• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : L’évaluation du risque

C. Les circonstances particulières

257. Lorsque la personne qui cherche protection ne se trouve pas dans une situation générale de violence dans son pays d’origine et qu’elle ne fait pas partie d’un groupe systématiquement exposé à de mauvais traitements ou d’un groupe vulnérable, il lui faut établir d’autres circonstances particulières pour se voir reconnaître un risque de persécution, de torture ou de mauvais traitements et déclencher ainsi la protection découlant du principe de non-refoulement. Elle doit donc démontrer d’autres facteurs de risque particuliers et ce à travers des moyens de preuve permettant de les établir.709 258. Il apparaît ainsi que certaines circonstances particulières jouent un rôle capital dans l’évaluation du risque, telle qu’elle est effectuée par la CourEDH, le CDH, le CAT et le TAF. Dans cette sous-section, nous avons identifié divers facteurs de risque liés aux caractéristiques personnelles des personnes cherchant protection. Il apparaît impossible d’inclure tous les facteurs de risque pris en considération dans les affaires de refoulement, toutefois nous avons choisi de présenter les principaux facteurs particuliers qui ressortent de la jurisprudence des instances internationales et suisse étudiées. Ces facteurs seront développés de manière approfondie, étant donné leur importance dans l’appréciation du risque qui est faite par lesdites instances.

704 MORAWA (2003), p. 150.

705 PERONI/TIMMER (2013),p. 1064. Voir dans le même sens MORAWA (2003), p. 147.

706 PERONI/TIMMER (2013),pp. 1070-1074. Sur le paternalisme et le droit international des réfugiés, voir MULLALY (2013), pp. 213-216.

707 Voir par exemple Sander STEENDAM, “M.E. v. Sweden: Back to The Closet”, article disponible sur le blog Stasbourg Observers, voir le lien suivant: https://strasbourgobservers.com/2014/07/28/m-e-v-sweden-back-to-the-closet/ [consulté le 15 juillet 2018].

708 FREI (2016), pp. 196-199; BERTSCHI (2015), p. 492.

709 Les moyens de preuve seront traités de manière détaillée au chapitre 4 de la présente étude.

107

1. L’engagement politique

259. L’engagement politique représente l’un des facteurs prépondérants dans l’évaluation que font les tribunaux internationaux et suisse du risque de mauvais traitement, de torture ou de persécution en cas de renvoi dans le pays de destination. Ceux-ci prennent généralement en compte tant les activités politiques menées dans le pays d’origine que celles initiées dans le pays d’accueil.

1.1. CourEDH

260. Lorsque la CourEDH évalue le risque auquel le recourant fait face en cas de renvoi dans le pays de destination, l’engagement politique de l’intéressé constitue un facteur-clé. Sur ce point, la première affaire emblématique jugée par la CourEDH a été l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni (1996).710 Le requérant, M. CHAHAL, un défenseur célèbre du séparatisme sikh en Inde, était accusé de terrorisme par les autorités indiennes.711 Dans cette affaire, la CourEDH a considéré que sa notoriété augmentait les risques de mauvais traitements qu’il encourait en cas d’expulsion et qu’il serait vraisemblablement la cible privilégiée des forces de sécurité.712 La Cour a ainsi jugé qu’il était établi que M. CHAHAL risquait réellement de subir des traitements contraires à l’art. 3 CEDH en cas de renvoi en Inde.713

261. Le profil politique du requérant a également constitué un élément décisif dans l’arrêt Hilal c. Royaume-Uni (2001).714 En l’espèce, le requérant était un ressortissant tanzanien qui avait rejoint un parti d’opposition à Zanzibar, le Civic United Front (CUF), ce qui lui avait valu d’être arrêté et détenu, puis torturé pendant sa détention.715 La CourEDH a admis que les membres du CUF, non seulement ses dirigeants mais également ses membres ordinaires, faisaient l’objet de harcèlement et de mauvais traitements de la part des autorités tanzaniennes et que si M. HILAL était renvoyé à Zanzibar, il serait exposé à un risque d’être arrêté, détenu et d’être soumis à nouveau à des mauvais traitements.716

262. De manière générale, la CourEDH estime que les requérants doivent avoir un profil politique d’un certain niveau pour encourir un risque en cas de renvoi. Aussi dans l’arrêt Venkadajalasarma c. Pays-Bas (2004), la Cour a

710 CourEDH, arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996 [GC], requête n° 22414/93. Voir également DE WECK (2016), p. 353.

