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Chapitre 2 : L’évaluation du risque

B. Les assurances diplomatiques

362. Dans le contexte du refoulement d’une personne d’un Etat vers un autre Etat, le terme d’ « assurances diplomatiques » fait référence à l’engagement pris par l’Etat de destination concernant le fait que ladite personne sera traitée selon les conditions fixées par l’Etat de renvoi, ou d’une manière plus générale, de manière conforme avec ses obligations internationales concernant les droits humains.974 Le recours aux assurances diplomatiques, également appelées garanties diplomatiques, constitue une pratique bien établie dans le domaine de l’extradition, les Etats en font néanmoins fréquemment usage en cas de renvoi ou d’expulsion de personnes étrangères, qu’ils considèrent indésirables sur leur territoire.975 Dans ce domaine, l’objectif des assurances diplomatiques consiste à éviter les risques de torture ou de mauvais traitements suite au renvoi ou à l’expulsion.976 363. Il semble que les Etats aient choisi de recourir de plus en plus aux

assurances diplomatiques depuis les attaques terroristes du 11 septembre

973 TAF, arrêt E-6220/2006 du 27 octobre 2011, publié sous ATAF 2011/24, consid. 13.2.2.3.

974 HCR, Note on Diplomatic Assurances and International Refugee Protection, août 2006, § 1.

975 HAMDAN (2016), pp. 302-303; DELAS (2011), p. 300; WOUTERS (2009), p. 293; NOLL (2006), pp. 104-105.

976 DELAS (2011), p. 304.

145 2001, et ce afin de renvoyer des ressortissants étrangers soupçonnés de terrorisme.977 Il faut noter que les assurances diplomatiques n’ont généralement pas de force contraignante sur le plan juridique.978 De plus, ces assurances ne prévoient souvent pas de mécanisme de mise en œuvre ni de recours, si l’Etat de destination ne s’y conforme pas, une fois que la personne a été transférée.979

1. CourEDH

364. Dans de nombreuses affaires relatives au principe de non-refoulement, la CourEDH a analysé les assurances diplomatiques obtenues par l’Etat défendeur de la part de l’Etat de destination. La CourEDH procède à une analyse au cas par cas ; elle prend en compte les éléments propres au requérant, la situation générale des droits humains dans le pays de destination et les assurances fournies par les autorités de celui-ci.980 Aussi, la CourEDH a précisé que les assurances diplomatiques ne suffisent pas en tant que telles à garantir « une protection satisfaisante contre le risque de mauvais traitements : il faut absolument vérifier qu’elles prévoient, dans leur application pratique, une garantie suffisante que le requérant sera protégé contre le risque de mauvais traitements. »981 En outre, le poids à accorder à ces assurances dépend, dans un cas d’espèce, des circonstances qui prévalent à l’époque considérée.982

365. En 1996, dans l’affaire Chahal c. Royaume-Uni déjà évoquée à plusieurs reprises, la Cour a dû se prononcer sur des assurances diplomatiques fournies par le gouvernement indien, rédigées dans les termes suivants :

« Nous avons pris note de votre requête visant à recevoir des assurances formelles garantissant que, si M. Karamjit Singh Chahal doit être expulsé vers l'Inde, il jouira de la même protection juridique que tout autre citoyen indien et qu'il n'a aucune raison de craindre de se voir infliger des mauvais traitements d'aucune sorte par les autorités indiennes. J'ai l'honneur de confirmer que tel est bien le cas. »983

977 DELAS (2011), p. 304; JOHNSTON (2011), p. 2; IZUMO (2010), p. 237; NOWAK (2010), p. 123;NOLL (2006), pp.

104-105;BRUIN/WOUTERS (2003), pp. 6-7.

978 NOWAK (2010), p. 131; HCR, Note on Diplomatic Assurances and International Refugee Protection, août 2006,

§ 5. Sur la question de la force contraignante des assurances diplomatiques, voir NOLL (2006), pp. 112-114.

979 HCR, Note on Diplomatic Assurances and International Refugee Protection, août 2006, § 5.

980 Voir IZUMO (2010), p. 254.

981 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 187.

982 CourEDH, arrêts Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 187; Saadi c. Italie du 28 février 2008 [GC], requête n° 37201/06, § 148.

