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Chapitre 2 : L’évaluation du risque

A. L’alternative de protection interne

338. Une alternative de protection interne913 existe lorsque la personne qui risque d’être soumise à des actes de persécution, de torture ou des mauvais traitements peut trouver refuge dans une zone de son pays d’origine, dans laquelle elle se trouve à l’abri.914 Il est dès lors présumé que le risque est limité à une zone géographique spécifique du pays d’origine et qu’il n’existe pas dans d’autres régions dudit pays.915 L’alternative de protection interne est fréquemment invoquée par les Etats d’accueil pour démontrer l’inexistence du risque allégué par la personne cherchant protection.916 Si la notion d’alternative de protection interne est issue du droit international des

913 Nous avons choisi d’employer l’expression « alternative de protection interne » car elle permet de mieux cibler l’essence de ce concept qui se fonde sur la protection, comme le défendent James C. HATHAWAY et Michelle FOSTER.Voir HATHAWAY/FOSTER (2014),p. 334. Voir dans le même sens WOUTERS (2009), p. 104. Cette expression correspond à celle utilisée dans la Directive Qualification. Voir Directive 2011/95/UE, art. 8.

Toutefois, le HCR utilise généralement l’expression de « possibilité de fuite interne ». HCR, Guide (1992), § 91. Il en va de même de la CourEDH. Ces différentes expressions pouvant être considérées comme des synonymes, nous utiliserons donc de manière générale l’expression d’alternative de protection interne dans le présent chapitre.

914 DELAS (2011), p. 290; WOUTERS (2009), p. 288.

915 WOUTERS (2009), pp. 288-289.

916 Sur la notion de possibilité de protection interne, voir notamment James C. HATHAWAY/Michelle FOSTER, La possibilité de protection interne/réinstallation interne/fuite interne comme aspect de la procédure de détermination du statut de réfugié, in: FELLER ERIKA/VOLKER TÜRK/NICHOLSON FRANCES, La protection des réfugiés en droit international (2008), pp. 403-469; Hugo STOREY, ”The International Flight Alternative Test: The Jurisprudence Re-examined”, International Journal of Refugee Law, Vol. 10, 1998, pp. 499-532. Voir également HATHAWAY/FOSTER (2014),pp.332-361.

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réfugiés, les instances internationales de protection des droits humains étudiées l’appliquent également dans certains cas d’espèce. Il en va de même du TAF, qui en fait souvent usage.

1. CourEDH

339. La CourEDH a indiqué qu’il ne suffit pas de démontrer qu’un risque réel de mauvais traitement existe, il faut également établir que les autorités du de l’Etat de destination ne sont pas en mesure d’y obvier par une protection appropriée.917 Ainsi, lorsque l’Etat en question peut apporter sa protection, la personne doit solliciter celle-ci plutôt que celle d’un autre Etat.918 Pour considérer qu’il existe une protection appropriée, il faut que l’Etat ait la capacité et la volonté d’accorder sa protection à la personne en question.919 Dans le cadre de la protection dans l’Etat de destination, se pose également la question de l’alternative de protection interne.

340. L’alternative de protection interne a été examinée par la CourEDH dans plusieurs affaires. Lorsqu’un Etat partie invoque une possibilité de refuge interne dans une région spécifique du pays de destination, la CourEDH évalue s’il existe un risque réel de mauvais traitement dans celle-ci. La CourEDH a pour la première fois envisagé une possibilité de protection interne dans l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni (1996), bien qu’elle n’ait pas expressément fait référence à ce concept.920 Contrairement aux arguments avancés par le gouvernement britannique, la CourEDH s’est déclarée non convaincue que le requérant, originaire du Pendjab, en Inde, puisse trouver refuge dans d’autres régions de la République indienne que le Pendjab, où la police le menaçait de mauvais traitements, étant donné que cette dernière se livrait à des incursions dans certaines de ces autres régions.921

341. Dans l’arrêt Hilal c. Royaume-Uni (2001), la Cour a cette fois explicitement évalué l’alternative de protection interne, invoquée à nouveau par le gouvernement britannique.922 Etant donné les violations endémiques des droits humains répertoriées dans la partie continentale de la Tanzanie, la CourEDH a estimé que la possibilité de protection interne n’offrait pas une garantie suffisamment fiable contre les mauvais traitements encourus par M. HILAL.923 En revanche, dans l’arrêt Thampibillai c. Pays-Bas (2004), la