711 CourEDH, arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996 [GC], requête n° 22414/93, § 98.

712 CourEDH, arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996 [GC], requête n° 22414/93, § 106.

713 CourEDH, arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996 [GC], requête n° 22414/93, § 107.

714 CourEDH, arrêt Hilal c. Royaume-Uni du 6 mars 2001, requête n° 45276/99.

715 CourEDH, arrêt Hilal c. Royaume-Uni du 6 mars 2001, requête n° 45276/99, § 64.

716 CourEDH, arrêt Hilal c. Royaume-Uni du 6 mars 2001, requête n° 45276/99, § 66.

108

considéré que le requérant n’était pas un membre des LTTE avec un profil suffisamment en vue pour que les autorités sri-lankaises s’intéressent à lui en cas de renvoi.717 Dans l’affaire N. c. Finlande (2005), la Cour a tenu compte du fait que le requérant, d’origine congolaise, avait travaillé comme agent infiltré et informateur pour les forces spéciales du Président MOBUTU, lorsqu’il se trouvait en RDC.718 La Cour a considéré qu’à cause de ce type d’activités, il courait un risque substantiel de mauvais traitements en cas de renvoi vers la RDC.719 Elle a ajouté que le risque n’émanait pas nécessairement des autorités actuelles de la RDC, mais des membres des familles de dissidents qui pourraient chercher à obtenir vengeance, suite aux activités passées du requérant au service du Président MOBUTU.720 En outre, la publicité qui avait entouré la demande d’asile du requérant en Finlande, de même que son recours, pouvait accentuer le risque de vengeance selon la CourEDH.721

263. Les activités politiques menées en exil peuvent également jouer un rôle important dans l’appréciation du risque qui est effectuée par l’instance strasbourgeoise. A titre d’exemple, dans l’arrêt S.F. et autres c. Suède (2012), la CourEDH a estimé que les activités politiques que le requérant avait menées en Iran étaient d’un niveau trop bas pour attirer l’attention des autorités iraniennes.722 Néanmoins, après leur arrivée en Suède, le requérant et son épouse avaient participé à de nombreuses activités politiques qui s’étaient intensifiées avec le temps, notamment en critiquant le régime iranien à la télévision et sur internet.723 Ces activités politiques et de défense des droits humains menées en exil ont constitué un facteur-clé pour convaincre la CourEDH qu’il existait un risque réel que les requérants soient soumis à des traitements contraires à l’art. 3 CEDH en cas de renvoi en Iran.724

264. Les activités politiques du requérant en Suisse ont également constitué un facteur déterminant dans l’arrêt A.A. c. Suisse (2014).725 En l’espèce, le requérant, d’origine soudanaise, avait rejoint le Sudan Liberation Movement-Unity après son arrivée en Suisse et participé à de nombreuses activités

717 CourEDH, arrêt Venkadajalasarma c. Pays-Bas du 17 février 2004, requête n° 58510/00, § 68.

718 CourEDH, arrêt N. c. Finlande du 26 juillet 2005, requête n° 38885/02, § 162.

719 CourEDH, arrêt N. c. Finlande du 26 juillet 2005, requête n° 38885/02, § 162.

720 CourEDH, arrêt N. c. Finlande du 26 juillet 2005, requête n° 38885/02, § 163.

721 CourEDH, arrêt N. c. Finlande du 26 juillet 2005, requête n° 38885/02, § 165.

722 CourEDH, arrêt S.F. et autres c. Suède du 15 mai 2012, requête n° 52077/10, § 67.

723 CourEDH, arrêt S.F. et autres c. Suède du 15 mai 2012, requête n° 52077/10, § 68.

724 CourEDH, arrêt S.F. et autres c. Suède du 15 mai 2012, requête n° 52077/10, §§ 69-71.

725 CourEDH, arrêt A.A. c. Suisse du 7 janvier 2014, requête n° 58802/12. Voir également CourEDH, arrêt A.I. c.

Suisse du 30 mai 2017, requête n° 58802/12. Au contraire, dans un arrêt du même jour, la CourEDH a estimé que les activités politiques en exil n’étaient pas suffisantes. Voir CourEDH, arrêt N.A. c. Suisse du 30 mai 2017, requête n° 50364/14.

