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L’Église de la libération

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 173-177)

théologie qui dérange (1972-1984)

4.2 La perspective historique de la théologie de la libération

4.2.3 L’Église de la libération

Comment l’Église de la libération s’impose en tant que telle ? Elle s’indigne de la séparation de classes, de l’oligarchie foncière qui détient les grandes propriétés privées. Il n’y a pas d’égalité dans le monde chrétien. L’Église pauvre de l’Amérique latine ne pouvait plus continuer à catéchiser de la façon imposée par le Vatican. La théologie de la libération a donné naissance à l’Église de la libération.

Pour l’un de ses fondateurs, le théologien péruvien Gustavo Gutierrez, la théologie de la libération est un essai pour comprendre la foi à partir de la praxis historique, libératrice et subversive, des pauvres de ce monde, des classes exploitées, des « races » méprisées, des cultures marginalisées. Allant dans le même sens, le théologien dominicain brésilien frère Betto répond que c’est une théologie née à partir de la situation de misère. Gutierrez a bien noté que le peuple d’Amérique latine, en majorité catholique, était vif comme dans un ghetto. Une option claire pour les opprimés et pour leur libération conduit donc à une révision des problèmes en profondeur, à une vision nouvelle de la fécondité, de l’originalité du christianisme et du rôle que la communauté chrétienne peut jouer à l’intérieur de ce processus. À cet égard, il ne s’agit pas seulement de la réaffirmation d’une volonté, il s’agit d’expériences concrètes et de la manière de rendre témoignage d’une lecture sociologique de Jésus. Dans ce contexte, prêtres et religieux, persuadés de la réalité du problème social, se sont rassemblés pour tenter d’aider à sa résolution. C’est un sens nouveau que certains religieux donnent à leur vie religieuse :

« Notre objectif essentiel n’est pas de mettre fin à notre statut de clercs, mais de nous engager sacerdotalement dans le processus révolutionnaire latino- américain. Il n’y a pas de doute que nos conditionnements sociaux et ecclésiastiques sont très divers. L’Amérique latine exige de manière primordiale un salut qui trouve sa vérification dans la libération d’injustice et d’oppression. (…) Car, à notre avis, l’Église dispose d’une énorme force de conscientisation à

l’égard du peuple. Pour de multiples raisons, sociologiques et historiques, nous, Latino-Américains, nous voyions l’état clérical autrement que vous. (…) Il nous semble que c’est notre engagement même avec l’homme et avec le processus révolutionnaire qui nous pousse à rester des clercs. »

La théologie de la libération s’est forgée à partir de la réalité des pauvres, de la situation politique et socio-économique qui exploite au nom du progrès et de la richesse, en établissant une liaison avec la doctrine sociale de l’Église. Inspirée de la réalité, elle consiste à appliquer les préceptes bibliques d’égalité en ce qui concerne la répartition des terres, afin de libérer les couches sociales les plus dépourvues.

Nous ne saurions pas répondre à la question posée par Hélène Pelletier-Baillargeon de savoir si la religiosité populaire déclenchée par les CEB et l’Église de la libération est un opium du peuple ou un facteur de civilisation. Mais l’Église de la libération s’inspire de la doctrine sociale de l’Église. En ce qui concerne l’action et l’interprétation, elle conduit à l’herméneutique de la théologie sociale, qui renforce les critères historiques, éthiques et sociopolitiques. Pour comprendre cet aspect, Ricardo Antonich et José Miguel Munarriz expliquent que, d’après le critère historique, la doctrine sociale n’étudie pas seulement les conflits sociaux au niveau intellectuel, mais surtout dans l’intention de les transformer et de dépasser les situations négatives, car « l’interprétation des textes se voit affectée par la distance temporelle qui sépare le temps du lecteur du temps de l’auteur ».

Le critère éthique de la doctrine sociale prend l’histoire comme une réalité qui doit être transformée par les exigences éthiques de la conscience.

Le critère sociopolitique révèle que « la clameur des pauvres, des victimes de l’injustice montre un contraste éthique qui doit être dépassé ; que les idéologies et les mouvements historiques et utopiques supposent en même temps une action transformatrice ».

Pour Gutierrez, le lien entre théologie et politique donne, sans pour autant la juger, à penser la période où, par manque de distinction, les « théologies politiques », qui cherchaient à instaurer un État chrétien, ont commis des fautes en défigurant cette doctrine par l’autoritarisme et la répression. C’est pour cela que Marx a énoncé une critique de la religion en la considérant comme une idéologie issue de structures historiques et sociales déterminées. Le problème se

situe dans l’héritage ecclésial. La définition politique de Marx pourrait être mieux comprise si de tels événements n’étaient pas arrivés dans le passé.

« Pour être un bon politicien, il ne faut pas être chrétien, mais pour être un bon chrétien, il faut se préoccuper aussi de la justice sociale qui est une réalité politique. »

Le pouvoir politique n’a rien à voir avec le monde chrétien, mais la politique concerne les chrétiens, ils sont gouvernés. Pour Leonardo Boff, la responsabilité de la misère est due à l’esprit d’accumulation individualiste du système capitaliste. Pour Boff, l’homme est traité seulement comme force de travail. Il en appelle à la responsabilité sociale et dénonce un manque de sensibilité aux problèmes les plus simples et faciles à régler, comme, par exemple, de regrouper les productions agricoles familiales dans des coopératives. Pour l’Église de la libération, le domaine économique et politique prend une dimension théologique.