983 CourEDH, arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996 [GC], requête n° 22414/93, § 37.

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La CourEDH s’est déclarée pas convaincue que de telles assurances suffiraient pour garantir la sécurité de M. CHAHAL après son renvoi en Inde.984

366. Par la suite, la question des assurances diplomatiques a été régulièrement traitée dans la jurisprudence de la CourEDH. Dans l’arrêt Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie (2005), qui concernait treize requérants russes et géorgiens d’origine tchétchène qui avaient été arrêtés en Géorgie, la CourEDH s’est dite satisfaite des assurances diplomatiques fournies par le Procureur général par intérim de Russie, soit la plus haute autorité chargée des poursuites pénales en Russie.985 Ces assurances stipulaient que les requérants ne seraient pas soumis à la peine capitale et fournissaient des garanties expresses contre la torture et les traitements ou peines cruels, inhumains ou allant à l’encontre de la dignité humaine.986 Le fait que ces assurances aient été données par le Procureur général par intérim de Russie, qui contrôlait les activités de l'ensemble des procureurs de la Fédération de Russie et remplissait un rôle de supervision du respect des droits des détenus dans ladite Fédération, a joué un rôle primordial.987 De plus, la CourEDH a accordé beaucoup d’importance aux renseignements obtenus suite à l’extradition d’une partie des requérants, selon lesquels leurs conditions de détention n’étaient pas contraires à l’art. 3 CEDH, ce qui était démontré par des photographies, un enregistrement vidéo et des certificats médicaux.988 En outre, les deux requérants avec lesquels la CourEDH avait entretenu une correspondance ne s’étaient jamais plaints d’avoir été soumis à des mauvais traitements en Russie.989 A l’aune de ces éléments, la Cour a conclu qu’au moment de l’extradition des cinq premiers requérants, il n’existait pas de motifs sérieux et avérés de croire que ceux-ci seraient exposés à un risque réel de traitement contraire à l’art. 3 CEDH.990

367. Selon Kees WOUTERS, la conclusion de la CourEDH concernant les assurances diplomatiques n’est pas convaincante, car dans la suite de ce même arrêt, elle a jugé que l’extradition de M. GUELOGAÏEV, qui n’avait pas encore été exécutée et était imminente, contreviendrait à l’art. 3 CEDH.991 En effet, les cinq requérants extradés avaient été maintenus à l’isolement après

984 CourEDH, arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996 [GC], requête n° 22414/93, § 105.

985 CourEDH, arrêt Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie du 12 avril 2005, requête n° 36378/02, § 343.

986 CourEDH, arrêt Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie du 12 avril 2005, requête n° 36378/02, §§ 343-345.

987 CourEDH, arrêt Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie du 12 avril 2005, requête n° 36378/02, § 344. Voir dans ce sens WOUTERS (2009), pp. 295-297.

988 CourEDH, arrêt Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie du 12 avril 2005, requête n° 36378/02, § 348.

989 CourEDH, arrêt Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie du 12 avril 2005, requête n° 36378/02, § 348.

990 CourEDH, arrêt Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie du 12 avril 2005, requête n° 36378/02, § 353.

991 CourEDH, arrêt Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie du 12 avril 2005, requête n° 36378/02, § 362. Voir WOUTERS (2009), p. 297.

147 leur extradition et n’avaient pas pu rester en contact avec leurs avocates.992 Il convient dès lors de s’interroger sur la comptabilité de ces conditions de détention avec les assurances diplomatiques précédemment fournies par les autorités russes et sur la distinction opérée par la CourEDH entre l’absence de risque réel de violation de l’art. 3 CEDH pour les cinq requérants extradés et la présence d’un risque réel pour celui qui n’avait pas encore été extradé.

368. De la même manière, la CourEDH a considéré les assurances diplomatiques données par le gouvernement ouzbek dans l’affaire Mamatkulov et Askarov c. Turquie (2005) étaient suffisantes pour garantir que l’extradition des requérants ne contreviendrait pas à l’art. 3 CEDH.993 La Grande Chambre n’a pas examiné en détail les assurances du gouvernement ouzbek, ce qui apparaît problématique étant donné la situation très préoccupante des droits humains en Ouzbékistan, notamment concernant la pratique de la torture.994 Dans leur opinion partiellement dissidente, les Juges Nicolas BRATZA,GiovanniBONELLO et JohnHEDIGAN ont rappelé qu’

« une assurance, même exprimée de bonne foi, selon laquelle un individu ne sera pas soumis à des mauvais traitements ne constitue pas en soi une garantie suffisante lorsqu'il existe des doutes quant à son application effective. »995