109 publiques et manifestations, en qualité de membre de cette organisation.726 Il était également membre du Centre pour la Paix et le Développement au Darfour. La CourEDH a considéré que son profil politique ne serait pas assez prééminent si le pays de renvoi n’était pas le Soudan, Etat dans lequel la situation des opposants politiques est alarmante.727 La CourEDH a ainsi jugé qu’à cause de ses activités politiques en exil, notamment sa participation à des réunions sur la protection des droits humains à Genève, le requérant avait certainement attiré l’attention des autorités soudanaises.728 Il risquait par conséquent d’être détenu, interrogé et torturé dès son arrivée au Soudan, et ce en violation de l’art. 3 CEDH.729 Les activités politiques des requérants en exil peuvent dès lors constituer un facteur essentiel dans l’appréciation du risque de mauvais traitements en cas de renvoi.

1.2. CDH

265. Le CDH accorde beaucoup d’importance à l’engagement politique de la personne lorsqu’il procède à l’évaluation du risque en cas de renvoi, à l’instar de la CourEDH. Dans la Communication Hamida c. Canada (2010), le CDH était saisi par un officier de police tunisien qui avait demandé l’asile au Canada en raison de ses opinions politiques.730 En effet, lorsqu’il travaillait pour le Ministère de l’intérieur tunisien, il était chargé de la garde et de la surveillance de détenus. Il avait alors enfreint les consignes pour donner une partie de son repas à un détenu, acte pour lequel il avait été désarmé, interrogé, accusé de sympathiser avec les prisonniers politiques et mis aux arrêts pendant cinq mois.731 Suite à sa remise en liberté, il avait tenté de quitter son pays, il avait cependant été arrêté à l’aéroport, car il ne détenait pas de visa de sortie. Il avait ainsi été mis en détention pendant un mois. A sa sortie de prison, il avait été soumis à une surveillance très stricte l’obligeant à se présenter deux fois par jour au service de sécurité afin de signer un registre de surveillance.732 Trois ans plus tard, il avait réussi à quitter la Tunisie avec un nouveau passeport qu’il avait obtenu grâce à la corruption d’un employé du Ministère de l’intérieur.733 Les autorités canadiennes avaient rejeté sa demande d’asile, principalement pour manque de crédibilité de son témoignage. Or, le CDH a considéré qu’étant donné la dissidence de l’auteur dans la police tunisienne, sa détention pendant six

726 CourEDH, arrêt A.A. c. Suisse du 7 janvier 2014, requête n° 58802/12, § 34.

727 CourEDH, arrêt A.A. c. Suisse du 7 janvier 2014, requête n° 58802/12, § 42.

728 CourEDH, arrêt A.A. c. Suisse du 7 janvier 2014, requête n° 58802/12, § 43.

729 CourEDH, arrêt A.A. c. Suisse du 7 janvier 2014, requête n° 58802/12, § 43. Voir dans le même sens CourEDH, arrêt A.I. c. Suisse du 30 mai 2017, requête n° 23378/15, § 58.

730 CDH, Hamida c. Canada du 18 mars 2010, Communication n° 1544/2007.

731 CDH, Hamida c. Canada du 18 mars 2010, Communication n° 1544/2007, § 2.1.

732 CDH, Hamida c. Canada du 18 mars 2010, Communication n° 1544/2007, § 2.1.

733 CDH, Hamida c. Canada du 18 mars 2010, Communication n° 1544/2007, § 2.2.

110

mois au total et la stricte surveillance à laquelle il avait été soumis, il encourait personnellement un risque de traitement contraire à l’art. 7 PIDCP.734

266. Les activités politiques menées dans le pays d’accueil sont également prises en compte par le CDH. Ainsi, dans la Communication Byaruhanga c.

