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Le pape et la centralisation politico-religieuse : l’efficacité de la théologie de la libération mise en doute

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 160-165)

théologie qui dérange (1972-1984)

4.3 Le pape et la centralisation politico-religieuse : l’efficacité de la théologie de la libération mise en doute

4.2.2 La théologie des opprimés 4.2.3 L’Église de la libération

4.2.4 La jonction de la théologie de la libération et le marxisme

4.3 Le pape et la centralisation politico-religieuse : l’efficacité de la théologie de la libération mise en doute

4.3.1 La centralisation de la pensée religieuse catholique

4.3.2 La théologie de la libération selon Ratzinger : l’affaire Boff 4.3.3 Quand Rome condamne la théologie de la libération 4.3.4 L’institution catholique impose ses « vérités »

4.3.5 Linstitution catholique condamne la politique cléricale de la théologie de la libération

4.3.6 La théologie de la libération est-elle morte ?

« Pour la première fois, l’Église catholique latino-américaine formulait une théologie appropriée à la réalité concrète de son action pastorale, elle sortait de l’axe définit par l’Église européenne et produisait une critique à cette conception. »

Zilda Marcia Gricoli Iokoi

« La théologie naît de la rencontre entre la foi et la rationalité culturelle d’une époque. La foi confrontée avec les sous-mondes de la misère et de l’injustice se revêt de changement sacré et

prophétique, prend un discours libérateur et cherche les pratiques de protestation et de libération. »

Leonardo Boff

L’Église catholique sud-américaine, centrale et brésilienne passe par des modifications depuis son installation. En fait, la sensation de dette culturelle, de spoliation, de conquête des âmes fondée sur l’expansion du modèle catholique ibérique a toujours existé. Au Brésil, contrairement à la Colombie, à l’Argentine, ou encore au Guatemala et au Honduras, l’Église catholique a éveillé un conflit entre la bourgeoisie libérale, celle appuyée par le renouveau charismatique, la Légion de Marie, l’Opus Dei et la Terre, famille et propriété (TFP) et les pauvres. Pour le théologien de la libération Leonardo Boff, l’Église en quête de sa libération se sent comme un « miroir brisé ». Ce qui permet une certaine politisation aux cercles catholiques, c’est la lecture sociale de l’actualité et l’engagement aux mouvements ayant liaison avec la terre. Elle finit par faire sa lecture entre riches et prolétaires. La méthode marxiste d’analyse sociale se voit reconnue par la théologie de la libération, ce qui déclenche l’anathème du Vatican.

Ce chapitre nous mène vers la compréhension d’une méthode qui était déjà discutée en Amérique latine sans pour autant avoir une définition proprement dite. Nous verrons qu’il existait déjà la théologie du développement encore insuffisante pour « libérer » le peuple de la misère et de la dépendance économique. En d’autres termes, la préoccupation théologique en direction d’une pratique était bel et bien présente et cherchera à comprendre le réel en utilisant les moyens existants, ce qui a mis l’épiscopat latino-américain devant la réalité concrète de la pauvreté. Dans les Lettres conciliaires, Camara demande à ses pairs de ne plus utiliser le mot « palace épiscopal », car qui vit dans un palace doit être traité comme un prince. La pauvreté s’est transformée dans le thème central de la théologie de la libération, parce que la majorité des citoyens du Brésil et de l’Amérique latine est pauvre et que beaucoup d’entre eux vivent en dessous du seuil de la pauvreté. La pensée marxiste se voit au milieu de la pensée chrétienne (4.1). Les théologiens de la libération s’indignent contre la spoliation politique des pauvres (4.1.1).

Le processus débutera à partir du livre Jésus Christ libérateur, de Leonardo Boff, paru en 1972, mais l’œuvre qui méritera l’attention spéciale du Vatican sera Église : charisme et pouvoir, pour

analyser les antécédents de la théologie de la libération.

L’élection du pape polonais Karol Wojtyla, en 1978, prend le chemin du conservatisme catholique, de l’imposition de son pouvoir et de ses vérités. Mais aussi parce que Jean-Paul II vient d’un pays un temps dirigé par le régime communiste. Il craignait que la théorie marxiste n’embarrasse la foi chrétienne et ne crée un schisme ; aussi interdira-t-il cette théologie.

