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Les pastorales chrétiennes sont-elles devenues la sociologie de la théologie ?

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 144-150)

2.2.3: L’exode paysan vers la terre promise : la colonisation amazonienne

Chapitre 3. Le conflit Église/Église : politisation de nouveaux mouvements sociaux chrétiens pour la réforme agraire (1969-1972)

3.2 L’institution épiscopale latino-américaine : un contre-pouvoir religieu

3.2.2 Les pastorales chrétiennes sont-elles devenues la sociologie de la théologie ?

Entre les conférences de Medellín et de Puebla, les représentants catholiques laïques, le clergé et les organisations philanthropiques ont donc œuvré pour une véritable prise de conscience des masses populaires. À Medellín, les théologiens et les experts de la doctrine sacrée avaient confronté, loin de Rome, leurs opinions sur la tactique à adopter pour un travail chrétien directement lié aux conditions sociales, à la culture populaire et à la politique économique. Il s’agit d’un renouvellement de la praxis et d’un engagement radical auprès des pauvres. Cette discussion théologique donna naissance à la théologie de la libération (nous y reviendrons dans la deuxième partie) qui apparut comme un défi nouveau et en écho au discours social. Son dynamisme est associé au climat de contestation sociale qui a régné en Amérique latine à partir

de cette conférence.

L’Église catholique a créé le Conseil indigéniste missionnaire (CIMI) en 1973. Deux ans après, en juin 1975, la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) de la région Cente-Ouest fondait la Commission pastorale de la terre (CPT), pendant la rencontre de la pastorale de l’Amazonie. Ces deux institutions, CIMI et CPT, ont été créées par les évêques progressistes Mgr Pedro Maria Casaldaliga et Mgr Tomas Balduino et quelques laïques engagés. Pour cela, ils ont pu compter avec la participation d’autres militants chrétiens et la collaboration de la seule branche de l’Église pentecôtiste à soutenir cette initiative, l’Église évangélique de la confession luthérienne au Brésil (IECBLB). Il n’est pas sans intérêt que Sandra Procopio, militante catholique devenue leader d’un secteur du Mouvement des paysans sans terre (MST), reconnaisse que :

« La CPT a été une école qui a formé les grands dirigeants de la décade 1980. Les victoires ont été nombreuses, en commençant par sa propre naissance. »

Le plus étonnant, c’est que Sandra Procopio soit devenue un leader du mouvement pour la terre, assumant son passé de militante catholique. Ce n’est pas le cas pour le leader régional, Tadeo Moraes Deogado, de la même ville, militant pour la même cause, qui ignore l’existence de la CPT. Le plus étonnant encore, c’est que la CPT est dans la ville de Campo Grande. Néanmoins, il reconnaît les CEB et admet que c’est sous leur influence que plusieurs leaders sont apparus.

« L’Église catholique est devenue conservatrice pour plaire aux grands propriétaires qui subventionnent les dépenses des fêtes religieuses. »

En fait, ces fêtes religieuses ont l’air d’être très participatives et nous y ajoutons les Romarias da terra (marches religieuses pour la terre qui existent dans tous les États. Nous reviendrons sur ces pèlerinages au sixième chapitre).

Brésil, mais son contexte hiérarchique reste inchangeable du fait de sa structure de pouvoir, de son passé et des évêques conservateurs. En fait, la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) est divisée par régions :

Organigramme de la CNBB

251655168CNBB

Source : www.cnbb.org.br (chaque région de la CNBB possède un président, un vice-président, un secrétaire général, un trésorier, un responsable des pastorales et une équipe de prêtres et de religieux).

L’encadré CNBB qui reste au milieu signifie que le siège central est à Brasilia et les conférences générales se passent à Itaici, province de São Paulo. Il faut dire que, au début, la CNBB correspondait aux cinq régions du Brésil.

Il y a des décisions qui se sont discutées et qui ont été prises par une région, et qui ne sont pas forcément assumées ou considérées par les évêques d’autres régions. Par exemple, le document écrit en 1971 : « Une Église en Amazonie en conflit avec le latifundium et la marginalisation sociale ». Les documents régionaux préparés par les prélats attachés aux mouvements ouvriers et paysans sont considérés comme progressistes. Nonobstant, dans les assemblées générales de la CNBB, qui se passent à Itaici, province de São Paulo, la direction n’assume pas le radicalisme de certaines régions. Et nous ne pouvons pas dire qu’il y ait une vision sociale et politique de l’ensemble des évêques. Par contre, certains évêques suivent la réalité sociale et politique du pays, et demandent souvent l’aide d’un expert en théologie sociale et de la sociologie. Par exemple, Clodovis Boff, Carlos Mesters et Leonardo Boff ont des agendas chargés. Ces théologiens sont souvent en déplacement pour des études approfondies sur la

mystique. José Oscar Beozzo est prêtre sociologue de la religion attaché à la CNBB, pendant que José de Souza Martins est lié à des pastorales sociales.