Danemark (2004), les activités politiques du requérant au Danemark, qui étaient connues des autorités ougandaises, pays où il devait être expulsé, se sont vues accorder une certaine importance par le Comité dans son évaluation du risque.735

1.3. CAT

267. Dans son Observation générale n° 1, le CAT a indiqué que dans l’appréciation du risque de torture contraire à l’art. 3 CCT, l’un des indicateurs à prendre en compte est le suivant :

« L'auteur s'est-il livré, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'État intéressé, à des activités politiques qui font qu'il court un risque particulier d'être soumis à la torture s'il est renvoyé, refoulé ou extradé dans l'État en question ? »736

L’engagement politique apparaît ainsi comme un facteur essentiel dans l’évaluation du risque effectuée par le CAT.

268. Afin que l’engagement politique soit considéré comme un facteur de risque par le CAT, il faut que celui-ci soit d’une certaine intensité. Ainsi, le CAT a rejeté un certain nombre de Communications lorsqu’il a estimé que cet engagement était faible.737 Dans la Communication Singh c. Canada (2011), le CAT a conclu que le requérant était « quelqu’un de suffisamment en vue » pour encourir un risque de torture en cas d’arrestation.738 Ainsi, le type d’activité politique, le niveau de responsabilité et l’ampleur des activités constituent des éléments importants pour le CAT.739 De plus, le Comité prend en compte autant les activités politiques engagées dans le pays d’origine que celles effectuées « sur place », c’est-à-dire dans le pays d’accueil.740 Dans certains cas, les activités initiées dans le pays d’origine ont été poursuivies en exil. Par exemple, dans la Communication Kisoki c. Suède (1996), la requérante était membre active de l’UDPS, un parti d’opposition

734 CDH, Hamida c. Canada du 18 mars 2010, Communication n° 1544/2007, § 8.7.

735 CDH, Byaruhanga c. Danemark du 9 décembre 2004, Communication n° 1222/2003, §§ 11.3 et 11.4.

736 CAT, Observation générale n° 1 (1997), § 8.

737 Voir par exemple, CAT, L.P. c. Australie du 1er décembre 2016, Communication n° 666/2015, § 8.12; S.M. c.

Suisse du 23 novembre 2012, Communication n° 406/2009, § 7.6; E.T. c. Suisse du 23 mai 2012, Communication n° 393/2009, § 7.5. Voir sur ce point DE WECK (2016), p. 372 ; NOWAK/MCARTHUR (2008), N 128 ad art. 3 CCT (figure 5).

738 CAT, Singh c. Canada du 30 mai 2011, Communication n° 319/2007, § 8.5.

739 BALDINGER (2013), p. 141; WOUTERS (2009), pp. 467-468.

740 WOUTERS (2009), pp. 472-473. Voir également NOWAK/MCARTHUR (2008), N 128 ad art. 3 CCT (figure 5).

111 en RDC, et avait continué ses activités de soutien à ce parti après son arrivée en Suède.741 De la même manière, dans la Communication Aemei c. Suisse (1997), le requérant était membre des moudjahidin du peuple en Iran et avait poursuivi son opposition politique suite à son arrivée en Suisse en intégrant l’Association APHO, considérée comme illégale en Iran.742

269. Les activités politiques menées sur place ont joué un rôle important dans la Communication Jahani c. Suisse (2011).743 En l’espèce, le requérant était devenu membre actif et représentant cantonal de l’Association démocratique pour les réfugiés (ADR) après son arrivée en Suisse ; il avait participé dans ce cadre à plusieurs manifestations et à des émissions de radio pendant lesquelles il avait exprimé des opinions politiques hostiles au régime iranien.744 Il avait en outre écrit plusieurs articles dans une revue d’opposition, dans laquelle son nom et ses coordonnées avaient été publiés.745 Le CAT a estimé que ses activités d’opposition politique en Suisse pouvaient laisser penser qu’il avait attiré l’attention des autorités iraniennes et, partant, qu’il existait de sérieux motifs de croire qu’il risquait d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Iran.746

270. Quelques mois plus tard, le CAT a suivi un raisonnement très similaire dans la Communication Faragollah et al. c. Suisse (2011), dans laquelle le requérant était également membre actif et représentant cantonal de l’ADR.747 Le CAT accorde ainsi un poids important au fait que les activités politiques sur place attirent l’attention des autorités de l’Etat d’origine.748

1.4. TAF

271. A l’image des instances internationales, le TAF accorde beaucoup d’importance aux activités politiques de la personne concernée lorsqu’il examine le risque de persécution. L’engagement ou l’opposition politique