917 CourEDH, arrêt H.L.R. c. France du 29 avril 1997 [GC], requête n° 24573/1994, § 40.

918 WOUTERS (2009), p. 287.

919 CourEDH, arrêt N. c. Finlande du 26 juillet 2005, requête n° 38885/02, § 164. Voir également WOUTERS (2009), p. 288.

920 CourEDH, arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996 [GC], requête n° 22414/93. Voir également DE WECK (2016), p. 402.

921 CourEDH, arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996 [GC], requête n° 22414/93, §§ 98-107.

922 CourEDH, arrêt Hilal c. Royaume-Uni du 6 mars 2001, requête n° 45276/99, § 67.

923 CourEDH, arrêt Hilal c. Royaume-Uni du 6 mars 2001, requête n° 45276/99, §§ 67-68.

137 CourEDH a considéré que l’on pouvait attendre du requérant, un ressortissant sri-lankais d’ethnie tamoule, qu’il s’installe dans une zone du Sri Lanka contrôlée par les LTTE, s’il avait des craintes à l’égard des autorités sri-lankaises.924

342. Dans sa jurisprudence plus récente, la CourEDH a précisé que la possibilité de fuite interne nécessite que certaines conditions soient remplies.

Aussi, dans l’arrêt Salah Sheekh c. Pays-Bas (2007), elle a indiqué :

« [P]our qu'un Etat puisse valablement invoquer l'existence d'une possibilité de fuite interne, certaines garanties doivent être réunies : la personne dont l'expulsion est envisagée doit être en mesure d'effectuer le voyage vers la zone concernée et d'obtenir l'autorisation d'y pénétrer et de s'y établir, faute de quoi il peut y avoir un problème sous l'angle de l'article 3, surtout si en l'absence de pareilles garanties la possibilité existe que la personne concernée échoue dans une partie de son pays d'origine où elle risque de subir des mauvais traitements. »925

En d’autres termes, les trois conditions nécessaires pour conclure à l’existence d’une alternative de protection interne sont les suivantes : a) la personne peut voyager vers la zone du pays visée ; b) elle a l’autorisation de pénétrer dans cette zone ; et c) elle peut s’y installer. Ces conditions ont été rappelées dans divers jugements ultérieurs.926 En outre, comme cela déjà été mentionné, il faut que la zone en question soit exempte de risque réel de mauvais traitement.927

343. Dans l’affaire Salah Sheekh c. Pays-Bas (2007) déjà évoquée, la Cour a rejeté l’alternative de protection interne car les autorités du Somaliland et du Puntland, les deux régions de Somalie que le gouvernement néerlandais considérait comme sûres, avaient indiqué que le requérant n’obtiendrait pas l’autorisation de s’y établir, ce qui impliquait un risque réel que ce dernier soit obligé de rejoindre une zone du pays jugée incertaine.928

344. Concernant la Somalie, l’arrêt Sufi et Elmi c. Royaume-Uni (2011) apporte une analyse approfondie de la situation particulière de cet Etat et des alternatives de protection interne envisageables. Ainsi, la CourEDH a examiné de manière détaillée les possibilités de protection interne qui s’offraient aux deux requérants dans le sud et le centre du pays. Tout d’abord, la Cour a noté qu’étant donné la crise humanitaire qui régnait en Somalie à ce moment-là et la prédominance de la structure clanique traditionnelle, une personne renvoyée ne pouvait pas trouver refuge dans une région du pays, dans laquelle elle n’avait pas de relations familiales

924 CourEDH, arrêt Thampibillai c. Pays-Bas du 17 février 2004, requête n° 61350/00, § 67.

925 CourEDH, arrêt Salah Sheekh c. Pays-Bas du 11 janvier 2007, requête n° 1948/04, § 141.

926 Voir par exemple CourEDH, arrêts M.Y.H. et autres c. Suède du 27 juin 2013, requête n° 50859/10, § 62;

Husseini c. Suède du 13 octobre 2011, requête n° 10611/09, § 97; Sufi et Elmi c. Royaume-Uni du 28 juin 2011, requêtes n° 8319/07 et n° 11449/07, § 266.

