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Chapitre 2 : L’évaluation du risque

C. Le refoulement vers un pays tiers sûr (refoulement indirect)

394. La protection contre le refoulement interdit également le renvoi vers un Etat tiers, dans lequel il existe un risque que la personne soit renvoyée vers l’Etat où elle serait en danger ; elle s’étend donc au refoulement indirect, également appelé « refoulement en chaîne ».1080 Cela étant, dans l’hypothèse où l’Etat tiers dans lequel la personne doit être renvoyée est considéré comme sûr, le risque de refoulement indirect peut être considéré comme écarté. Dans un tel cas, l’Etat de renvoi ne viole pas le principe de non-refoulement en procédant au renvoi de cette personne vers le pays tiers sûr.

395. Plusieurs auteurs de doctrine considèrent ainsi que le principe de non-refoulement, tel qu’il est garanti en droit international des réfugiés, n’empêche pas les Etats de renvoyer les personnes vers des pays tiers considérés comme sûrs.1081 D’autres estiment au contraire que le concept de pays tiers sûr est difficilement compatible avec la Convention de Genève de 1951.1082 Une analyse détaillée de la légalité du concept de pays tiers sûr dépasse le cadre de la présente étude, néanmoins l’importance de celui-ci dans la pratique actuelle du droit des migrations nous a convaincu de le traiter ci-après, les Etats l’invoquant fréquemment comme remède contre le risque de persécution ou de mauvais traitement dans l’Etat de destination.

1. CourEDH

396. La plupart des cas dans lesquels la CourEDH a été confrontée à la thématique du refoulement indirect concernaient des demandeurs d’asile qui étaient renvoyés d’un Etat européen vers un autre en application du

1078 AGNU, Rapport du Rapporteur Spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels ou dégradants, 3 février 2011, UN Doc. A/HRC/16/52, §§ 62-63.

1079 DELAS (2011), p. 334. Pour les critiques de la doctrine, voir notamment JOHNSTON (2011), pp. 18-28; NOWAK (2011), pp. 130-132; IZUMO (2010), pp. 276-277; WOUTERS (2009), pp. 560-562; BRUIN/WOUTERS (2003), p. 29.

1080 WOUTERS (2009), pp. 140-141; GOODWIN-GILL/MCADAM (2007), p. 395; LAUTERPACHT/BETHLEHEM (2003), p. 115.

1081 WOUTERS (2009), p. 141; GOODWIN-GILL/MCADAM (2007), p. 395; LAUTERPACHT/BETHLEHEM (2003), p. 154.

1082 Voir dans ce sens GIL-BAZO (2006), pp. 598-599; CHETAIL (2001), p. 26.

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système dit de Dublin.1083 En effet, selon le Règlement de Dublin III, tous les Etats membres de l’UE respectent le principe de non-refoulement et sont présumés sûrs.1084 Le système de Dublin prévoit des règles permettant de déterminer l’Etat membre responsable pour examiner une demande d’asile déposée par un ressortissant d’un pays tiers.1085 De manière générale, l’Etat dans lequel la personne arrive en premier lieu est responsable pour traiter la demande d’asile.1086 Aussi, lorsqu’il est établi que l’individu a déjà été enregistré comme demandeur d’asile dans un Etat partie au Règlement, il est renvoyé vers cet Etat aux fins de traiter sa demande. L’un des objectifs de cette règlementation européenne consiste à éviter que les demandeurs d’asile déposent des demandes multiples dans différents Etats et se retrouvent ainsi « en orbite » entre ceux-ci.1087 Le système instauré par le Règlement de Dublin a suscité de nombreuses critiques, notamment du fait qu’il ne permet pas de garantir à toutes les personnes cherchant protection un accès effectif à une procédure d’asile et qu’il impose un poids considérable sur les Etats du sud-est de l’Europe, par lesquels arrivent un grand nombre de celles-ci.1088