Ces pastorales, pour Jean-Paul II, sont politiques et il reprend l’autorité catholique en charge à partir de son élection. Les linguistes Noam Chomsky et Edward Herman disent que Jean-Paul II a également favorisé un revers contre le monde catholique. Jean-Paul II arrive pour faire un retour vers la théologie classique et en retardant l’orthopraxie des pastorales sociologiques. Pour lui, le plus important, c’est l’obéissance aux normes, aux doctrines, d’ailleurs comme l’équipe qui gouverne le Vatican. En d’autres termes, l’institution catholique refait ses pas dans un « dressage ». L’étiquette négative de conservateurs voire de réactionnaires dans l’Église catholique est due, selon Philippe Braud, aux interventions du pape et des évêques dans la condamnation du « progressisme ».

Là encore, nous observons la distinction frappante que nous pouvons faire entre des évêques traditionalistes, de style autoritaire, remarqué par Jacques Lagroye, et des évêques conciliaires qui prennent parti pour les causes sociales. C’est Roger Bastide qui a consacré un travail intéressant à « Une contribution à la sociologie des religions en Amérique latine ». R. Bastide note que, autour des années 1958 à 1961, il y a eu un ensemble de recherches chiffrées et publiées par la Fédération internationale des instituts catholiques d’investigations sociales et socio-religieuses (FERES) et par le Centre interculturel de documentation (CIDOC), au Mexique. Ces centres sont importants, selon R. Bastide, non seulement par leur côté religieux et dépendant de leur passé, mais surtout parce que ce caractère religieux cherche une rénovation de la pastorale de la conquête spirituelle. R. Bastide évoque l’idée d’un vide spirituel des Indiens qui va être comblé par l’idée de la véritable foi, ce qui veut dire l’imposition d’une religion exportée. Mais Gabriel Le Bras nous livre des « Réflexions sur les différences entre sociologie scientifique et sociologie pastorale » en France. Nous pensons que le Conseil indigéniste missionnaire (CIMI), la Commission pastorale de la terre (CPT), et les CEB ont le profil de pastorales sociales sans être l’accomplissement de la sociologie au sens de discipline.

En fait, l’arrivée de Jean-Paul II au pontificat signale surtout que « l’heure de la récréation avait fini », c’est-à-dire que si les deux papes prédécesseurs ont donné l’idée de progressisme au sein de l’Église catholique, Karol Wojtyla annonçait la régression par rapport à la pastorale assumée

avant lui. L’exemple vient de l’Amérique latine et centrale. Les prêtres nicaraguayens, tout comme le cardinal Obando, font partie du gouvernement de Daniel Ortega et Jean-Paul II leur demande de choisir entre l’Église et la politique.

Nous ne pouvons pas être étonnés par les luttes institutionnelles au sein du clergé brésilien si les pentecôtistes commençaient à gagner du terrain. Nous avons tendance à penser que la façon d’agir de Jean-Paul II, avec son autorité ecclésiastique, aurait pu contribuer à rassembler le clergé, mais il aurait aussi éloigné les militants chrétiens du monde catholique.

Pour les évêques progressistes, Medellín a enclenché une révolution de l’orientation pastorale et de l’engagement pour la terre. Si une partie de l’Église s’aventure à exiger la réforme agraire, des groupes radicaux opposés à la réforme foncière décident à leur tour de faire opposition : les groupes Tradition, famille et propriété (TFP) et l’Opus Dei, d’après M. M. Alves. Il y a le document « Manifesto dos lavradores do Bico do Papagaio contra o GETAT » (Manifeste des travailleurs agricoles du Bec du Perroquet contre le GETAT). La Commission pastorale de la terre (CPT) a décidé d’écrire au président de la République pour montrer que son discours était cohérent. Cependant, une partie de l’institution catholique a continué à mener sa politique, à participer aux mouvements sociaux. L’encadré n° 3.3 revient sur l’historique de la lutte pour la terre.