741 CAT, Kisoki c. Suède du 8 mai 1996, Communication n° 41/1996, § 9.4.

742 CAT, Aemei c. Suisse du 9 mai 1997, Communication n° 34/1995, § 9.7.

743 CAT, Jahani c. Suisse du 23 mai 2011, Communication n° 357/2008. Voir également DE WECK (2016), p. 374.

744 CAT, Jahani c. Suisse du 23 mai 2011, Communication n° 357/2008, § 9.5.

745 CAT, Jahani c. Suisse du 23 mai 2011, Communication n° 357/2008, § 9.5.

746 CAT, Jahani c. Suisse du 23 mai 2011, Communication n° 357/2008, § 9.6.

747 CAT, Faragollah et al. c. Suisse du 21 novembre 2011, Communication n° 381/2009, § 9.5. Voir également CAT, N.A.A. c. Suisse du 2 mai 2017, Communication n° 639/2014, § 7.7 ; Tahmuresi c. Suisse du 8 décembre 2014, Communication n° 489/2012.

748 Pour un exemple récent, voir CAT, N.A.A. c. Suisse du 2 mai 2017, Communication n° 639/2014, §§ 7.6-7.7.

Dans cette Communication, le CAT fait expressément référence à l’arrêt de la CourEDH A.A. c. Suisse, les deux affaires concernant des demandeurs d’asile originaires du Soudan. Il en va de même dans la Communication I.E. c. Suisse (2017). CAT, I.E. c. Suisse du 14 novembre 2017, Communication n° 683/2015,

§§ 4.4, 4.5, 4.9 et 5.4. Voir CourEDH, arrêt A.A. c. Suisse du 7 janvier 2014, requête n° 58802/12. Pour la doctrine, voir DE WECK (2016), p. 376.

112

peuvent prendre des formes diverses.749 Dans un arrêt récent concernant un demandeur d’asile syrien, le TAF a ainsi admis que le fait de participer à des manifestations contre le régime en place, qui s’était traduit par une arrestation et une brève incarcération par les forces de sécurité intérieures, le requérant ayant réussi à s’enfuir, fondait un risque de persécution, car les personnes identifiées comme des opposants au régime risquaient de subir des traitements équivalant à des persécutions de la part des forces de sécurité syriennes.750

272. Par ailleurs, dans le cadre du recours d’une requérante d’asile érythréenne, le TAF a jugé qu’un départ non autorisé d’Erythrée était considéré par les autorités de ce pays comme un acte d’opposition politique, pouvant entraîner des sanctions sévères allant jusqu’à une peine d’emprisonnement de cinq ans, et lui a donc reconnu la qualité de réfugiée.751

273. Les activités politiques menées en exil peuvent également constituer un facteur important dans l’évaluation du risque. Ainsi, en cas d’activités politiques en exil, le TAF reconnaît la qualité de réfugié à la personne si celle-ci a rendu vraisemblable que ses activités sont parvenues à la connaissance des autorités de son pays d’origine et qu’elles l’exposeraient à de sérieux préjudices en cas de renvoi.752 Il faut donc noter que ces activités doivent revêtir une certaine intensité, en ce sens que la personne doit avoir un profil en vue dans le mouvement d’opposition.753

274. Enfin, les activités politiques d’une personne en exil peuvent avoir des conséquences sur sa famille. Le TAF a reconnu que l’épouse d’un réfugié syrien politiquement actif en Suisse risquait d’être victime d’une persécution réfléchie, en cas de retour en Syrie, à cause des activités politiques menées en exil par son mari.754

749 Voir par exemple TAF, arrêts D-6869/2007 du 25 octobre 2011, consid. 4.1 (participation à une manifestation, arrestation et détention); E-6562/2007 du 1er septembre 2010, publié sous ATAF 2010/57, consid. 4.1.2 (activisme politique); D-3892/2008 du 6 avril 2010, consid. 5.3.2 (désertion).

