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114. Concernant la nature du risque visé par l’art. 3 CEDH, la Grande Chambre a indiqué dans l’arrêt Saadi c. Italie (2008) que :

« pour qu’un éloignement forcé envisagé soit contraire à la Convention, la condition nécessaire – et suffisante – est que le risque pour l’intéressé de subir dans le pays de destination des traitements interdits par l’article 3 soit réel et fondé sur des motifs sérieux et avérés. »341

En se fondant sur cette jurisprudence, la Grande Chambre a précisé dans l’arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie (2012) que le risque, outre son caractère individuel, doit s’avérer « suffisamment concret et probable ».342 La doctrine considère donc que le risque doit être réel, personnel et probable (« real, personal and forseeable risk ») pour que la protection contre le refoulement entre en jeu.343

115. La CourEDH a répété à plusieurs reprises qu’une simple possibilité de mauvais traitements ne suffit pas.344 En revanche, le risque n’a pas besoin d’être démontré avec certitude, car une telle exigence reviendrait à prouver l’existence d’un événement futur, ce qui est par définition impossible.345 Aussi la CourEDH ne formule pas le degré de risque requis en termes de calcul de probabilités.346 Au contraire, elle se fonde sur une appréciation qualitative du risque. Ceci ressort notamment de l’arrêt A. c. Pays-Bas (2010), dans lequel elle a qualifié le risque que l’intéressé soit soumis à des traitements contraires à l’art. 3 CEDH de « suffisamment plausible » (« sufficiently plausible »).347

116. Selon la CourEDH, pour être considéré comme réel, le risque doit être non seulement suffisamment concret et probable, mais également présenter un caractère personnel.348 Le risque doit donc être associé à l’individu en

341 CourEDH, arrêt Saadi c. Italie du 28 février 2008 [GC], requête n° 37201/06, § 140.

342 CourEDH, arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie du 23 février 2012 [GC], requête n° 27765/09, § 136.

343 Voir BALDINGER (2013), p. 235; WOUTERS (2009), p. 247. Ces auteurs se fondent sur l’arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni pour définir ces trois critères. CourEDH, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni du 30 octobre 1991, requêtes n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87, §§ 108 et 111.

344 CourEDH, arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni du 30 octobre 1991, requêtes n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87, §§ 108 et 111. Voir également CourEDH, arrêt Saadi c. Italie du 28 février 2008 [GC], requête n° 37201/06, § 131. Voir dans le même sens BALDINGER (2013), p. 235; SPIJKERBOER (2009), p. 58; WOUTERS (2009), p. 247.

345 CourEDH, arrêt Rustamov c. Russie du 3 juillet 2012, requête n° 11209/10, § 117. Voir également WOUTERS (2009), p. 247.

346 WOUTERS (2009), p. 247.

347 CourEDH, arrêt A. c. Pays-Bas du 20 juillet 2010, requête n° 4900/06, § 149. Voir également NGUYEN/AMARELLE (2010), p. 127.

348 CourEDH, arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni du 30 octobre 1991, requêtes n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87, § 108. Voir également arrêt Hirsi Jamaa et autres c. Italie du 23 février 2012 [GC], requête n° 27765/09, § 136. Voir également WOUTERS (2009), p. 247.

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question.349 Cependant, la Cour reconnaît deux exceptions au caractère personnel du risque : la première concerne la situation générale de violence350 et la seconde l’appartenance à un groupe systématiquement exposé à de mauvais traitements.351 Dans l’arrêt Na c. Royaume-Uni (2008), la Cour a ainsi souligné qu’une situation générale de violence dans le pays d’origine pouvait impliquer un risque de mauvais traitement par le seul fait d’être exposé à une telle violence suite au renvoi:

“the Court has never excluded the possibility that a general situation of violence in a country of destination will be of a sufficient level of intensity as to entail that any removal to it would necessarily breach Article 3 of the Convention.

Nevertheless, the Court would adopt such an approach only in the most extreme cases of general violence, where there was a real risk of ill-treatment simply by virtue of an individual being exposed to such violence on return.”352

117. Cette approche n’est applicable qu’aux situations générales de violence les plus extrêmes. A ce jour, la CourEDH n’a reconnu une situation générale de violence, comportant en elle-même un risque réel de mauvais traitements contraires à l’art. 3 CEDH, que dans une unique affaire, l’arrêt Sufi et Elmi c.

Royaume-Uni (2011), qui concernait la situation dramatique prévalant à Mogadiscio, en Somalie.353 En outre, la CourEDH a revu son évaluation du risque de violence extrême dans la capitale somalienne dans une affaire subséquente.354

118. Concernant la seconde exception, le simple fait pour l’individu d’appartenir à un groupe systématiquement exposé à de mauvais traitements peut suffire à lui faire encourir un tel risque. La CourEDH est pour la première fois parvenue à cette conclusion dans l’affaire Salah Sheekh c. Pays-Bas (2007). Elle a ainsi noté :

« Il ressort du récit livré par l'intéressé que lui et sa famille étaient visés au motif qu'ils appartenaient à une minorité, raison pour laquelle ils étaient réputés n'avoir

349 L’individu en question n’a toutefois pas besoin de démontrer des « éléments distinctifs particuliers » (special distinguishing features). La CourEDH a progressivement abandonné cette condition qu’elle avait formulé pour la première fois dans l’arrêt Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni (1991). La jurisprudence s’est donc assouplie sur ce point. Dans l’arrêt Salah Sheekh c. Pays-Bas (2007), La Cour a ainsi jugé que : « l'on ne saurait obliger le requérant à établir l'existence d'autres caractéristiques particulières qui le distingueraient personnellement pour démontrer qu'il était et continue d'être personnellement en danger. […] La protection offerte par [l’art.

