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La préoccupation fondamentale qui sous-tend ce travail a trait aux formes du pouvoir. Ce travail l’abordera au travers de différentes théories des Relations Internationales, ainsi que de sociologie politique dans l’optique de défendre une approche interdisciplinaire du pouvoir, afin d’être outiller pour le saisir dans toute l’hétérogénéité de ses formes. Une étude du cas du Lesotho Highlands Water Project servira à illustrer les formes autant discursives, symboliques, matérielles qu’infrastructurelles que le pouvoir peut prendre. Un premier développement servira à confronter les approches de RI avec la sociologie politique, afin de mettre en avant les limitations inhérentes à certains postulats anhistoriques et universalistes des RI. Une question analogue se pose autour de l’enjeu plus spécifique de l’eau en confrontant les approches de l’eau, inspirées des RI, avec des approches de géographie politique, d’écologie politique, ainsi que de théories critiques de la sécurité. La notion gramscienne d’hégémonie va servir à saisir les dynamiques transnationales et internationales de diffusion de normes, ainsi que de paradigmes dominants dans l’analyse des enjeux d’eau. L’étude du LHWP commencera par une contextualisation en termes d’historicité de la trajectoire de l’État du Lesotho.

Puis ce sera la trajectoire historique de l’Afrique du Sud qui va être abordée, mais de manière plus ciblée autour des enjeux de transferts d’eau et de politiques hydrauliques. L’étude du processus de négociations permettra de monter que des enjeux essentiels en termes de coalitions transnationales de soutien au Projet se sont noués à ce moment. Puis une mise en perspective au travers d’une confrontation des discours hégémoniques et contre-hégémoniques à propos de ce Projet, qui le catégorisent respectivement comme une coopération offrant des « bénéfices partagés » pour les parties prenantes, et de l’autre comme étant le « démon des Highlands » va permettre de déployer l’espace de lutte sur l’enjeu de l’interprétation du Projet. Il sera mis en avant que cet espace est dominé par un certain nombre de postulats et de concepts hégémoniques qui instituent le LHWP comme une réussite. Après avoir brièvement conclu en revenant sur les différents points d’une analyse au travers des catégories du WD, une toute dernière partie servira à mettre en avant la contribution essentielle qu’offrirait une approche de sociologie politique des enjeux de transferts d’eau, particulièrement dans un cas transfrontalier comme le LHWP.

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3.1.2 Sociologie politique de l’État en Afrique sub-saharienne ... 20

3.1.2.1 Trajectoires historiques des formes d’État-nation ... 20

3.1.2.2 Esquisse d’une Gouvernementalité néocoloniale ... 26

3.1.2.3 Historicité des hégémonies du « Développement » ... 31

3.1.2.4 De la Gouvernance ... 33

3.2 Vers une sociologie politique de l’eau ? ... 42

3.2.1 Déconstruction du stress hydrique (Water Scarcity) ... 46

3.2.2 « Water Discourse » et théories des RI ... 48

3.2.2.1 Guerres de l’eau, Paix de l’eau ... 50

4.2 De la géographie hydropolitique de l’Afrique Australe ... 66

4.2.1 Trajectoire historique du Lesotho ... 66

4.2.1.1 Un État néo-colonial ... 71

4.2.1.2 La Nation Basotho contre l'État : Un nationalisme vernaculaire vs un nationalisme oligarchique .... 72

4.2.1.3 La dépendance comme stratégie discursive et matérielle ... 75

4.2.2 L’espace hydraulique Sud-Africain ... 78

4.2.2.1 La « Mission hydraulique » de l'État sud-africain ... 82

4.2.2.2 Le complexe hydropolitique de l’Afrique austral ... 88

4.2.3 Du LHWS au LHWP ... 94

4.3 Processus de négociations pour le Traité de 1986 ... 99

4.4 Hégémonie et contre-hégémonie dans l’interprétation du LHWP ... 106

4.4.1 Le concept hégémonique des « bénéfices partagés » ... 106

4.4.2 « Le démon des Highlands », stratégies contre-hégémoniques ... 109

4.4.2.1 La contre-hégémonie dans la contestation sur l'enjeu des Resettlements ... 110

4.5 Discussion ... 116

4.5.1.1 Fracture des sociétés politiques vs « État-conteneur » ... 116

4.5.1.2 Souveraineté territoriale et stratégies territoriales ... 118

7 Annexe: Draft de projet de thèse FNS ... 131

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2 Introduction

On ne doute jamais trop, quand il s’agit de l’État.