4.1 Prologue. La pensée religieuse marxiste pour une libération sociale

L’Église catholique brésilienne a commencé ses actions pastorales à partir de la situation sociale des paysans. Nous ne sommes pas sûrs si le paradoxe catholique d’une foi engagée se redresse devant le militantisme communiste ou s’il apprend comment devenir athée dans une terre chrétienne, mais d’abord elle (l’Eglise) cherchait à les éloigner de son terrain par peur de l’idéologie communiste. Avec l’événement des évêques réunis à Medellín en 1968, il y a d’abord une option pour les pauvres, un mélange au milieu des pauvres, une identification mystique. Celui qui fait l’engagement pour les pauvres vif dans une autre réalité. Cela dit, nous pourrions peut-être comprendre que l’Église progressiste s’est rendu compte qu’elle a été toujours bourgeoise. Dans les lettres de la prison, le religieux dominicain raconte une histoire intéressante pour illustrer comment l’Église institution crée son pouvoir et s’attache au système capitaliste.

« Un moine a laissé son pays et ses biens pour aller vivre dans le désert, dans la plus stricte pauvreté. Comme il faisait froid et qu’il était malade, il a accepté les manteaux offerts par un ami. Peu à peu il s’est vu encerclé des gens qui l’adoraient à cause de son option. Ils lui ont fait des cadeaux pour remercier les prières d’intersection auprès de Dieu. Peu à peu le moine a changé ses habitudes (…) sa caverne par une tente. Il a reçu des terres dont il a utilisé pour planter ses salades et tenir ses besoins. À ceux qui doutaient de sa pauvreté il disait : “Tout cela étaient des cadeaux.” De cadeau en cadeau ses biens augmentaient. Comme la production dépassait sa consommation, il a passé à vendre l’excédent. Et pour abriter ses nombreux disciples il a construit un monastère. Celui-ci s’est transformé dans un château féodal comparable aux

nobles. La propriété produisait le meilleur vin de la région entre autres produits. Tous admiraient le château. Les rois admettaient son importance dans le plan économique, le moine fondateur était considéré un prince et a même reçu le titre de noblesse. Et pourtant, les moines faisaient le vœu de pauvreté. »

Ce religieux reste très critique par rapport à la structure de pouvoir imposée par le Vatican à l’Église catholique. Nous entendons que la pauvreté par choix religieux n’a rien à voir avec la pauvreté en soi-même. C’est l’option et l’engagement qui sont en jeu. Le théologien Clodovis Boff explique que si la finalité de la théologie de la libération est l’engagement et si elle se veut « libératrice », alors la praxis devrait être la grande médiation de cette théologie en question. Mais, étant donné la difficulté à comprendre le langage théologique, nous nous contentons avec la proposition présentée par Clodovis Boff. « En réalité, sans une pratique de transformation sociale en solidarité avec les opprimés, il est impossible de faire naître une véritable théologie de la libération. » Dans ce cas, la théologie classique apparaît en lien avec la bourgeoisie pendant que la théologie de la libération cherche sa « liaison religieuse et profane » à partir de la réalité de misère pour arriver à la libération.

La thèse soutenue par Jacques Van Nieuwenhove parle aussi d’un engagement utilisant plutôt un langage sociologique et politique pour définir la situation des opprimés. La thèse du religieux franciscain Nilo Agostini suppose que la pensée du christianisme de la libération doit aussi à l’insuffisance de la théologie classique et de la doctrine sociale pour comprendre et accompagner certaines transformations sociales. Leonardo Boff, l’un des pères de la théologie de la libération, se rend compte que sa théologie classique était distante des Indiens, des syndicalistes et du monde réel. Sa réflexion est plus au moins la même que celle des prêtres-ouvriers en France : les pauvres ne comprenaient pas les paroles de l’Église car leur monde était différent, séparé et sophistiqué.

La théologie de la captivité ou de la libération a eu le support de plusieurs auteurs venus des Églises méthodiste, presbytérienne et baptiste. Ces auteurs discutent de l’usage du marxisme dans le christianisme et du fait que la théologie se réfère au marxisme de façon utilitaire. Les religieux eux-mêmes réfléchissent quant à l’activité du marxisme et à son influence dans le monde chrétien. C’est le cas du prêtre religieux de l’ordre des Maristes, Clodovis Boff, qui a réalisé une étude sur l’usage du marxisme dans la théologie. Selon lui, la théorie de Marx

représente une pratique de l’histoire des opprimés et les interprétations qui privilégient le pauvre et l’exclu ne sont pas nombreuses. Clodovis Boff note que, pour un théologien, le marxisme n’est pas vu comme une religion, un credo, une prophétie ou une révélation. C’est un outil pour mieux faire une lecture sociale.