En 1975, le pape Paul VI publiait Evangelii Nuntiandi, dans laquelle il dédiait dix points à la question de la libération. Le problème du partage des terres s’aggravait et l’on voyait croître les conflits entre les fermiers protégés par l’État et les paysans. Paul VI écrivait dans Evangelii Nuntiandi :

« C’est pourquoi, en prêchant la libération et en s’associant à ceux qui œuvrent et souffrent pour elle, l’Église — sans accepter de circonscrire sa mission au seul domaine du religieux, en se désintéressant des problèmes temporels de l’homme — réaffirme la primauté de sa vocation spirituelle. »

Certes, Paul VI parle de libération, mais il garde l’autorité de l’Église avec sa vocation spirituelle. Elle (la vocation spirituelle) n’est pas d’accord avec la concentration de revenus et de la terre, puisque celle-ci n’accorde pas le bien-être à tous. C’est la raison pour laquelle les théologiens ont pris le chemin de la sensibilisation des chrétiens sur le problème social et politique.

Au moment du changement de pape, en 1978, la théologie de la libération, comme aux temps de l’Inquisition, se retrouve devant la hiérarchie catholique romaine. Avec le pape Paul VI, l’Église d’Amérique latine avait accru la popularité de la théologie de la libération et, après sa mort, Jean-

Paul I ne règne pas, il disparaît peu après. Jean-Paul II est élu nouveau pape et désigne le cardinal Joseph Ratzinger comme nouveau secrétaire pour la Doctrine de la foi du Saint-Siège. La hiérarchie catholique va alors essayer de décourager la théologie de la libération. L’accusation de marxisme persistera au cœur de la pensée d’une Église conservatrice. C’est une théologie qui aborde librement la politique ou une théologie politique.

Pour Gustavo Gutierrez, la nouvelle théologie politique se présente comme un effort pour exprimer le message eschatologique du christianisme. Aujourd’hui, la théologie politique entre en dialogue fécond avec la théologie de la libération, par son esprit d’ouverture qui l’incite à comprendre les questions et les problèmes de la réalité, car cette théologie politique est en lien avec la modernité. La nouveauté de l’Église de la libération est arrivée comme un soutien pour l’évêque Pedro Casaldaliga, militant en faveur des paysans. Devenu prélat en 1971, il s’est vu avec plus d’autorité dans sa région pour mettre en place l’Église de la libération.

« Petit à petit, la théologie de la libération a assumé les libérations. Si au début elle s’était retournée plus spécifiquement vers la libération intégrale, la théologie de la libération a toujours prêché la libération socio-politique à cause des circonstances que vivait l’Amérique latine. Un continent croyant et opprimé, catholique et qui a cru aux militaires. Alors la libération et les dérivations, les exigences et les conséquences du social, du politique, du culturel et de l’économique pour la foi chrétienne authentique, ça continue aujourd’hui, c’est le rôle de la théologie de la libération. Et la théologie de la libération a beaucoup aidé à l’intérieur de l’Église à prendre conscience de la solidarité, une caractéristique de l’Amérique latine. »

Nous n’en sommes pas certains, mais la théologie de la libération donne l’impression d’avoir renforcé l’idée du militantisme paysan dans l’Église de la libération. Cela veut dire qu’elle s’assume en tant qu’Église populaire, Église du peuple. Casaldaliga parle de l’Amérique latine, car il est en contact fréquent avec l’Église du Nicaragua, du Salvador et d’autres pays. Même si la théologie de la libération est condamnée (nous reviendrons sur sa condamnation), Casaldaliga remarque que les fidèles ont voulu trop l’exalter. Et que la pauvreté prolonge la survie de cette théologie.

libération. Si on en finit avec la pauvreté, on en finira avec la théologie de la libération. »

Pour cet évêque, qui vit les problèmes cruciaux d’un diocèse sans trop de recours comme dans les centres-villes, et qui compte une population pauvre, formée d’immigrants et d’Indiens, la théologie de la libération représente une arme contre la pauvreté car elle conscientise les gens. Tout de même, en tant que membre de l’épiscopat, il sait que la décision finale vient de la hiérarchie.

« On parle d’Église, d’Église, et, dans le fond, c’est la hiérarchie qui prend les décisions. Et 99,9 % des laïques sont là sans rien faire. Dans les dernières années, on s’est dit que c’est la vocation du laïque, la politique, la social- démocratie chrétienne. »

Nous présumons que le fait d’appartenir à une institution, comme l’a bien noté Jacques Lagroye, n’empêche pas un prélat de critiquer le pouvoir et les « vérités » de son institution. Si Karl Marx représentait le diable en personne pour les conservateurs, les progressistes ne mettent pas son image à l’autel, mais ses textes sont mieux lus et acceptés en tant que critique contre le capitalisme dans la théologie.

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 173-177)

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