927 WOUTERS (2009), p. 288.

928 CourEDH, arrêt Salah Sheekh c. Pays-Bas du 11 janvier 2007, requête n° 1948/04, §§ 142-143.

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étroites.929 Puis la CourEDH a indiqué que les régions du sud et du centre de la Somalie se trouvaient sous le contrôle d’al-Shabaab, un groupe islamiste qui fait une interprétation stricte de la charia.930 Etant donné que les requérants vivaient en Grande-Bretagne depuis de nombreuses années, la Cour a admis qu’ils risquaient d’attirer l’attention de ce groupe, par manque de respect de ses règles, et qu’il existait par conséquent un risque qu’ils soient soumis à des traitements contraires à l’art. 3 CEDH.931

345. Dans cet arrêt, la CourEDH a également envisagé les camps du HCR pour personnes réfugiées ou déplacées comme alternatives de protection interne.932 En effet, puisqu’elle a admis que le sud et le centre de la Somalie n’offraient pas d’alternative de protection interne, elle a envisagé que les requérants puissent rejoindre des camps du HCR, notamment ceux de Dadaab au Kenya, dans lesquels les conditions humanitaires étaient très précaires, ce qui impliquait également un risque de violation de l’art. 3 CEDH.933 Au vu de la situation des deux requérants, le premier étant originaire d’une zone contrôlée par al-Shabaab dans le sud de la Somalie, le second n’ayant aucun lien familial ni dans le sud ni le centre de ce pays, tous deux étant par ailleurs menacés de renvoi vers des régions sous le contrôle d’al-Shabaab ou vers des camps du HCR, la CourEDH a conclu qu’il n’existait aucune alternative de fuite interne pour eux en Somalie.934 De par l’analyse détaillée qu’il propose concernant la notion d’alternative de protection interne, cet arrêt constitue une référence en la matière.

346. Cela étant, il convient de préciser que, selon la CourEDH, des considérations socio-économiques ou humanitaires ne suffisent généralement pas à écarter l’alternative de protection interne, comme cela ressort de l’arrêt Husseini c. Suède (2011).935 Dans cette affaire qui concernait le renvoi d’un demandeur d’asile afghan originaire de la province de Ghazni, la CourEDH a estimé qu’il disposait d’une alternative de protection interne dans d’autres régions d’Afghanistan, notamment dans les villes de Kaboul ou de Mazar-e Sharif.936 Par la suite, la CourEDH a réitéré que

929 CourEDH, arrêt Sufi et Elmi c. Royaume-Uni du 28 juin 2011, requêtes n° 8319/07 et n°11449/07, § 267.

930 CourEDH, arrêt Sufi et Elmi c. Royaume-Uni du 28 juin 2011, requêtes n° 8319/07 et n°11449/07, §§ 272-274.

931 CourEDH, arrêt Sufi et Elmi c. Royaume-Uni du 28 juin 2011, requêtes n° 8319/07 et n°11449/07, §§ 275-277.

932 Voir sur ce point HAMDAN (2016), p. 295.

933 CourEDH, arrêt Sufi et Elmi c. Royaume-Uni du 28 juin 2011, requêtes n° 8319/07 et n°11449/07, §§ 284-292.

934 CourEDH, arrêt Sufi et Elmi c. Royaume-Uni du 28 juin 2011, requêtes n° 8319/07 et n°11449/07, §§ 302-304 et 310-312.

935 CourEDH, arrêt Husseini c. Suède du 13 octobre 2011, requête n° 10611/09, § 97. Voir également CourEDH, arrêt Salah Sheekh c. Pays-Bas du 11 janvier 2007, requête n° 1948/04, § 141.