369. La CourEDH est revenue sur cette jurisprudence dans l’arrêt Ismoïlov et autres c. Russie (2008), dans lequel elle a retenu sur la base de rapports d’experts internationaux, tels que le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la question de la torture, que la pratique de la torture était systématique en Ouzbékistan.996 Elle a alors estimé que les assurances diplomatiques des autorités ouzbèkes ne constituaient pas une garantie fiable contre le risque de mauvais traitements.997 En effet, dans l’affaire Chahal c. Royaume-Uni (1996) déjà, la CourEDH avait mis en garde contre le fait de se fier à des assurances diplomatiques données par des Etats dans lesquels la torture est endémique ou persistante.998 Dans l’affaire Saadi c. Italie (2008), la CourEDH a indiqué que les assurances diplomatiques ne sont pas suffisantes, à elles seules, pour garantir une protection adéquate contre le risque de mauvais traitements, lorsque les autorités ont recours ou tolèrent des pratiques qui

992 CourEDH, arrêt Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie du 12 avril 2005, requête n° 36378/02, § 362. Voir WOUTERS (2009), p. 297.

993 CourEDH, arrêt Mamatkulov et Askarov c. Turquie du 4 février 2005 [GC], requêtes n° 46827/99 et 46951/99,

§§ 76-77.

994 Voir dans ce sens WOUTERS (2009), p. 298.

995 CourEDH, arrêt Mamatkulov et Askarov c. Turquie du 4 février 2005 [GC], requêtes n° 46827/99 et 46951/99, opinion partiellement dissidente des JugesNicolas BRATZA,GiovanniBONELLO et JohnHEDIGAN,§ 10.

996 CourEDH, arrêt Ismoïlov et autres c. Russie du 24 avril 2008, requête n° 2947/06, § 127.

997 CourEDH, arrêt Ismoïlov et autres c. Russie du 24 avril 2008, requête n° 2947/06, § 127.

998 CourEDH, arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996 [GC], requête n° 22414/93, § 105.

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sont manifestement contraires à l’art. 3 CEDH et que celles-ci sont attestées par des sources fiables.999

370. L’affaire Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni (2012) a permis à la CourEDH de préciser sa jurisprudence concernant les assurances diplomatiques et les facteurs à prendre en compte lors de leur examen.1000 Il s’agissait en l’espèce d’un ressortissant jordanien qui s’était vu reconnaître la qualité de réfugié par le Royaume-Uni en 1994. En 1999 et 2000, il avait été jugé in absentia en Jordanie pour appartenance à une association de malfaiteurs visant à commettre des attentats à la bombe et avait été condamné à quinze années de travaux forcés.1001 En 2005, les autorités britanniques lui avaient fait part de leur intention de l’expulser dans l’intérêt de la sécurité nationale vers la Jordanie. M. OTHMAN a fait appel de cette décision, arguant notamment du fait qu’il serait rejugé pour les infractions, dont il avait été déclaré coupable, selon une procédure inéquitable et basée sur des informations obtenues grâce à des actes de torture, et qu’il serait soumis à un risque réel d’être torturé pendant sa détention en Jordanie.1002 La Special Immigration Appeals Commission, puis la Chambre des Lords, ont rejeté ses recours et considéré qu’il serait protégé contre des mauvais traitements par le mémorandum d’entente conclu entre le Royaume-Uni et la Jordanie en 2005, lequel prévoyait des assurances détaillées en cas de remise d’un individu d’un Etat à l’autre.1003

371. Concernant les assurances diplomatiques, la CourEDH a indiqué que la première question qui se pose lors de leur examen consiste à déterminer si la situation générale en matière de droits humains dans l’Etat de destination n’est pas mauvaise au point qu’il est exclu d’accepter des assurances diplomatiques de sa part.1004 Toutefois, la Cour a rarement admis que la situation dans le pays de destination était telle qu’elle ne pouvait accorder aucun poids aux assurances offertes.1005 Afin d’évaluer la qualité des assurances données et leur fiabilité au regard des pratiques de l’Etat de destination, la CourEDH a indiqué qu’elle se fondait sur les facteurs suivants :

999 CourEDH, arrêt Saadi c. Italie du 28 février 2008 [GC], requête n° 37201/06, §§ 147-148.

1000 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09.

1001 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, §§ 9-19.

1002 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 25.

1003 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, §§ 26-66.

1004 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 188.

1005 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 188. Pour des exemples dans lesquels la CourEDH a estimé que la situation des droits humains était telle qu’elle ne pouvait accorder aucun poids aux assurances diplomatiques fournies, voir CourEDH, arrêts Sultanov c. Russie du 4 novembre 2010, requête n° 15303/09, § 73; Gaforov c. Russie du 21 octobre 2010, requête n° 25404/09,

§ 138; Yuldashev c. Russie du 8 juillet 2010, requête n° 1248/09, § 85; Ismoïlov et autres c. Russie du 24 avril 2008, requête n° 2947/06, § 127.