Encadré n° 3.3 : Récit socio-historique de la lutte pour la terre

Au Brésil, l’histoire des mouvements pour la terre n’est pas récente. Selon les historiens et les sociologues, le développement du pays a débuté en étant entravé par de mauvaises habitudes en ce qui concerne l’attribution des terres. Ils se réfèrent aux sesmarias, lots de terre de taille considérable que la couronne portugaise avait concédés aux colonisateurs, privilégiant ainsi les riches arrivants au détriment des autochtones. Pourquoi ? D’abord, à cette époque, les moyens de mesure étaient imprécis et les limites des terrains non précisées, c’est-à-dire que les intéressés, les Portugais, selon le chercheur André Heraclio do Rego, indiquaient seulement la localisation et il n’existait pas de repères identifiables. Entre 1833 et 1836, une succession d’insurrections paysannes éclata dans le Nordeste, la révolution de Cabanada dans le Pará (1832-1835), un mouvement rural (1835-1845) dans le Rio Grande do Sul, le conflit de Balaiada dans le Maranhão (1838-1841), la révolution Praieira au Pernambouc (1848) et la guerre de Farrapos . Mais l’action protestataire la plus véhémente eut lieu dans l’État de Bahia,

en 1896 : la guerre de Canudos, initiée par le dirigeant religieux Antonio Conselheiro. Un soulèvement semblable, connu comme guerre du Contestado, eut lieu en 1912 à Santa Catarina, et il ne fallut pas moins de trois ans pour l’étouffer.

Pour Mgr Tomas Balduino, l’histoire de la lutte pour la terre « est vieille. Elle a beaucoup de liens avec les diverses luttes qui se sont déroulées dans le pays, les conquêtes pour la terre. Les Noirs, Quilombolas, Canudos, Contestado, les paysans. Alors, José de Souza Martins, dans son livre Vingt ans de CPT, fait une analyse très intéressante du moment historique que le pays est en train de vivre, car le coup d’État fut organisé pas seulement, mais principalement avec le but de casser l’épine dorsale du paysan organisé. Ils ont pris Trombas et Formoso, qui sont dans l’État de Goiás, qui voulaient suivre l’exemple des ligues paysannes. La CPT amène à une réflexion sur l’histoire, ce qui a été fait, organisé, pour balayer les grands propriétaires et les soumettre entièrement aux principes de l’État à travers le Statut de la terre ». Cette observation, d’après Mgr Balduino, appartient au sociologue brésilien José de Souza Martins :

Mgr Tomas Balduino : « Alors, sans le faire exprès, la CPT a contribué à la modification de notre histoire et cela simplement en entrant sur la scène politique et sociale et en prenant en charge la lutte des travailleurs et le développement des communautés ecclésiales de base, des gens de foi qui se réunissaient et faisaient une nouvelle lecture populaire biblique. Ils s’organisaient en vue de cette conquête de la terre promise. Maints dirigeants paysans que nous avons eus dans notre diocèse ont été assassinés. Ils étaient dirigeants des communautés ecclésiales de base et fréquentaient nos centres de pastorale et de formation, nos cortèges religieux et nos terres. L’Église a créé au Nordeste les syndicats des travailleurs qui étaient bien vus par le pouvoir public et même soutenus par le pouvoir politique. »

Pour les scientifiques brésiliens et étrangers, il est évident que l’Église catholique a beaucoup évolué et progressé vers les actions sociales. Certains mouvements étaient régionaux, d’autres nationaux. Mais comment expliquer le manque d’homogénéité par rapport à une pastorale spécifique, la CPT, par exemple ? Les évêques du Nordeste avaient déjà répondu à la demande du monde rural avec la création du MEB, qui a compté avec la participation active du pédagogue Paulo Freire (voir encadré n° 3.1), de la SUDENE et la syndicalisation des paysans. Le problème n’est pas le même partout : par exemple, le diocèse de São Paulo a développé la

pastorale ouvrière parce c’est la ville industrielle du pays.

La pensée de Freire a eu une influence sur l’Église, car, paraît-il, le clergé cherchait véritablement une voie pour travailler l’éducation. L’éducation et les questions liées à la sociologie fascinaient l’épiscopat. Pour le sociologue des religions, José Oscar Beozzo,

« À partir de sa volonté d’alphabétisation, il s’est dirigé vers une éducation de base qui comprenait la conscientisation et la politisation, la valorisation de la culture populaire, l’accès plus facile aux outils, l’organisation du peuple et l’animation populaire. Et aussi les pratiques des techniques agricoles, la défense de la santé et le développement des communautés ».

Bien entendu, cet épiscopat étant déjà divisé en deux pôles, les conservateurs n’approuvaient pas cette méthode révolutionnaire.

Dans le document L'église s'engage dans la politique (Page 144-150)

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