Tout comme l’explique Michael Löwy, la pensée de la gauche brésilienne est fortement influencée par Emmanuel Mounier, Teilhard de Chardin, Jean-Yves Calvez et Jacques Maritain, entre autres. Et que si la France n’a pas pris position contre le capitalisme, la gauche chrétienne brésilienne, oui. Michael Löwy essaye une définition pour la théologie de la libération. C’est un terrain de constrastes, de la négation du bien-être. Elle, la théologie de la libération, est le fruit des mouvements chrétiens « politisés » à la recherche de la dignité humaine. La pensée qui définit la théologie de la libération, c’est l’expression d’un vaste mouvement social qui s’est dégagé au début des années 1960. Pour Löwy, on rencontre dans le christianisme de la libération des aspects d’ « Église » plutôt que de « secte ». Et l’Église catholique cesse de fonctionner comme une institution homogène car elle se refuse à condamner la théologie de la libération. Löwy utilise tous les genres de mouvements chrétiens entrecroisés dans l’histoire politique et sociale de l’Amérique du Sud et centrale pour centrer la lutte de classes perpétrée par le christianisme de la libération ou par l’Église des pauvres. Pour Michael Löwy « le ralliement à la cause des exploités est motivé par des raisons spirituelles et morales inspirées par leur culture religieuse, la foi chrétienne et la tradition catholique ». La théologie de la libération, comme l’a bien noté Löwy, n’est pas un mouvement réductionniste mais le fruit d’une réflexion spirituelle insérée dans la misère sociale des hommes.

Cette implication d’une fraction de l’Église aux côtés des paysans entraîne une division en fractions antagonistes. Le Vatican n’approuve pas cette « pastorale » qu’il juge plus politique que religieuse. Il faut toutefois tenter de comprendre certaines périodes d’exception au cours desquelles Jean-Paul II, par exemple, et le Vatican vont se faire les soutiens périodiques des mouvements de paysans sans terre du Nordeste en les incitant à « occuper la terre ». Ainsi, la Conférence mondiale de la réforme agraire de Rome, organisée par la FAO (Organisation pour l’agriculture et l’alimentation, institution spécialisée des Nations unies) en juillet 1966, vient-elle légitimer le conflit agraire et les revendications de sans-terre, sous le règne du pape Paul VI. En 1979, toujours à Rome, cette fois sous Jean-Paul II, une autre Conférence mondiale sur la

réforme agraire et le développement rural est organisée. Le but de cette conférence est d’accélérer le développement économique et social qui commence avec la distribution de terres et le contrôle du pouvoir politique. Dans un autre discours, Jean-Paul II dit que la terre est un don de Dieu pour tous, et pas seulement l’apanage d’un petit groupe.

Cette insertion pourrait se résumer dans l’« option préférentielle pour les pauvres » discutée et assumée par le Conseil épiscopal de l’Amérique latine (CELAM) à Puebla, Mexique, en 1979, en présence du pape Jean-Paul II.

4.1.1 L’indignation comme moteur de la théologie de la libération

La réalité sociale latino-américaine n’est pas la même que celle de l’Europe. En Amérique latine, la misère de la majorité du peuple finit parfois par aider à garantir l’avenir des exploiteurs étrangers, d’une oligarchie foncière qui ne produit pas pour le marché national mais pour l’exportation. Le grand nombre de monopoles étrangers suscite l’indignation des intellectuels de la libération et de l’Église catholique progressiste. Il faut dire que cette indignation ne touche pas les prélats de tendance ultraconservateur ni les évêques modérés qui font appel à la conversion du cœur, à la charité et à la prise de conscience envers les pauvres. Les évêques progressistes ne sont pas nombreux, mais ils comptent sur l’appui des théologiens de la libération catholiques et pentecôtistes. Cette indignation fait le parcours de l’Amérique latine et centrale et elle se transforme dans le christianisme de la libération. Pour Michael Löwy, c’est l’origine de la lutte révolutionnaire. Löwy nous explique que c’est seulement après la fin de la conférence de Medellín que le clergé prend conscience qu’il faut changer la structure sociale et politique. C’est l’indignation qui a changé le sacerdoce du prêtre Camilo Torres. C’est l’indignation qui devient la clé de la lecture marxiste dans la religion chrétienne. Mais l’épiscopat est une minorité pour un tel défi.

Pour les évêques ultraconservateurs, Mgr Sigaud et Mgr Castro Mayer, en ce qui concerne la misère et l’injustice, la vie terrestre ne doit pas être paradisiaque. La croix, la patience et l’abnégation sont indispensables pour réussir sur cette terre. Enfin, l’indignation avec la réalité sociale oblige un pôle de l’institution catholique à faire le choix de l’engagement vers les pauvres.

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 160-165)

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