n° 2.4 : La guérilla do Araguaia : un mouvement contesté

Ce mouvement fut très violent et a occasionné l’intervention d’un grand nombre de militaires entre 1972 et 1976 (20 000 soldats) à Ximbioa et Maraba, région amazonienne. L’armée brésilienne a envoyé ses soldats pour anéantir la guérilla coordonnée par des militants communistes. Pour l’ancien commandant surnommé Chico Dolar, qui a dévoilé son passé au journal laboratoire de la faculté de journalisme Estacio de Sa, de Campo Grande, les guérilleros étaient des idéalistes. Les militants jouissaient d’une certaine popularité auprès des populations locales, paysannes et catholiques. Dans son interview, Chico Dolar évoque deux interventions de l’armée contre la guérilla. Dans la première, les soldats ont rencontré de nombreuses difficultés pour repérer les ennemis dans la forêt. En revanche, la seconde a été un succès, les soldats ayant suivi un entraînement de combat dans la jungle. Ces derniers débarquèrent au siège de l’Institut national de colonisation et de réforme agraire (INCRA) en octobre 1973. Les guérilleros étaient environ 69, dont José Genoino et José Dirceu, cofondateurs du Parti des travailleurs, capturés tous les deux. La plupart des militants appartenaient au Parti communiste du Brésil, quelques autres étaient issus du MEB et de la JUC, des mouvements catholiques. Malgré les efforts de l’armée pour s’infiltrer parmi les paysans, la population n’a pas collaboré avec les soldats, excepté lorsque l’armée a fondé le Groupe d’auto-défense (GADE) pour offrir des récompenses pour chaque information donnée. « Le processus d’installation de la guérilla do Araguaia est arrivé au même moment que le processus d’installation de la SUDAM (Surintendance pour le développement de l’Amazonie), appuyée par l’INCRA. » Les affrontements militaires se sont étendus à d’autres villages, dont celui de Mgr Pedro Casaldaliga.

Ainsi, nous voyons que le pouvoir militaire aurait peut-être facilité l’accroissement des problèmes fonciers en multipliant les institutions agraires sans pour autant avoir appliqué le Statut de la terre, pourtant le seul document juridique en vigueur. De son côté, la stratégie du Parti communiste du Brésil contre les militaires consiste à s’infiltrer dans des communautés

paysannes pour développer les guérillas. Les communistes comptaient sur la lutte armée pour prendre le pouvoir et installer une démocratie populaire à partir des campagnes. Ils ont été anéantis. Enfin, les évêques progressistes se révoltent contre des institutions foncières militaires qui provoquent plus qu’elles ne résolvent les conflits agraires.

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 97-101)

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