Pierre Bourdieu, Sur l’État

En revanche se dessine une méthodologie plus ou moins cohérente selon laquelle le gouvernement, y compris celui de l’aide au développement, a forcément quelque chose à faire et à voir avec le passé colonial dont il est issu – ce rapport étant singulier d’une situation à l’autre. Il n’est donc pas question de dresser une théorie ou une interprétation globale du

« legs colonial », mais de définir une démarche analytique et opérationnelle dans un contexte circonscrit, par exemple dans celui d’un projet ou d’un programme de développement à l’échelle d’un terroir rural, d’une ville, d’un pays ou d’une sous-région. (Bayart, 2005:42).

La préoccupation fondamentale qui sous-tend ce travail a trait aux formes du pouvoir.

L’hypothèse centrale qui fonde cette réflexion postule que les formes du politiques peuvent être de deux types, d’un côté les formes culturelles du pouvoir, sous les notions d’hégémonie et de violence symbolique, de l’autre les formes matérielles du pouvoir, en l’espèce, sous la forme d’infrastructures hydrauliques de transfert interbassin. Cette hypothèse, si elle porte peu à controverse pour les formes culturelles, pour les formes matérielles du pouvoir, par contre, va nécessiter d’être abondamment étayée. Cette tension quant à une dimension politique dont seraient investies des infrastructures hydrauliques pointe vers l’enjeu central qui va informer tout ce travail. Car un certain paradoxe semble s’esquisser ici entre l’hypothèse que les projets hydrauliques sont des formes politiques – comme cela sera montré au travers des exemples tirés de l’étude de l’historicité de l’espace hydropolitique de l’Afrique australe – et la compréhension managériale et technocratique qui en est donnée dans les approches dominantes des Relations Internationales (RI), autant que celles du champ du développement. Ce travail se propose ainsi de déployer ce paradoxe non pas tant afin d’établir le caractère intrinsèquement politique des projets hydrauliques que, plus fondamentalement pour exposer le caractère implicitement dépolitisant d’un certain nombre de formes culturelles du pouvoir.

Pour commencer, il est nécessaire de faire le parcours des approches des RI dominantes à partir du point de vue critique élaboré par Agnew. Sa critique en termes de « piège territorial » définit trois postulats géographiques que la synthèse néo-néo (néolibérale-néoréaliste) des RI véhiculent et qui la rendent essentiellement incapable de considérer d’autres acteurs que les états dans l’analyse des RI.

Le point essentiel qui fait l’intérêt de cette critique tient à ce qu’elle relève un double biais théorique crucial en terme de dépolitisation, celui de l’évacuation de tous enjeux politiques internes au travers du postulat de l’« État-conteneur », mais par ailleurs, de par la conception anhistorique et idéaliste positiviste de l’État-nation, ce courant dominant des RI ne peut que concevoir des relations entre des entités étatiques formellement égales, sans s’autoriser à considérer des logiques de hiérarchisation et

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L’approche de Bayart en termes de trajectoire historique des Etats appuie la mise en question par Agnew de la pertinence d’approches universalisantes de l’État-nation, en considérant au contraire que l’historicité spécifique à chaque État exclut la possibilité d’une généralisation des formes étatiques. Par ailleurs, elle offre des outils d’analyse des formes culturelles de pouvoir, notamment à travers des notions de vulgarisation du pouvoir et de transactions hégémoniques qui servent à décrire les processus d’hybridation des catégories politiques européennes importées durant la Rencontre Coloniale. L’analyse en termes de formes culturelles du pouvoir permet également d’éviter une lecture trop intentionnaliste en considérant une incorporation de celles-ci autant chez les acteurs qui les produisent que ceux qui les relayent, ou les subissent.