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« i. le fait que les termes des assurances lui aient ou non été communiqués ; ii. le caractère soit précis soit général et vague des assurances ;

iii. l’auteur des assurances et sa capacité ou non à engager l’Etat d’accueil ; iv. dans les cas où les assurances ont été données par le gouvernement central de l’Etat d’accueil, la probabilité que les autorités locales les respectent ;

v. le caractère légal ou illégal dans l’Etat d’accueil des traitements au sujet desquels les assurances ont été données ;

vi. le fait qu’elles émanent ou non d’un Etat contractant ;

vii. la durée et la force des relations bilatérales entre l’Etat d’envoi et l’Etat d’accueil, y compris l’attitude passée de l’Etat d’accueil face à des assurances analogues ;

viii. la possibilité ou non de vérifier objectivement le respect des assurances données par des mécanismes diplomatiques ou par d’autres mécanismes de contrôle, y compris la possibilité illimitée de rencontrer les avocats du requérant ; ix. l’existence ou non d’un vrai système de protection contre la torture dans l’Etat d’accueil et la volonté de cet Etat de coopérer avec les mécanismes internationaux de contrôle ;

x. le fait que le requérant ait ou non déjà été maltraité dans l’Etat d’accueil ; et xi. l’examen ou l’absence d’examen par les juridictions internes de l’Etat de départ/de l’Etat contractant de la fiabilité des assurances. »1006

372. Lors de son examen de ces différents facteurs dans le cas d’espèce, la CourEDH a tout d’abord fait référence aux rapports des Nations Unies qui attestaient que la torture était encore « routinière et généralisée » en Jordanie.1007 Elle a donc admis qu’en l’absence d’assurances diplomatiques, le requérant courait un risque réel de mauvais traitements en cas de renvoi en Jordanie, ce d’autant plus qu’en tant qu’islamiste, il appartenait à une catégorie de personnes souvent maltraitées en cas de détention.1008 La Cour a ajouté que la situation des droits humains en Jordanie n’était pas telle, qu’aucun poids ne pouvait être accordé aux assurances diplomatiques fournies.1009 Puis, elle a examiné de manière détaillée les assurances données par les autorités jordaniennes.1010 La CourEDH a noté que le mémorandum d’entente était supérieur, tant par sa forme que par son contenu, à toutes les assurances diplomatiques qu’elle avait examinées jusqu’alors et qu’il semblait également supérieur aux assurances diplomatiques présentées au CAT et au CDH.1011 Ce mémorandum, qui était précis et complet, avait fait

1006 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 189.

1007 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 191.

1008 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 192.

1009 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 194.

1010 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, §§ 194-204.

1011 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 194.

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l’objet d’un examen approfondi par une juridiction britannique indépendante.1012 En outre, les assurances diplomatiques avaient été approuvées au plus haut niveau par les autorités jordaniennes, le roi lui-même ayant donné son accord.1013 Selon la CourEDH, la notoriété du requérant signifiait qu’il serait bien traité par les autorités jordaniennes, car des mauvais traitements auraient des conséquences très négatives sur leur relation avec le Royaume-Uni.1014 Enfin, un mécanisme de monitoring était prévu par le mémorandum, une organisation indépendante de protection des droits humains, le centre Adaleh, pouvant rendre visite au requérant, aussi longtemps que durerait sa détention.1015

373. Au vu de ces différents facteurs, la CourEDH est parvenue à la conclusion que M. OTHMAN était suffisamment protégé par le mémorandum d’entente et que son renvoi en Jordanie ne l’exposerait pas à un risque réel de mauvais traitements contraires à l’art. 3 CEDH.1016 Cependant, la Cour a jugé que son renvoi violerait l’art. 6 CEDH, parce qu’il existait un risque réel que les preuves, obtenues au moyen d’actes de torture envers ses co-accusés, soient utilisées contre lui lors de son nouveau procès en Jordanie.1017 374. Les facteurs énumérés dans l’arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni

(2012) illustrent les différents éléments que la CourEDH prend en considération lorsqu’elle évalue la qualité des assurances diplomatiques dans le contexte de l’art. 3 CEDH. Il ressort de sa jurisprudence que les facteurs qui posent souvent problème sont le caractère vague des garanties données1018 et le fait que l’autorité dont elles émanent n’a pas la capacité d’engager l’Etat de destination.1019

2. CDH

375. Le CDH s’est prononcé sur des assurances diplomatiques dans deux affaires concernant l’art. 7 PIDCP. Dans la première, la Communication Alzery c. Suède (2006), il s’agissait de l’expulsion d’un ressortissant égyptien de la Suède vers l’Egypte, où il devait être jugé par un tribunal militaire pour

1012 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 194.

