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Chapitre 3 : Les règles de preuve

A. Le rôle des autorités suisses en matière de migrations

434. En procédure administrative suisse, la maxime inquisitoire (« Untersuchungsmaxime ») s’applique, tant en procédure non contentieuse que contentieuse, concernant l’établissement des faits.1192 En vertu de la maxime inquisitoire,

« c'est à l'autorité de première instance, respectivement de recours, qu'il incombe d'élucider l'état de fait de manière exacte et complète ; elle dirige la procédure et définit les faits qu'elle considère comme pertinents, ainsi que les preuves nécessaires, qu'elle ordonne et apprécie d'office. »1193

L’autorité ne peut se satisfaire des seuls faits tels qu’invoqués par les parties, sans les vérifier, parce que ces faits seraient admis par une autre partie ou par l’autorité intimée.1194 La maxime inquisitoire est consacrée par l’article 12 PA qui prévoit que l’autorité constate les faits d’office et procède s’il y a lieu à l’administration des preuves. En droit suisse des migrations, la maxime inquisitoire est également applicable, les procédures prévues par la LEtr et la LAsi étant soumises à la PA.1195

435. La maxime inquisitoire a pour corollaire que l’autorité doit établir, de son propre chef, tous les faits pertinents ou déterminants à l’application correcte du droit.1196 Concernant le moment déterminant pour établir les faits, il

1192 CANDRIAN (2013), p. 42; MOOR/POLTIER (2011), p. 293.

1193 TAF, arrêt E-1056/2014 du 20 novembre 2014, consid. 3.2. Voir également TAF, arrêt A-5754/2008 du 5 novembre 2009, publié sous ATAF 2009/60, consid. 2.1.1. Voir dans le même sens MOOR/POLTIER (2011), p.

293; EPINEY/WALDMANN/EGBUNA-JOSS/OESCHGER (2009), p. 244.

1194 BOVAY (2015), pp. 220-221.

1195 Voir art. 6 LAsi.

1196 CANDRIAN (2013), p. 43; BOVAY (2015), p. 221. A défaut d’une administration d’office des faits et des preuves ou en cas d’administration défaillante, l’administré peut faire recours au grief de la constatation inexacte ou incomplete des faits pertinents. Voir art. 49 let. b PA.

177 s’agit du jour où l’autorité statue.1197 Ce principe inquisitoire vaut également devant l’instance de recours, elle peut donc prendre en considération des faits postérieurs à la décision attaquée.1198 Par ailleurs, avec la maxime inquisitoire s’applique la règle iura novit curia, l’autorité applique le droit d’office.1199 L’autorité n’est pas liée par les moyens de droit invoqués par les parties mais doit chercher et interpréter les règles applicables dans le cas d’espèce.1200

436. En contrepartie de l’obligation de l’autorité d’établir les faits, les parties ont l’obligation de collaborer à la constatation des faits en vertu de l’art. 13 PA, notamment lorsqu’elles introduisent elles-mêmes la procédure ou lorsqu’une loi fédérale leur impose une obligation plus étendue de collaborer.1201 En ce qui concerne la portée de l’obligation de collaborer, celle-ci dépend très largement des circonstances ainsi que de la personne de l’administré.1202 Il faut noter que l’obligation de collaborer des parties ne libère pas l’autorité de toute charge : conformément au principe de la bonne foi garanti à l’art. 5 al. 3 Cst., elle doit attirer l’attention de l’administré sur les faits et les preuves qu’elle estime pertinents ainsi que rendre celui-ci attentif aux sanctions éventuelles découlant d’un défaut de collaboration.1203 437. En droit des migrations, le devoir de collaboration consiste souvent à

« faire des efforts »1204. En vertu de l’art. 90 LEtr, l’étranger et les tiers participant à une procédure prévue par la LEtr doivent collaborer à la constatation des faits déterminants pour son application. Ils doivent en particulier : a) fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la réglementation du séjour ; b) fournir sans retard les moyens de preuves nécessaires ou s'efforcer de se les procurer dans un délai raisonnable ; et c) se procurer une pièce de légitimation1205 ou collaborer avec les autorités pour en obtenir une. La LEtr prévoit ainsi un devoir de collaboration particulier en matière de droit des étrangers. 1206 En procédure d’asile, la maxime inquisitoire est contrebalancée par une obligation de collaborer « particulièrement accrue et intense ».1207 L’art. 8 LAsi1208, qui