936 CourEDH, arrêt Husseini c. Suède du 13 octobre 2011, requête n° 10611/09, §§ 95-98.

139 Kaboul devait être considérée comme une alternative de refuge interne acceptable.937

347. Dans huit arrêts adoptés le 27 juin 2013, la CourEDH a considéré que les requérants, des demandeurs d’asile irakiens déboutés, disposaient d’une alternative de protection interne en Irak. Dans les deux premières affaires, qui concernaient des requérants alléguant un risque d’être soumis à des crimes d’honneur, la Cour a estimé qu’ils pouvaient s’installer dans le sud ou le centre de l’Irak.938 Dans les six autres arrêts, la CourEDH a jugé que les requérants, appartenant à la minorité de religion chrétienne, pouvaient s’installer dans la région du Kurdistan afin d’échapper aux persécutions dont ils faisaient l’objet à cause de leur religion.939 A la lumière de ces arrêts, il semblerait que la CourEDH soit plus disposée à admettre l’existence d’une alternative de protection interne lorsque le risque de mauvais traitements provient d’acteurs non-étatiques.940 La situation en Irak étant très complexe depuis de nombreuses années, il apparaît néanmoins difficile de tirer des conclusions par trop définitives concernant les zones offrant une réelle alternative de protection interne dans ce pays.

348. Au regard de la jurisprudence de la CourEDH évoquée ci-dessus, lorsqu’il existe une alternative de protection interne dans le pays de destination, cette solution permet d’écarter le risque réel de mauvais traitements que celui ou celle qui la saisit encourt dans d’autres régions du pays. Trois conditions sont néanmoins nécessaires pour qu’une telle alternative soit retenue : la personne doit pouvoir voyager vers la zone du pays visée, elle doit avoir l’autorisation de pénétrer dans cette zone et elle doit pouvoir s’y installer. En outre, pour pouvoir être qualifiée d’alternative de protection interne, la zone elle-même doit être considérée comme sûre, c’est-à-dire exempte de risque de mauvais traitements.

2. CDH

349. A ce jour, le CDH a envisagé l’alternative de protection interne dans une seule affaire, la Communication B.L. c. Australie (2014).941 Il a admis que le requérant pourrait se réinstaller au Sénégal ailleurs que dans sa ville

937 CourEDH, arrêt H. et B. c. Royaume-Uni du 9 avril 2013, requêtes n° 70073/10 et 44539/11, § 114.

938 CourEDH, arrêts D.N.M. c. Suède du 27 juin 2013, requête n° 28379/11, §§ 54-59; S.A. c. Suède du 27 juin 2013, requête n° 66523/10, §§ 53-58.

939 CourEDH, arrêts A.G.A.M. c. Suède du 27 juin 2013, requête n° 28379/11, §§ 54-59; M.Y.H. c. Suède du 27 juin 2013, requête n° 50859/10, §§ 62-67; M.K.N. c. Suède du 27 juin 2013, requête n° 72413/10, §§ 35-40;

N.A.N.S. c. Suède du 27 juin 2013, requête n° 68411/10, §§ 34-39; N.M.B. c. Suède du 27 juin 2013, requête n° 68335/10, §§ 37-42; N.M.Y. c. Suède du 27 juin 2013, requête n° 72686/10, §§ 34-39. Voir dans le même sens CourEDH, arrêt A.A.M. c. Suède du 3 avril 2014, requête n° 68519/10, §§ 67-74.

940 Voir dans ce sens DE WECK (2016), p. 406; WOUTERS (2009), pp. 556-557.

941 CDH, B.L. c. Australie du 16 octobre 2014, Communication n° 2053/2011.

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d’origine.942 Par ailleurs, il a précisé un certain nombre de points concernant l’alternative de protection interne dans certaines observations finales.943 Ainsi, la personne doit pouvoir voyager jusqu’à la zone de protection, accéder à ladite zone et y rester ; tous les droits humains garantis par le PIDCP doivent également y être respectés.944 Dans ses Observations finales relatives à la Norvège de 2006, le CDH a indiqué sur ce point :

« [l]’État partie ne devrait appliquer la solution dite de la réinstallation à l’intérieur des frontières que dans les cas où cette solution assure une protection totale des droits de l’homme de l’individu. »945

350. La protection des droits humains dans la zone de protection apparaît ainsi comme un aspect essentiel de l’alternative de protection interne pour le CDH. Ceci le distingue de la CourEDH et du CAT, lesquels ne posent pas la protection des droits humains comme une condition de l’alternative de protection interne.