397. La CourEDH a pour la première fois été confrontée à la question du refoulement indirect dans le cadre du Règlement de Dublin dans l’affaire T.I. c. Royaume-Uni (2000), qui concernait le transfert d’un demandeur d’asile sri-lankais par le Royaume-Uni vers l’Allemagne.1089 Dans cette décision, la CourEDH a noté que le refoulement indirect vers un pays tiers ne modifiait en rien la responsabilité de l’Etat de renvoi de veiller à ne pas exposer la personne à un traitement contraire à l’art. 3 CEDH.1090 La Cour a ajouté que le Royaume-Uni ne pouvait se reposer sur le système de Dublin pour s’exonérer de toute responsabilité vis-à-vis de la CEDH.1091 La CourEDH a enfin examiné s’il existait un risque que l’Allemagne expulse le requérant vers le Sri Lanka et estimé qu’un tel risque n’était pas établi.1092 En d’autres termes, la CourEDH a considéré que l’Allemagne était un pays tiers sûr pour

1083 DE WECK (2016), p. 435. Pour une description du système de Dublin, voir FrancescoMAIANI, The Reform of the Dublin III Regulation, Brussels 2016, pp. 11-16.

1084 Règlement UE N°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte), JO L 180 du 29 juin 2013, p. 31, consid. 3. Ce Règlement s’applique aux 28 Etats membres de l’UE ainsi qu’à la Suisse, la Norvège et l’Islande. Sur la genèse et les objectifs du Règlement Dublin III, voir MAIANI (2015), pp. 291-296.

1085 MAIANI (2016), p. 104; MONNET (2015), p. 365; GOODWIN-GILL/MCADAM (2007), pp. 400-401.

1086 Art. 13 para. 1 du Règlement UE N°604/2013. Voir également MAIANI (2016), pp. 104-105.

1087 GOODWIN-GILL/MCADAM (2007), p. 401.

1088 Voir par exemple MAIANI/HRUSCHKA (2011), p. 12; GOODWIN-GILL/MCADAM (2007), pp. 401-402.

1089 CourEDH, décision T.I. c. Royaume-Uni du 7 mars 2000, requête n° 43844/98.

1090 Ibid.

1091 Ibid.

1092 Ibid.

161 le requérant et que le Royaume-Uni pouvait par conséquent renvoyer le requérant vers cet Etat sans enfreindre l’art. 3 CEDH.

398. La CourEDH a également traité du risque de refoulement indirect dans l’affaire K.R.S. c. Royaume-Uni (2008), qui concernait le renvoi du requérant par les autorités britanniques vers la Grèce, Etat dans lequel il avait transité avant de demander l’asile au Royaume-Uni. Le requérant affirmait qu’il existait un risque que les autorités grecques le renvoyent vers l’Iran, son pays d’origine.1093 Dans cette décision, la CourEDH a pris en compte la recommandation du HCR de ne pas renvoyer les requérants d’asile vers la Grèce à cause du manque d’accès à une procédure d’asile équitable. Elle a cependant considéré que la Grèce ne renvoyait pas de requérants d’asile en Iran et qu’il y avait lieu de présumer que les autorités grecques respectaient leurs obligations découlant du Règlement de Dublin et des directives européennes en matière d’asile.1094 Enfin, la CourEDH a noté que le gouvernement grec avait donné des assurances aux demandeurs d’asile quant au droit de recourir contre une décision d’expulsion et ainsi qu’à la possibilité de la saisir d’une demande de mesures provisionnelles.1095 Au regard de ces différents éléments, la CourEDH a jugé que les autorités britanniques n’enfreindraient pas l’art. 3 CEDH si elles procédaient au renvoi du requérant vers la Grèce.

399. La CourEDH se fonde ainsi sur la présomption que l’Etat de destination respecte ses obligations en vertu du Règlement de Dublin et du principe de non-refoulement, tel que garanti par l’art. 3 CEDH. Néanmoins, cette présomption est réfragable, comme l’a mis en exergue l’affaire M.S.S. c.