1197 MOOR/POLTIER (2011), p. 301.

1198 MOOR/POLTIER (2011), p. 301.

1199 MOOR/POLTIER (2011), p. 300.

1200 MOOR/POLTIER (2011), p. 300.

1201 CANDRIAN (2013), p. 44; TANQUEREL (2011), pp. 517-518.

1202 GRISEL (2008), p. 106.

1203 MOOR/POLTIER (2011), p. 295.

1204 GRISEL (2008), p. 105.

1205 Art. 89 LEtr.

1206 MAHON/MATTHEY (2009), p. 72.

1207 MAHON/MATTHEY (2009), p. 72.

1208 L’art. 8 al. 1 LAsi prévoit ainsi : « Le requérant est tenu de collaborer à la constatation des faits. Il doit en particulier: a) décliner son identité; b) remettre ses documents de voyage et ses pièces d'identité au centre d'enregistrement et de procédure; c) exposer, lors de l'audition, les raisons qui l'ont incité à demander l'asile;

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concrétise l’art. 13 PA en matière d’asile, prévoit que le requérant d’asile est tenu de collaborer activement à l’établissement des faits.1209 Cette disposition impose une importante obligation de collaborer au demandeur d’asile, cependant elle ne décharge pas l’autorité de sa responsabilité d’établir les faits et d’administrer les preuves.1210

438. La procédure d’asile étant régie par la maxime inquisitoire, cela signifie que les autorités compétentes en matière d’asile doivent établir les faits d’office et procéder à l’administration des preuves.1211 Le TAF a précisé à ce titre : « [e]n application de la maxime inquisitoire, l’autorité doit s’attacher à établir l’état de fait de manière correcte, complète et objective, afin de découvrir la réalité matérielle. »1212 Conformément à la maxime inquisitoire, le SEM doit interroger les demandeurs d’asile de manière complète et correcte ainsi que prendre toutes les mesures d’instruction nécessaires à la constatation des faits et à la recherche de la réalité matérielle.1213 La maxime inquisitoire implique par ailleurs un devoir général de l’autorité de se documenter de la manière la plus complète possible sur la situation en matière de droits humains et l’évolution politique dans les pays d’origine ou de renvoi des demandeurs d’asile et de se référer à ces informations dans les cas d’espèce.1214 De plus, afin d’établir l’état de fait, les autorités en matière d’asile peuvent ordonner différentes mesures d’instruction telles qu’une audition complémentaire, une demande de renseignement aux représentations suisses, des renseignements ou témoignages de tiers tels que les œuvres d’entraide ou le HCR, ou encore des expertises et rapports médicaux.1215 Il va sans dire que la maxime inquisitoire impose aux autorités des rechercher des éléments de preuve tant en faveur qu’en défaveur du requérant.1216

439. Dans la procédure d’asile, la maxime inquisitoire est tempérée par deux règles spéciales : en vertu de l’art. 7 al. 1 LAsi, il appartient au demandeur d’asile de prouver, ou du moins rendre vraisemblable, qu’il remplit les conditions de la qualité de réfugié et ce même demandeur a une obligation particulière de collaborer découlant de l’art. 8 LAsi, comme nous l’avons

d) désigner de façon complète les éventuels moyens de preuve dont il dispose et les fournir sans retard, ou s'efforcer de se les procurer dans un délai approprié, pour autant qu'on puisse raisonnablement l'exiger de lui; e) collaborer à la saisie de ses données biométriques. »

1209 NGUYEN (2003), p. 496.

1210 MATTHEY (2015), N 2 ad art. 8 LAsi; EPINEY/WALDMANN/EGBUNA-JOSS/OESCHGER (2009), p. 244.

1211 TAF, arrêt E-1056/2014 du 20 novembre 2014, consid. 3.2. Voir également EPINEY/WALDMANN/EGBUNA -JOSS/OESCHGER (2009), p. 244; STÖCKLI (2009) p. 568.

1212 TAF, arrêt E-5688/2012 du 18 mars 2013, publié sous ATAF 2013/23, consid. 2.2. Voir également TAF, arrêt A-842/2007 du 17 février 2010, publié sous ATAF 2011/54, consid. 5.1.

1213 Art. 29 LAsi et 32 PA. Voir GATTIKER (1999), p. 49. Voir également COSSY (2000), p. 98.

1214 GATTIKER (1999), p. 49.

1215 OSAR (2009), pp. 152-153; STÖCKLI (2009) p. 569. Voir par exemple TAF, arrêt E-1183/2012 du 29 avril 2013, consid. 4.

