• Aucun résultat trouvé

Quand Rome condamne la théologie de la libération

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 187-190)

théologie qui dérange (1972-1984)

4.3 Le pape et la centralisation de la pensée politico-religieuse : l’efficacité de la théologie de la libération mise en doute et réfutée

4.3.3 Quand Rome condamne la théologie de la libération

L’Église catholique brésilienne était devenue populaire avec les communautés ecclésiales de base (CEB), ses pastorales sociales et l’envie de libération du joug capitaliste prêchée par la théologie de la libération. L’Église « populaire » devait disparaître. Jean-Paul II ferme les séminaires de la libération, interdit Camara de voyager, condamne Leonardo Boff, condamne la théologie de la libération.

Pour le politologue canadien André Corten, les théologiens de la libération intègrent la lutte de classes au sein de l’Église. En 1980 s’est tenu, à São Paulo, un congrès sur ce thème, auquel 1 500 agents pastoraux ont participé. Jean-Paul II n’a jamais accepté l’expression « Église populaire ». Voilà le paradoxe papal, car l’Église catholique polonaise se disait « populaire » quand Solidarnosc est arrivé au pouvoir, soutenu par les chrétiens. L’élection de Jean-Paul II était donc un pas en arrière pour l’Église catholique d’Amérique latine. En effet, en Pologne, les résolutions conciliaires du Vatican II n’ont pas eu d’influence. Jean-Paul II a suivi une ligne antimarxiste et antilibérale. De plus, lors de l’acceptation de l’énoncé « option préférentielle pour les pauvres », les théologiens de la libération n’ont pas eu accès aux séances de Puebla, mais ce fut le prêtre Gustavo Gutierrez qui en définit le terme, selon l’expert en théologie, José Comblin. La condamnation de la théologie de la libération serait une persécution contre l’Église des pauvres.

Pour Jean-Paul II, la doctrine de la libération est hérétique et trop liée à la politique, mais le livre de Boff, Église, charisme et pouvoir, qui a suscité la controverse, n’a rien d’hérétique, ni même d’antihiérarchique. Il s’agit plus d’effets discursifs que de contenus doctrinaux. Après la visite de Jean-Paul II au Brésil, il y eut quelques modifications dont le monde chrétien n’a pas été informé. Il a envoyé à chaque évêque brésilien une lettre dans laquelle il exprimait ses réserves concernant la pratique de l’Église au Brésil. Après quoi, il remplaça les évêques progressistes par des réactionnaires, ferma l’institut théologique de Recife et deux foyers de la théologie de la libération dans le Nordeste.

Dans l’histoire de l’Église, la théologie de la libération ne fut pas la seule idéologie à être interpellée et sanctionnée. Pourtant, dans le document publié par le Vatican le 6 août 1984 sur la théologie de la libération, le pape Jean-Paul II affirme que la théologie de la libération est utile et nécessaire :

seulement opportune, mais utile et nécessaire. Elle doit constituer une nouvelle étape – en connexion avec les autres théologies – de cette réflexion théologique initiée avec la tradition apostolique et continuée avec les grands prêtres et docteurs, avec le magistère ordinaire et extraordinaire, et, dans l’époque plus récente, avec le patrimoine social de l’Église. Je pense que dans ce champ l’Église du Brésil puisse jouer un rôle important (…) dans une réflexion théologique apte à inspirer une praxis efficace en faveur de la justice sociale et de l’équité, et des droits de l’homme. »

On peut effectivement s’interroger sur le fait que le pape, fils d’une terre à cette époque encore sous domination communiste, demande que la théologie de la libération soit répandue dans toute l’Amérique latine de façon homogène, et non pas hétérogène comme la théologie de tous les temps. Il termine le document en écrivant :

« Permettez-moi, frères dans l’épiscopat, de vous inviter à une tâche très liée à notre fonction épiscopale, celle d’éduquer vers la libération et la liberté. »

Pourquoi le Vatican a-t-il changé d’avis sur la théologie de la libération ? Le pape avait déjà étudié et approuvé ses objectifs, il y avait même ajouté quelques conseils. Pourquoi, soudainement, le Saint-Siège fait-il volte-face sur ces questions emblématiques ? Selon les analystes bibliques romains au sein de la Congrégation de la doctrine de la foi, la théologie de la libération fait forte allusion au marxisme. Le cardinal Joseph Ratzinger, en tant que secrétaire de cette Congrégation à Rome, émettait dix observations très sévères sur la théologie de la libération de Gustavo Gutierrez, l’un des pionniers de ce courant, en l’accusant d’être un « marxisme déguisé » dont l’objectif serait de faire du christianisme un facteur de mobilisation au service de la révolution. La Congrégation pour la doctrine de la foi a jugé le théologien brésilien et l’a condamné à un an de silence obséquieux en 1984. Rome, par l’intermédiaire de son secrétaire, a affirmé que la théologie de la libération était recevable, mais que ses perspectives marxistes devaient disparaître et, en particulier, l’utilisation de catégories marxistes pour l’analyse de la réalité et l’interprétation des Écritures avec des outils marqués par la modernité critique. L’emprunt d’outils d’analyse sociale au marxisme aurait favorisé

l’encouragement à la violence. Le concept d’Église populaire et l’abandon de la dimension personnelle du péché sont considérés comme secondaires par rapport aux précédents et ont été de fait assez facilement éclaircis par les théologiens de la libération. L’interdiction de la théologie de la libération freine en quelque sorte les progressistes et favorise la majorité ecclésiale conservatrice et les mouvements contre la réforme agraire.

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 187-190)

Outline

Documents relatifs