Belgique et Grèce (2011) déjà évoquée.1096 Dans cet arrêt, qui concernait le renvoi d’un demandeur d’asile afghan par la Belgique vers la Grèce en vertu du Règlement Dublin, la Grande Chambre a tout d’abord opéré une distinction avec l’affaire K.R.S. c. Royaume-Uni (2008) susmentionnée.1097 En effet, de nombreux rapports et informations étaient venus compléter les éléments dont elle avait connaissance au moment de cette décision, lesquels attestaient des défaillances de la procédure d’asile grecque ainsi que de pratiques de refoulement, direct ou indirect, individuel ou collectif, de la part des autorités grecques.1098 La Grande Chambre a également accordé un poids déterminant à une lettre adressée par le HCR à la Ministre belge de l’immigration, qui recommandait la suspension des transferts vers la Grèce.1099 Au vu de tous ces éléments, la Grande Chambre a considéré que

1093 CourEDH, décision K.R.S. c. Royaume-Uni du 2 décembre 2008, requête n° 32733/08.

1094 CourEDH, décision K.R.S. c. Royaume-Uni du 2 décembre 2008, requête n° 32733/08.

1095 CourEDH, décision K.R.S. c. Royaume-Uni du 2 décembre 2008, requête n° 32733/08.

1096 CourEDH, arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 [GC], requête n° 30696/09.

1097 CourEDH, arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 [GC], requête n° 30696/09, § 347.

1098 CourEDH, arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 [GC], requête n° 30696/09, § 347.

1099 CourEDH, arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 [GC], requête n° 30696/09, § 349.

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les autorités belges avaient connaissance de la situation en Grèce et ne pouvaient donc pas faire peser toute la charge de la preuve sur le requérant.1100 Elle a ajouté qu’au moment de l’expulsion, ces mêmes autorités « savaient ou devaient savoir » que le requérant ne disposait d’aucune garantie que sa demande d’asile soit examinée de manière sérieuse par les autorités grecques.1101 Par conséquent, la Grande Chambre a renversé la présomption que la Grèce respectait ses obligations et a jugé qu’il convenait pour les autorités belges, au vu de la situation dans cet Etat :

« de ne pas se contenter de présumer que le requérant recevrait un traitement conforme aux exigences de la Convention mais au contraire de s’enquérir, au préalable, de la manière dont les autorités grecques appliquaient la législation en matière d’asile en pratique. »1102

Etant donné tous ces éléments, la Grande Chambre a conclu que la Belgique avait violé l’art. 3 CEDH en transférant le requérant vers la Grèce.1103 En outre, la Grande Chambre a souligné que la Belgique aurait pu faire usage de la clause de souveraineté prévue par le Règlement de Dublin afin d’examiner la demande d’asile du requérant et d’éviter ainsi son renvoi vers la Grèce.1104

400. La CourEDH estime donc que lorsqu’ils appliquent le Règlement de Dublin, les Etats parties à la CEDH ne peuvent pas le faire de manière automatique en se fondant sur la présomption que tous les Etats parties au Règlement respectent le principe de non-refoulement.1105 L’affaire M.S.S. c.

Belgique et Grèce a eu d’importantes répercussions, puisque les Etats parties au Règlement Dublin ont suspendu les renvois vers la Grèce suite à l’arrêt de la Grande Chambre.1106 Peu après, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt similaire, confirmant le caractère réfragable de la présomption de respect du droit de l’Union et des droits fondamentaux dans le cadre du Règlement Dublin et l’illégalité du renvoi si la personne court un risque réel d’être soumise à un traitement inhumain ou dégradant dans le pays de destination.1107

1100 CourEDH, arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 [GC], requête n° 30696/09, § 352.

1101 CourEDH, arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 [GC], requête n° 30696/09, § 358.

1102 CourEDH, arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 [GC], requête n° 30696/09, § 359.

1103 CourEDH, arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 [GC], requête n° 30696/09, § 360.

1104 CourEDH, arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011 [GC], requête n° 30696/09, §§ 339-340. Voir également MAIANI/HRUSCHKA (2011), p. 18.

1105 Voir dans ce sens DE WECK (2016), p. 438; MAIANI/HRUSCHKA (2011), p. 15.

1106 A titre d’exemple, la Suisse a suspendu les renvois vers la Grèce suite à une décision du TAF qui reprenait le raisonnement de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce. Voir TAF, arrêt D-2076/2010 du 16 août 2011, publié sous ATAF 2011/35.

1107 CJUE, arrêt N.S. c. Secretary of State for the Home Department et M. E., A. S. M., M. T., K. P., E. H. c. Refugee Applications Commissioner, Minister for Justice, Equality and Law Reform du 21 décembre 2011, requêtes n°

C-411/10 et C-493/10.