1216 OSAR (2009), p. 153.

179 évoqué précédemment. De plus, une récente modification législative a érigé une nouvelle règle, l’art. 26bis LAsi, concernant l’établissement des faits médicaux.1217 Le requérant d’asile a l’obligation de faire valoir toute atteinte à sa santé dont il a connaissance au moment du dépôt de sa demande et qui pourrait s’avérer déterminante dans le cadre de la procédure d’asile et de renvoi.1218 Les atteintes à la santé invoquées ultérieurement ou constatées par un autre professionnel de la santé peuvent être prises en compte à condition qu’elles soient prouvées.1219 Les exigences probatoires sont élevées, la preuve est nécessaire, la vraisemblance ne suffisant pas, sous réserve de deux exceptions : le retard est excusable ou la preuve ne peut être apportée pour des raisons médicales.1220

440. Malgré ces obligations que la loi fait reposer sur le demandeur d’asile, le SEM ne peut se décharger de sa responsabilité en matière d’établissement des faits, tant au regard du droit national qu’international.1221 Ceci implique qu’il doit examiner les faits allégués par le demandeur d’asile avec soin, qu’il doit l’interpeller sur les éléments qui paraissent peu clairs ainsi que lui demander des précisions.1222 Le SEM doit également requérir la production de moyens de preuve s’il pense que ces moyens existent.1223 Enfin, le SEM ne peut pas se contenter des allégations de la personne demandant l’asile : il doit, dans la mesure du possible, vérifier ces allégations en effectuant des recherches complémentaires.1224

441. Par ailleurs, la maxime inquisitoire est également applicable devant le TAF, lorsque le demandeur d’asile le saisit d’un recours. Ceci implique que

« le Tribunal constate les faits d'office […] et procède à l'administration des preuves et apprécie celles-ci selon sa libre conviction ».1225 Toutefois, selon la jurisprudence, le TAF a l’obligation de revoir l’établissement des faits tels qu’il a été effectué par l’autorité de première instance, plutôt que l’obligation d’établir lesdits faits.1226 Par conséquent, le principe de la maxime inquisitoire est dans une certaine mesure limité en procédure de recours, dans la mesure où le TAF ne procède pas spontanément à des constatations

1217 Cet article a été introduit lors de la modification de la LAsi du 14 déc. 2012 et est entré en vigueur le 1er février 2014. RO 2013 4375, 5357.

1218 Art. 26bis al. 1 LAsi. Conformément à l’art. 26bis al. 2 LAsi, le SEM désigne alors le professionnel de la santé chargé d’effectuer l’examen médical.

1219 Art. 26bis al. 3 LAsi.

1220 NGUYEN (2015), N 16 ad art. 26bis LAsi.

1221 MATTHEY (2015), N 2 ad art. 8 LAsi; EPINEY/WALDMANN/EGBUNA-JOSS/OESCHGER (2009), p. 244.

1222 GRISEL (2008), p. 75.

1223 GRISEL (2008), p. 75.

1224 Voir dans ce sens GRISEL (2008), p. 75.

1225 TAF, arrêt E-5688/2012 du 18 mars 2013, publié sous ATAF 2013/23, consid. 2.2.

1226 TAF, arrêt E-5688/2012 du 18 mars 2013, publié sous ATAF 2013/23, consid. 2.2.

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de fait complémentaires, mais effectue de telles constatations si des griefs ou des pièces du dossier présentent des indices en ce sens.1227

442. Ainsi, les autorités suisses en matière de migrations, en particulier le SEM, disposent d’un large pouvoir inquisitoire, ce qui implique de jouer un rôle important en matière d’établissement des faits et d’évaluation des preuves. Ceci est conforme aux recommandations du HCR qui préconisent que l’autorité chargée de déterminer le statut de réfugié procède à l’établissement et l’évaluation des faits conjointement avec la personne qui demande un tel statut, et dans certains cas, utilise tous les moyens dont elle dispose pour réunir les preuves nécessaires.1228 De plus, comme il sera exposé ci-après, les principes découlant de la jurisprudence de la CourEDH imposent aux autorités nationales d’établir les faits « through close and rigourous scrutiny ».1229 Cet examen rigoureux des faits se traduit en droit suisse des migrations par l’application de la maxime inquisitoire.

443. La procédure d’asile suisse étant régie par la maxime inquisitoire, les autorités migratoires ont des devoirs particuliers dans l’établissement des faits, notamment celui d’interroger la personne de manière complète et correcte, celui d’ordonner toutes les mesures d’instruction nécessaires et celui de se documenter sur la situation des droits humains dans le pays d’origine ou de renvoi. Or, comme il sera montré dans la suite de cette étude, dans certains cas lesdites autorités ne mettent pas en pratique ces devoirs et se contentent d’établir les faits de manière limitée, ce qui est contraire aux règles de procédure administrative.

B. Le rôle des juridictions et quasi-juridictions