1013 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 195.

1014 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 196.

1015 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, §§ 202-204.

Voir sur ce point HAMDAN (2016), pp. 319-320.

1016 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, § 205.

1017 CourEDH, arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012, requête n° 8139/09, §§ 258-287.

1018 Voir par exemple CourEDH, arrêts Savriddin Dzhurayev c. Russie du 25 avril 2013, requête n° 71386/10, §174;

Yefimova c. Russie du 19 février 2013, requête n° 39786/09, § 203; Kaboulov c. Ukraine du 19 novembre 2009, requête n° 41015/04, § 113; Klein c. Russie du 1er avril 2010, requête n° 24268/08, § 55.

1019 Voir par exemple CourEDH, arrêts Baysakov et autres c. Ukraine du 18 février 2010, requête n° 54131/08, § 51; Soldatenko c. Ukraine du 23 octobre 2008, requête n° 2440/07, § 73.

151 appartenance à une organisation islamiste interdite.1020 L’auteur affirmait avoir été arrêté et torturé en Egypte et avait quitté ce pays pour ne pas être soumis à nouveau à des mauvais traitements.1021 Le gouvernement suédois avait décidé qu’il ne pouvait pas obtenir un permis de séjour pour des raisons de sécurité et avait cherché à obtenir des assurances diplomatiques de la part des autorités égyptiennes concernant le traitement qui lui serait réservé suite à son renvoi.1022 Les autorités égyptiennes s’étaient alors engagées à ce que les droits individuels et fondamentaux de M. ALZERY

soient respectés, conformément à la Constitution et la loi égyptiennes.1023 Toutefois, le droit des autorités suédoises de rendre visite à ce dernier en prison n’avait pas été confirmé. Estimant que ces assurances étaient suffisantes pour ne pas manquer à leur obligation de non-refoulement, les autorités suédoises l’avaient expulsé le 18 décembre 2001 en le remettant à des agents américains et égyptiens.1024

376. M. ALZERY s’est plaint devant le CDH de mauvais traitements avant même son départ de Suède, puis pendant sa détention en Egypte.1025 Concernant les assurances diplomatiques données par les autorités égyptiennes, le CDH a considéré qu’elles étaient largement insuffisantes :

« [L]es assurances données ne prévoyaient aucune modalité permettant de vérifier qu’elles étaient bien respectées. Aucune disposition n’avait été prise, en dehors de la lettre des assurances, pour garantir une application effective de l’accord. Les visites de l’Ambassadeur et du personnel de l’ambassade n’ont commencé que cinq semaines après le retour de l’auteur, c’est-à-dire que rigoureusement aucune surveillance n’a été assurée pendant la période où le risque de préjudice était maximal. De plus la façon dont les visites se déroulaient n’était pas conforme, à bien des égards, à la bonne pratique internationale puisque les visiteurs n’ont jamais insisté pour rencontrer en privé le détenu et qu’aucun examen médical ou médico-légal approprié n’a été effectué, même après que des allégations sérieuses de mauvais traitements eurent été faites. À la lumière de ces éléments, l’État partie n’a pas montré que les assurances diplomatiques qui lui ont été données étaient en effet suffisantes dans le cas d’espèce pour supprimer le risque de mauvais traitements au point que les prescriptions de l’article 7 du Pacte puissent être satisfaites. L’expulsion de l’auteur a donc constitué une violation de l’article 7 du Pacte. »1026

377. Le CDH se concentre ainsi sur la mise en œuvre effective des assurances diplomatiques et sur les moyens de surveillance qui permettent de s’assurer

1020 CDH, Alzery c. Suède du 25 octobre 2006, Communication n° 1416/2005, § 3.3.

1021 CDH, Alzery c. Suède du 25 octobre 2006, Communication n° 1416/2005, §§ 3.1-3.2.

1022 CDH, Alzery c. Suède du 25 octobre 2006, Communication n° 1416/2005, §§ 3.6-3.8.

1023 CDH, Alzery c. Suède du 25 octobre 2006, Communication n° 1416/2005, § 3.7.

1023 CDH, Alzery c. Suède du 25 octobre 2006, Communication n° 1416/2005, § 3.7.