163 401. Il convient de noter que l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce (2011) reste

exceptionnel, car la CourEDH s’est refusée jusqu’ici à admettre des défaillances systémiques concernant les procédures d’asile dans d’autres Etats que la Grèce. Par exemple, la Cour a considéré un renvoi par l’Autriche vers la Hongrie sur la base du Règlement Dublin comme conforme à l’art. 3 CEDH dans l’arrêt Mohammed c. Autriche (2013), malgré divers rapports alarmants concernant la mise en détention des demandeurs d’asile par les autorités hongroises.1108 Dans cette affaire, portée par un demandeur d’asile d’origine soudanaise, la CourEDH s’est fondée notamment sur le fait que le HCR n’avait jamais émis de recommandation quant à la suspension des transferts vers la Hongrie en vertu du Règlement Dublin, contrairement au cas de la Grèce.1109 La Cour a conclu que le requérant n’avait pas démontré un risque réel d’être soumis à des mauvais traitements en cas de renvoi vers le Soudan et qu’il aurait un accès suffisant à une procédure d’asile en Hongrie.1110 De même, dans l’arrêt Tarakhel c. Suisse (2014) évoqué plus haut dans ce chapitre, la Cour n’a pas admis de défaillances systémiques dans l’accueil des demandeurs d’asile en Italie, bien que divers rapports affirment le contraire.1111

402. Dans l’arrêt Tarakhel c. Suisse, la CourEDH a néanmoins estimé que la situation individuelle des requérants, en l’espèce une famille de demandeurs d’asile afghans comprenant un couple et six enfants, nécessitait une protection spéciale car ils étaient particulièrement vulnérables.1112 La CourEDH a ainsi jugé que dans le cas où les autorités suisses renvoyaient les requérants vers l’Italie, sans avoir obtenu préalablement des garanties concernant une prise en charge adaptée à l’âge des enfants et la préservation de l’unité familiale, elles contreviendraient à l’art. 3 CEDH.1113 La CourEDH a ainsi conditionné la légalité du renvoi à l’octroi de telles garanties par l’Etat de destination. Il convient toutefois de préciser que cette jurisprudence n’est applicable que lorsque le ou les requérant(s) sont considérés comme des personnes particulièrement vulnérables.1114 En effet, dans la décision A.M.E.

c. Pays-Bas (2015), qui concernait le renvoi d’un demandeur d’asile somalien vers l’Italie, la CourEDH a considéré qu’il s’agissait d’un jeune homme bien portant sans personne à charge et que son renvoi ne contreviendrait pas à l’art. 3 CEDH.1115 Dans cette décision, la Cour a indiqué que la situation en Italie ne pouvait nullement être comparée à celle qui prévalait en Grèce au

1108 CourEDH, arrêt Mohammed c. Autriche du 6 juin 2013, requête n° 2283/12, §§ 97-102.

1109 CourEDH, arrêt Mohammed c. Autriche du 6 juin 2013, requête n° 2283/12, § 105.

1110 CourEDH, arrêt Mohammed c. Autriche du 6 juin 2013, requête n° 2283/12, §§ 109-110.

1111 CourEDH, arrêt Tarakhel c. Suisse du 4 novembre 2014 [GC], requête n° 29217/12, §§ 111-114.

1112 CourEDH, arrêt Tarakhel c. Suisse du 4 novembre 2014 [GC], requête n° 29217/12, §§ 119-121.

1113 CourEDH, arrêt Tarakhel c. Suisse du 4 novembre 2014 [GC], requête n° 29217/12, § 122.

1114 Sur ce point, voir supra section II.B.2.2.1.

1115 CourEDH, décision A.M.E. c. Pays-Bas du 13 janvier 2015, requête n° 51428/10, § 34.

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moment de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce (2011) et a déclaré le recours manifestement mal-fondé.1116