3 CEDH] pourrait être rendue illusoire si, au-delà de son appartenance à la minorité ashraf, que le Gouvernement ne conteste pas, le requérant devait être tenu de démontrer l'existence d'autres caractéristiques distinctives particulières. » CourEDH, arrêt Salah Sheekh c. Pays-Bas du 11 janvier 2007, requête n° 1948/04, § 148. Voir dans ce sens VEDSTED-HANSEN (2010), pp. 275-280; WOUTERS (2009), pp. 247-251; MOLE (2007), pp. 32-33.

350 Voir CourEDH, arrêts Sufi et Elmi c. Royaume-Uni du 28 juin 2011, requêtes n° 8319/07 et n°11449/07; Na c. Royaume-Uni du 17 juillet 2008, requête n° 25904/07.

351 CourEDH, arrêt Salah Sheekh c. Pays-Bas du 11 janvier 2007, requête n° 1948/04, § 148. Voir également CourEDH, arrêt Na c. Royaume-Uni du 17 juillet 2008, requête n° 25904/07, § 116.

352 CourEDH, arrêt Na c. Royaume-Uni du 17 juillet 2008, requête n° 25904/07, § 115.

353 CourEDH, arrêt Sufi et Elmi c. Royaume-Uni du 28 juin 2011, requêtes n° 8319/07 et n°11449/07, §§ 241-250.

354 CourEDH, arrêt K.A.B. c. Suède du 5 septembre 2013, requête n° 886/11, §§ 86-91.

51 aucun moyen de protection ; ils constituaient une proie facile, au même titre que les trois autres familles ashraf qui vivaient dans le même village […]. La Cour ajoute que l'on ne saurait obliger le requérant à établir l'existence d'autres caractéristiques particulières qui le distingueraient personnellement pour démontrer qu'il était et continue d'être personnellement en danger. »355

L’appartenance à un groupe systématiquement exposé à de mauvais traitements conduit ainsi à un allègement du fardeau de la preuve.356 La Cour a confirmé cette exception au caractère individuel du risque l’année suivante dans les affaires Saadi c. Italie (2008)357 et Na c. Royaume-Uni (2008).358

119. La CourEDH n’a reconnu une situation générale de violence ou l’appartenance à un groupe systématiquement exposé à de mauvais traitements que dans des cas exceptionnels. Il ressort néanmoins de sa jurisprudence que plus la situation est difficile en termes de protection des droits humains dans le pays de destination, moins le caractère personnel du risque doit être prouvé.359

120. Les éléments qui précèdent montrent que la CourEDH se livre à une analyse prospective et objective du risque de violation de l’art. 3 CEDH, ce qui ressort notamment du critère de risque réel, personnel et probable.

L’analyse de la jurisprudence révèle que la Cour se fonde sur un faisceau d’indices, basé sur la situation personnelle du requérant ainsi que sur la situation des droits humains dans le pays de destination, pour parvenir à la conclusion que la mesure de refoulement contreviendrait à l’art. 3 CEDH.

Comme il sera exposé dans la suite de cette thèse, il est rare qu’un fait unique suffise pour établir des motifs sérieux et avérés de croire qu’il existe un risque réel de traitement contraire à l’art. 3 CEDH ; il s’agit plutôt d’une combinaison de facteurs qui fondent un tel risque.360

355 CourEDH, arrêt Salah Sheekh c. Pays-Bas du 11 janvier 2007, requête n° 1948/04, § 148.

356 FORNEROD (2010), p. 327.

357 CourEDH, arrêt Saadi c. Italie du 28 février 2008 [GC], requête n° 37201/06, § 132.

358 “Exceptionally, however, in cases where an applicant alleges that he or she is a member of a group systematically exposed to a practice of ill-treatment, the Court has considered that the protection of Article 3 of the Convention enters into play when the applicant establishes that there are serious reasons to believe in the existence of the practice in question and his or her membership of the group concerned […]. In those circumstances, the Court will not then insist that the applicant show the existence of further special distinguishing features if to do so would render illusory the protection offered by Article 3.” CourEDH, arrêt Na c. Royaume-Uni du 17 juillet 2008, requête n° 25904/07, § 116. Voir également CourEDH, arrêt X. c.

Suisse du 26 janvier 2017, requête n° 16744/14, § 61.

359 Voir CourEDH, arrêt Na c. Royaume-Uni du 17 juillet 2008, requête n° 25904/07, § 117. Voir également BALDINGER (2013), p. 245.

360 Voir dans le même sens DE WECK (2016), p. 270; BALDINGER (2013), p. 238; WOUTERS (2009), p. 255.

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