3. CAT

351. A l’image de la CourEDH, le CAT considère que lorsqu’il y a une protection suffisante, c’est-à-dire lorsque l’Etat d’origine a la capacité et la volonté d’accorder sa protection contre la torture à la personne en question, il n’y a pas de motifs sérieux de croire que celle-ci risque d’être soumise à la torture en cas de renvoi.946 Le test de la protection suffisante consiste donc à examiner si l’Etat d’origine a la capacité et la volonté d’accorder sa protection contre la torture. De plus, l’existence d’une alternative de protection interne suppose qu’il existe une zone dans le pays d’origine, dans laquelle l’Etat a la capacité et la volonté d’accorder sa protection à la personne en question.947

352. Le CAT a pour la première fois abordé la question de l’alternative de protection interne dans la Communication Alan c. Suisse (1996) qui concernait le renvoi vers la Turquie d’un demandeur d’asile turc, d’ethnie kurde, qui avait été actif politiquement en Turquie au sein d’une organisation illégale kurde, de tendance marxiste.948 Selon le Comité, le fait que M. ALAN était sans doute encore recherché par la police au moment où il s’est prononcé impliquait qu’il était improbable qu’il puisse trouver un

942 CDH, B.L. c. Australie du 16 octobre 2014, Communication n° 2053/2011, 7.4.

943 Voir dans ce sens DELAS (2011), p. 295; WOUTERS (2009), p. 399.

944 DELAS (2011), p. 295; WOUTERS (2009), p. 399.

945 CDH, Observations finales sur la Norvège du 25 avril 2006, UN Doc. CCPR/C/NOR/CO/5, § 11.

946 WOUTERS (2009), p. 492.

947 WOUTERS (2009), pp. 493-494.

948 CAT, Alan c. Suisse du 8 mai 1996, Communication n° 21/1995.

141 lieu « sûr » en Turquie.949 De même, dans la Communication Haydin c. Suède (1998), qui concernait un demandeur d’asile turc d’ethnie kurde, partisan du PKK, le CAT s’est référé à l’opinion du HCR, selon laquelle il n’existait pas en Turquie de lieu où pouvaient se réfugier les membres ou les sympathisants de ladite organisation.950

353. Dans deux communications ultérieures concernant des ressortissants indiens, d’ethnie sikhe et originaires du Pendjab, le CAT est arrivé à la conclusion inverse et a admis une alternative de protection interne. Dans la Communication B.S.S. c. Canada (2004), le Comité a considéré qu’il était possible que le requérant puisse mener une vie normale, à l’abri de la torture, dans une région de l’Inde autre que le Pendjab.951 Puis le Comité a admis dans la Communication S.S.S. c. Canada (2005) que des personnalités pouvaient être en danger dans d’autres régions de l’Inde, il a cependant conclu que le requérant ne faisait pas partie de cette catégorie de personnes et qu’il pouvait vivre ailleurs dans le pays, sans être exposé à la torture.952 Dans ces deux affaires, le fait que les requérants n’étaient pas des personnalités politiques semble avoir été déterminant.953 Quelques années plus tard, dans les Communications Singh Khalsa et consorts c. Suisse (2011) et Singh c. Canada (2011), qui concernaient également des ressortissants indiens originaires du Pendjab, le CAT a jugé qu’étant donné le profil politiquement en vue des requérants et le fait qu’ils étaient toujours recherchés par la police indienne, il ne leur était pas possible de s’installer ailleurs en Inde.954

354. Par ailleurs, dans la Communication Mondal c. Suède (2011) déjà mentionnée, le CAT a fait référence à la notion de « risque de nature locale » invoquée par l’Etat partie, plutôt que de mentionner l’alternative de protection interne.955 Il a toutefois noté sur ce point :

« [L]a notion de « risque de nature locale » ne permet pas d’utiliser un critère mesurable et ne suffit pas à dissiper totalement le risque couru personnellement par le requérant d’être torturé. »956

Le CAT a également utilisé la notion de « danger local » dans la Communication Kalonzo c. Canada (2012), dans laquelle un ressortissant congolais d’ethnie luba, fils d’un dirigeant d’un parti d’opposition, alléguait