403. Enfin, dans l’arrêt A.S. c. Suisse (2015), la Cour a jugé que le renvoi vers l’Italie du requérant, un demandeur d’asile syrien présentant des symptômes sévères de trouble de stress post-traumatique, n’emporterait pas violation de l’art. 3 CEDH, puisque celui-ci devrait recevoir le traitement psychologique et les antidépresseurs appropriés suite à son renvoi vers l’Italie.1117 Bien qu’elle ait rappelé sa conclusion de l’affaire Tarakhel c. Suisse (2014), selon laquelle l’hypothèse qu’un nombre important de demandeurs d’asile soient privés d’hébergement en Italie ou hébergés dans des structures surpeuplées dans de mauvaises conditions ne pouvait être écartée, la CourEDH n’en a pas moins considéré le renvoi comme conforme à l’art. 3 CEDH.1118

404. Concernant le refoulement indirect, la CourEDH a rappelé dans l’arrêt Sharifi et autres c. Italie et Grèce (2014) qu’il revient à l’État qui procède au renvoi de s’assurer, y compris dans le cadre du Règlement de Dublin, que l’Etat de destination « offre des garanties suffisantes permettant d’éviter que la personne concernée ne soit expulsée vers son pays d’origine sans une évaluation des risques qu’elle court. »1119 Dans le cadre d’un renvoi fondé sur le Règlement de Dublin, la présomption selon laquelle l’Etat de destination respecte l’art. 3 CEDH peut être réfutée, lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne renvoyée encourt un risque réel d’être soumise à des traitements contraires à cette disposition dans cet Etat.1120 Toutefois, les cas dans lesquels la CourEDH a réfuté ladite présomption restent rares.

405. Par ailleurs, le risque de refoulement indirect dans un Etat se trouvant hors du Règlement Dublin a été abordé par la Grande Chambre dans l’arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie (2012) déjà mentionné.1121 Dans cette affaire, la CourEDH a rappelé que même en cas de refoulement indirect, l’Etat contractant qui procède au renvoi a la responsabilité de s’assurer que les personnes ne sont pas exposées à un risque réel de traitement contraire à l’art. 3 CEDH.1122 Ledit Etat doit donc veiller à ce que le pays intermédiaire offre des garanties suffisantes, permettant d’éviter que la personne ne soit renvoyée vers son Etat d’origine, sans qu’une évaluation des risques

1116 CourEDH, décision A.M.E. c. Pays-Bas du 13 janvier 2015, requête n° 51428/10, §§ 35 et 37.

1117 CourEDH, arrêt A.S. c. Suisse du 30 juin 2015, requête n° 39350/13, §§ 36-38.

1118 Ibid.

1119 CourEDH, arrêt Sharifi et autres c. Italie et Grèce du 21 octobre 2014, requête n° 16643/09, § 232.

1120 CourEDH, arrêt Tarakhel c. Suisse du 4 novembre 2014 [GC], requête n° 29217/12, §§ 103-104.

1121 CourEDH, arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie du 23 février 2012 [GC], requête n° 27765/09.

1122 CourEDH, arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie du 23 février 2012 [GC], requête n° 27765/09, § 146.

165 encourus dans ce dernier n’ait été effectuée.1123 En l’espèce, la CourEDH a jugé que les autorités libyennes n’avaient pas apporté de garanties suffisantes pour protéger les requérants contre un refoulement arbitraire vers leurs pays d’origine, à savoir l’Erythrée et la Somalie, et que par conséquent l’Italie avait violé l’art. 3 CEDH en les renvoyant vers la Libye.1124

406. Ainsi, lorsqu’un Etat membre du Conseil de l’Europe procède à un renvoi vers un pays tiers, il ne peut le faire que dans le respect des principes élaborés par la CourEDH. L’Etat de renvoi doit ainsi s’assurer que l’Etat de destination, qu’il soit partie au Règlement de Dublin ou non, offre des garanties suffisantes pour permettre d’écarter le risque que la personne soit par la suite renvoyée vers son Etat d’origine, sans qu’une évaluation du risque qu’elle encourt dans celui-ci ne soit effectuée.

