• Aucun résultat trouvé

106. La notion de réfugié de l’art. 3 al. 1 LAsi distingue deux groupes de réfugiés : ceux qui ont déjà subi des actes de persécution lorsqu’ils ont fui – ils sont exposés à de sérieux préjudices – et ceux qui ont fui des actes de persécutions imminents – ils craignent à juste titre de l’être.316 Autrement dit, pour être reconnue comme réfugiée, la personne cherchant protection doit soit être confrontée à une persécution actuelle, soit avoir une crainte fondée de persécution future.317 En effet, l’asile n’est pas accordé à titre de réparation pour des préjudices passés, mais doit combler un besoin actuel de protection.318

107. Le risque de persécution doit donc être actuel ou futur. La reconnaissance de la qualité de réfugié implique qu’un rapport de causalité temporel et matériel suffisamment étroit existe entre les derniers préjudices subis et le départ du pays ou qu’une crainte fondée d’une persécution future persiste au moment de la fuite du pays. 319 Le lien de causalité temporel est rompu lorsqu’un certain temps s’est écoulé entre la persécution subie et le départ du pays persécuteur.320 Le délai raisonnable entre ces deux événements dépend des circonstances concrètes du cas d’espèce et ne peut donc être déterminé de manière générale.321 La CRA a admis que des motifs objectifs, par exemple un manque d’argent, ou subjectifs, tels qu’un état de choc ou une réaction post-traumatique, peuvent expliquer un départ différé.322 Concernant le lien de causalité objectif, celui-ci dépend de la relation matérielle entre la persécution et la fuite.323 Si la situation a profondément changé dans le pays d’origine entre le moment du départ et celui de la prise de décision sur l’asile, il en sera tenu compte dans l’examen de la qualité de réfugié.324

108. Des raisons impérieuses liées à des persécutions antérieures peuvent à titre exceptionnel mettre en échec la condition relative à l’actualité de la persécution par une application analogique de l’art. 1 C ch. 5 al. 2 CG.325 Par

« raisons impérieuses », la jurisprudence entend des événements

316

Voir dans ce sens JICRA 1998/20.

POSSE-OUSMANE/PROGIN-THEUERKAUF (2015), N 13 ad art. 3 LAsi.

TAF, arrêt E-6562/2007 du 1er septembre 2010, publié sous ATAF 2010/57, consid. 2.4. Voir également POSSE -OUSMANE/PROGIN-THEUERKAUF (2015), N 14 ad art. 3 LAsi; OSAR (2009), p. 187; NGUYEN (2003), p. 443.

Voir JICRA 1999/7, consid. 4b.

POSSE-OUSMANE/PROGIN-THEUERKAUF (2015), N 16 ad art. 3 LAsi JICRA 1996/41, consid. 4a; JICRA 1996/25, consid. 5b.cc.

NGUYEN (2003), p. 445.

POSSE-OUSMANE/PROGIN-THEUERKAUF (2015), N 18 ad art. 3 LAsi.

POSSE-OUSMANE/PROGIN-THEUERKAUF (2015), N 19 ad art. 3 LAsi; OSAR (2009), pp. 187-188.

47 traumatisants à long terme.326 La CRA a admis des raisons impérieuses pour les survivants du massacre de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine et du génocide au Rwanda.327 Toutefois, pour que les raisons impérieuses puissent être reconnues, la personne doit établir qu’elle remplissait toutes les conditions présidant à la reconnaissance de la qualité de réfugié au moment de son arrivée en Suisse.328

109. Par ailleurs, la reconnaissance de la qualité de réfugié ne présuppose pas que la personne cherchant protection ait déjà subi une persécution. La crainte fondée d’une persécution future permet également d’être reconnu comme réfugié. Selon la jurisprudence de la CRA, la crainte d’une persécution future est ainsi fondée lorsqu’il existe une forte probabilité que les mesures de persécution redoutées se réaliseront dans un proche avenir.329 Pour être considérée comme fondée, la crainte de persécution future doit être établie subjectivement et objectivement en droit suisse.330 Le droit suisse reprend ainsi les critères traditionnels du droit international des réfugiés, qui sont néanmoins critiqués par une partie de la doctrine.331 Cependant, dans la pratique suisse, les circonstances objectives ont davantage d’importance que les sentiments subjectifs.332

110. L’élément subjectif est ainsi apprécié de manière objectivée en fonction du sentiment qu’aurait une personne raisonnable et réfléchie placée dans une situation comparable marquée par le danger de mesures de persécutions.333 Quant à l’élément objectif, cette notion vise des circonstances concrètes et effectives, par exemple l’existence d’un mandat d’arrêt, d’un acte d’accusation, des mesures étatiques comme des arrestations par la police, la surveillance du domicile, etc.334 Le TAF a précisé que sur le plan objectif :