949 CAT, Alan c. Suisse du 8 mai 1996, Communication n° 21/1995, § 11.4.

950 CAT, Haydin c. Suède du 20 novembre 1998, Communication n° 101/1997, § 6.4.

951 CAT, B.S.S. c. Canada du 12 mai 2004, Communication n° 183/2001, § 11.5. Voir également HAMDAN (2016), p. 297.

952 CAT, S.S.S. c. Canada du 16 novembre 2005, Communication n° 245/2004, § 8.5.

953 DELAS (2011), p. 295.

954 CAT, Singh c. Canada du 30 mai 2011, Communication n° 319/2007, § 8.6 et Singh Khalsa et consorts c.

Suisse du 26 mai 2011, Communication n° 336/2008, § 11.6.

955 CAT, Mondal c. Suède du 23 mai 2011, Communication n° 338/2008, § 7.4.

956 CAT, Mondal c. Suède du 23 mai 2011, Communication n° 338/2008, § 7.4.

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qu’il risquait d’être torturé en cas de renvoi en RDC.957 Or, les autorités canadiennes estimaient que le requérant pouvait s’installer à Kinshasa suite à son renvoi, ce qui écartait le risque personnel de torture car les personnes d’ethnie luba n’étaient supposément pas victimes de violences dans la capitale de la RDC.958 Le Comité a considéré que la possibilité de s’installer à Kinshasa n’écartait pas complètement le danger personnel dont faisait l’objet M. KALONZO, celui-ci ayant déjà été détenu et torturé dans une prison de la ville quelques années auparavant.959 A cette occasion, le CAT a souligné que la notion de « danger local » n’est pas suffisante pour d’écarter complètement le risque personnel d’être soumis à la torture.960

355. Au regard des différentes affaires susmentionnées, Olivier DELAS note avec raison que le CAT donne des informations parcimonieuses sur les conditions qui lui permettent de qualifier d’alternative de protection interne une zone de l’Etat de destination.961 Il découle de la jurisprudence du CAT qu’une telle zone doit être exempte de risque d’être soumis à la torture, le Comité ne précise toutefois pas davantage les conditions d’accès ou de résidence, contrairement à la CourEDH ou au CDH. Nonobstant ce manque de précisions, il semble que le CAT soit plutôt sceptique quant à l’alternative de protection interne invoquée par certains Etats défendeurs, en particulier lorsque la personne cherchant protection a un profil politique marqué. 962

4. TAF

356. Le TAF tient également compte de l’alternative de protection interne, notamment lorsqu’il évalue le risque de persécution ou l’exigibilité du renvoi.963 En effet, conformément au principe de la subsidiarité de la protection internationale vis-à-vis de la protection interne, applicable en droit international des réfugiés, une personne exposée à des persécutions dans son pays d’origine, qui peut s’y soustraire en s’établissant dans une autre région de ce même pays, ne se voit pas reconnaître la qualité de réfugié.964 Le TAF a précisé les différentes conditions cumulatives qui

957 CAT, Kalonzo c. Canada du 18 mai 2012, Communication n° 343/2008, §§ 2.2 et 9.7.

958 CAT, Kalonzo c. Canada du 18 mai 2012, Communication n° 343/2008, § 9.7.

959 CAT, Kalonzo c. Canada du 18 mai 2012, Communication n° 343/2008, §§ 2.2, 2.4 et 9.7.

960 CAT, Kalonzo c. Canada du 18 mai 2012, Communication n° 343/2008, § 9.7. Voir également CAT, H.K. c.

Australie du 10 mai 2017, Communication n° 701/2015, § 7.7.

961 DELAS (2011), p. 295. Voir dans le même sens WOUTERS (2009), pp. 495, 558 et 559.

962 Pour un exemple récent du scepticisme du CAT à l’égard de l’alternative de protection interne, voir CAT, M.K.M. c. Australie du 10 mai 2017, Communication n° 681/2015, § 8.9.

962 Pour un exemple récent du scepticisme du CAT à l’égard de l’alternative de protection interne, voir CAT, M.K.M. c. Australie du 10 mai 2017, Communication n° 681/2015, § 8.9.