2. CDH

407. Le CDH a reconnu l’interdiction de refoulement indirect dans son Observation générale n° 31, dans laquelle il a indiqué que l’interdiction de refoulement découlant de l’art. 7 PIDCP s’applique lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable « dans le pays vers lequel soit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite ».1125

408. Le CDH s’est penché sur la question du refoulement indirect dans huit communications individuelles, les Communications Jasin c. Danemark (2015)1126, Ali et Mohamad c. Danemark (2016)1127, Ahmed c. Danemark (2016)1128, R.A.A et Z.M. c. Danemark (2016)1129, Raziyeh Rezaifar c. Danemark (2017)1130, Y.A.A. et F.H.M. c. Danemark (2017)1131, R.I.H. et S.M.D. c. Danemark (2017)1132 et Hibaq Said Hashi c. Danemark (2017).1133

409. Dans sept de ces affaires, le CDH a jugé que le renvoi des requérants, des femmes seules ou des couples, avec leurs enfants vers l’Italie1134,

1123 CourEDH, arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie du 23 février 2012 [GC], requête n° 27765/09, § 147.

1124 CourEDH, arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie du 23 février 2012 [GC], requête n° 27765/09, §§ 156-158.

1125 CDH, Observation générale n° 31 (2004), § 12. Voir également WOUTERS (2009), p. 407.

1126 CDH, Jasin c. Danemark du 22 juillet 2015, Communication n° 2360/2014.

1127 CDH, Ali et Mohamad c. Danemark du 29 mars 2016, Communication n° 2409/2014, §§ 7.8 et 7.9.

1128 CDH, Ahmed c. Danemark du 7 juillet 2016, Communication n° 2379/2014.

1129 CDH, R.A.A et Z.M. c. Danemark du 28 octobre 2016, Communication n° 2608/2015, §§ 7.8 et 7.9.

1130 CDH, Raziyeh Rezaifar c. Danemark du 10 mars 2017, Communication n° 2512/2014.

1131 CDH, Y.A.A. et F.H.M. c. Danemark du 10 mars 2017, Communication n° 2681/2015.

1132 CDH, R.I.H. et S.M.D. c. Danemark du 13 juillet 2017, Communication n° 2640/2015.

1133 CDH, Hibaq Said Hashi c. Danemark du 28 juillet 2017, Communication n° 2470/2014.

1134 CDH, Hibaq Said Hashi c. Danemark du 28 juillet 2017, Communication n° 2470/2014 ; CDH, Y.A.A. et F.H.M.

c. Danemark du 10 mars 2017, Communication n° 2681/2015 ; Raziyeh Rezaifar c. Danemark du 10 mars

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respectivement la Bulgarie1135, en vertu du Règlement de Dublin contreviendrait à l’art. 7 PIDCP. Il a en effet estimé que les pays de destination n’avaient pas mis en place les conditions nécessaires pour acueillir des familles avec des enfants.1136 Cependant, dans la Communication R.I.H. et S.M.D. c. Danemark (2017), le CDH a conclu que les requérants n’avaient pas démontré en quoi leur renvoi en Bulgarie était manifestement déraisonnable ou arbitraire ; par conséquent, il a écarté une violation de l’art. 7 PIDCP. 1137 Il apparaît que dans plusieurs de ces affaires le CDH s’est inspiré de l’arrêt Tarakhel c. Suisse (2014) de la CourEDH.1138

3. CAT

410. Selon l’art. 3 CCT, aucun Etat partie ne doit expulser, refouler, ni extrader une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture, cette interdiction incluant le refoulement indirect.1139 Dans son Observation générale n° 1, le CAT a en effet indiqué que l’expression « autre Etat » inclut l’Etat vers lequel la personne est refoulée ainsi que tout autre Etat où celle-ci peut être refoulée ultérieurement.1140 L’interdiction de refoulement indirect découlant de l’art.

3 CCT a été confirmée dans plusieurs communications.1141 Dans deux affaires, le CAT s’est penché de manière plus approfondie sur la question du refoulement indirect car elles concernaient un renvoi vers un pays tiers sûr.

411. Ainsi, dans la Communication Korban c. Suède (1998), l’auteur d’origine irakienne était menacé d’être renvoyé en Jordanie, Etat duquel sa femme était ressortissante et dans lequel il avait résidé avant de partir pour la

411. Ainsi, dans la Communication Korban c. Suède (1998), l’auteur d’origine irakienne était menacé d’être renvoyé en Jordanie, Etat duquel sa femme était ressortissante et dans lequel il avait résidé avant de partir pour la