« [La] crainte doit être fondée sur des indices concrets qui peuvent laisser présager l'avènement, dans un avenir peu éloigné et selon une haute probabilité, de mesures déterminantes selon l'art. 3 LAsi. Il ne suffit pas, dans cette optique, de se référer à

326 JICRA 1997/14; JICRA 1996/42; JICRA 1996/10; JICRA 1995/16. Voir également POSSE-OUSMANE/PROGIN -THEUERKAUF (2015), N 21 ad art. 3 LAsi; OSAR (2009), p. 188; NGUYEN (2003), p. 446.

327 JICRA 1998/16; JICRA 1997/14.

328 POSSE-OUSMANE/PROGIN-THEUERKAUF (2015), N 23 ad art. 3 LAsi.

329 JICRA 1993/11, consid. 4c. Voir également POSSE-OUSMANE/PROGIN-THEUERKAUF (2015), N 30 ad art. 3 LAsi;

NGUYEN (2003), p. 447.

330 TAF, arrêt E-6562/2007 du 1er septembre 2010, publié sous ATAF 2010/57, consid. 2.5. Voir également JICRA 2000/9; JICRA 1997/10.

331 Voir HATHAWAY/FOSTER (2014), pp. 91-92; GOODWIN-GILL/MCADAM (2007), pp. 63-64.

332 POSSE-OUSMANE/PROGIN-THEUERKAUF (2015), N 26 ad art. 3 LAsi.

333 TAF, arrêt E-4651/2006 du 13 juillet 2010, consid. 6.2; JICRA 2005/21, consid. 7.1; JICRA 2004/1, consid.

6a; JICRA 2000/9, consid. 5a; JICRA 1993/11.

334 TAF, arrêt E-6562/2007 du 1er septembre 2010, publié sous ATAF 2010/57, consid. 2.5. Voir également OSAR (2009), p. 189; NGUYEN (2003), p. 447.

48

des menaces hypothétiques, qui pourraient se produire dans un avenir plus ou moins lointain ».335

Concernant le risque de persécution future, la jurisprudence admet par exemple qu’en Turquie la seule existence d’une fiche politique concernant le demandeur d’asile permet d’admettre, en règle générale, une crainte fondée d'une persécution future.336 Une persécution réfléchie peut également impliquer un risque de persécution future.337

111. En conclusion, la LAsi requiert un risque actuel ou futur de persécution afin que la personne obtienne une protection contre le refoulement et se voie reconnaître la qualité de réfugié, à l’instar du droit international des réfugiés.

V. Le risque de torture, de traitement ou de peine cruel, inhumain ou dégradant

112. Dans l’application du principe de non-refoulement tel qu’il est garanti en droit international des droits de l’homme, le risque de torture ou de traitement ou peine cruel, inhumain ou dégradant est déterminant. Par risque, on entend la probabilité que la personne soit soumise au mauvais traitement en question suite à son renvoi.338 Ce risque doit être qualifié de réel selon la jurisprudence de la CourEDH, du CDH et du CAT pour que la protection entre en jeu.339 Par ailleurs, l’élément de risque n’est pas mesurable et ne peut donc pas être défini en termes de calcul de probabilités.340

113. Comme nous le verrons dans la suite de cette étude, les instances internationales ont établi des tests afin d’évaluer le risque réel de torture ou de mauvais traitement dans un cas particulier. Il s’avère ainsi que lors de l’examen du risque, tous les éléments factuels concernant le cas d’espèce doivent être pris en considération. Avant d’aborder l’évaluation du risque dans le deuxième chapitre, il s’agira ci-après de préciser la nature du risque dans le cadre des interdictions de refoulement garanties par le droit international des droits de l’homme.

335 TAF, arrêt E-6562/2007 du 1er septembre 2010, publié sous ATAF 2010/57, consid. 2.5.

336 TAF, arrêt E-7803/2007 du 11 mars 2010, publié sous ATAF 2010/9, consid. 5.3; JICRA 2005/11.

337 TAF, arrêt E-6562/2007 du 1er septembre 2010, publié sous ATAF 2010/57, consid. 4.1.5. Voir également POSSE-OUSMANE/PROGIN-THEUERKAUF (2015), N 31 ad art. 3 LAsi.

338 WOUTERS (2009), p. 542.

339 DELAS (2011), pp. 225-226; WOUTERS (2009), p. 542; LAUTERPACHT/BETHLEHEM (2003), p. 158.

340 WOUTERS (2009), p. 542.

49