750 TAF, arrêt D-5779/2013 du 25 février 2015, consid. 5.6.2, 5.7.2. et 6.

751 TAF, arrêt D-3892/2008 du 6 avril 2010, consid. 5.3.2 et 5.3.3.

752 TAF, arrêt D-4191/2009 du 4 janvier 2013, consid. 4.3. Voir également TAF, arrêt E-5975/2008 du 23 décembre 2008, publié sous ATAF 2008/57, consid. 4.4. Il faut noter que le TAF qualifie les activités politiques en exil de motifs d’asile subjectifs postérieurs à la fuite (art. 54 LAsi). Dans ce cas, il refuse l’asile mais reconnaît la qualité de réfugié. La personne est donc mise au bénéfice d’une admission provisoire avec reconnaissance de la qualité de réfugié. Voir TAF, arrêt E-5256/2006 du 13 juillet 2010, publié sous ATAF 2010/44, consid. 3.5.Voir également KHAMMAS (2016), pp. 104-105.

753 Voir dans ce sens TAF, arrêts E-2014/2010 du 26 avril 2012, consid. 5.1; D-3357/2006 du 9 juillet 2009, publié sous ATAF 2009/28, consid. 7.4.3.

754 TAF, arrêt D-1129/2008 du 14 avril 2011, consid. 5.2.

113

2. Les croyances religieuses

275. Les croyances religieuses peuvent également constituer un facteur de risque dans certains cas particuliers, comme il sera montré ci-après.

2.1. CourEDH

276. Dans plusieurs affaires, la CourEDH a été saisie par des requérants qui alléguaient que leurs croyances religieuses entraînaient un risque de mauvais traitements en cas de renvoi dans leur pays d’origine. Elle a admis un risque fondé sur des croyances religieuses dans deux affaires qui concernaient des ressortissants iraniens, lesquels s’étaient convertis au christianisme dans le pays d’accueil, en l’espèce la Turquie.755 Cependant, dans ces deux affaires, la Cour s’est principalement fondée sur le fait que le HCR avait reconnu le statut de réfugiés aux requérants et n’a pas examiné plus avant la situation des personnes converties au christianisme en Iran.

277. Dans l’affaire M.E. c. France (2013), la CourEDH a dû se prononcer sur le renvoi d’un chrétien copte en Egypte, Etat dans lequel il estimait risquer d’être soumis à des traitements contraires à l’art. 3 CEDH en raison de sa religion.756 Dans cet arrêt, la Cour a considéré que malgré les rapports qui dénonçaient les nombreuses violences et persécutions subies par les chrétiens coptes d’Egypte, il n’existait pas de risque généralisé de violation de l’art. 3 CEDH pour tous les membres de cette minorité.757 Néanmoins, elle a tenu compte du fait que le requérant avait déjà été victime de persécutions et risquait de l’être à nouveau du fait de sa condamnation à trois ans de prison in absentia pour prosélytisme.758 Selon la Cour, « [t]out port[ait] à croire cependant que le requérant pourrait, en tant que prosélyte reconnu et condamné, être une cible privilégiée de persécutions et de violences de la part d’intégristes musulmans, qu’il soit libre ou incarcéré. »759 Elle en a donc conclu qu’il existait un risque réel qu’il soit soumis à des traitements contraires à l’art. 3 CEDH.760

278. Dans l’arrêt N.K. c. France (2013), la CourEDH a également admis un risque réel de mauvais traitement pour un requérant pakistanais qui s’était converti à la religion ahmadie, une minorité de l’islam.761 Sa conversion avait

755 CourEDH, arrêts Z.N.S. c. Turquie du 19 janvier 2010, requête n° 21896/08, § 49 ; M.B. et autres c. Turquie du 15 juin 2010, requête n° 36009/08, §§ 32-35. Pour un exemple récent de requérant s’étant converti au christianisme en exil, voir CourEDH, arrêt A. c. Suisse du 19 décembre 2017, requête n° 60342/16, §§ 40-45.

756 CourEDH, arrêt M.E. c. France du 6 juin 2013, requête n° 50094/10.

757 CourEDH, arrêt M.E. c. France du 6 juin 2013, requête n° 50094/10, § 50.

758 CourEDH, arrêt M.E. c. France du 6 juin 2013, requête n° 50094/10, § 51. Voir également DE WECK (2016), p.

355.

759 CourEDH, arrêt M.E. c. France du 6 juin 2013, requête n° 50094/10, § 51.

759 CourEDH, arrêt M.E. c. France du 6 juin 2013, requête n° 50094/10, § 51.