Cette approche processuelle et historiciste des formes culturelles du pouvoir permet à la fois d’évacuer toute notion d’universalité des pratiques de l’exercice du pouvoir au travers de l’État, en particulier, les logiques rentières et néo-patrimoniales englobées sous la notion de stratégie d’extraversion expriment de manière limpide l’inadéquation à la réalité africaine de la notion d’« État-conteneur », en montrant le caractère clientélaire de cette forme de gouvernementalité. Cela montre qu’une conception dépolitisée de la relation de l’État avec la société n’est, au mieux, qu’illusoire.

Il est essentiel de se pencher sur ce travers dépolitisant au vue de l’influence déterminante que ces théories des RI ont sur le champ d’étude des transferts hydrauliques. Une brève analyse de l’approche en termes de gouvernance – nécessaire dans la mesure où cette approche semble émerger comme approche dominante dans l’appréhension des relations sur la scène internationale – offre d’intéressantes pistes pour sortir du « piège territorial ». Cependant, à partir de postulats tout à fait différents confinant à en faire un économisme, la « bonne gouvernance soulève le même problème d’être un cadre d’analyse dépolitisant. Ce constat permet de défendre, à la suite de Furlong, que les approches des enjeux hydrauliques devraient chercher à renouveler leur cadre théorique non plus seulement à partir des RI, mais qu’elles auraient avantage à ouvrir leur horizon théorique.

Dans cette optique, l’utilisation des approches historicistes de la sociologie-anthropologie politique, au travers de Bayart, de Bertrand et de Anderson pour l’anthropologie, ou encore de Ranger pour l’histoire, et les apports de l’écologie politique au travers de la géographie politique, par Furlong, sont autant de « boites à outils » extrêmement précieuses non pas seulement pour critiquer les carences et les dépolitisations en trompe-l’œil des approches dominantes en RI et dans l’étude des enjeux internationaux de l’eau, mais bien pour essayer de contribuer à un cadre d’analyse qui n’évacue pas les enjeux d’asymétries entre acteurs sociaux, les violences symboliques et physiques qui permettent à des acteurs de légitimer le redoublement de leur position dominante par des accès privilégiés à la ressource fondamentalement politique qu’est l’eau, amplifiant ainsi les structures d’inégalité au sein

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des « sociétés politiques » qui sont ainsi reproduites par ces projets. L’exemple du Lesotho Highlands Water Project va permettre d’illustrer le paradoxe évoqué plus haut d’une tension entre l’hypothèse de ce travail, selon laquelle les infrastructures hydrauliques sont des formes politiques, et la conception hégémonique des « bénéfices partagés » qui le représente comme un pur exemple de coopération entre acteurs formellement égaux et donc basée sur des motivations purement pragmatiques d’un intérêt mutuel à leur mise en situation d’interdépendance, là où nombres de conceptions contre-hégémoniques ont cherché à pointer les effets politiques et socio-économiques du Lesotho Water Highlands Projet, ainsi que son historicité marquée d’une élaboration sous le régime de l’Apartheid.

Le Lesotho Highlands Water Project est un considérable complexe d’infrastructures hydrauliques qui débuté en 1986 et dont la construction est prévu de se poursuivre jusqu’en 2030. Il achemine depuis une décennie déjà de l’eau depuis les Hauts-Plateaux du Lesotho jusqu’à la région du Gauteng en Afrique du Sud. L’analyse de ce cas va servir à mettre en perspective les limites des cadres théoriques inspirés du mainstream des Relations Internationales (RI) pour saisir toute la complexité des relations entre deux pays apparemment opposés en tout point : le Lesotho est un très petit pays d’un million d’habitants enclavé dans son immense voisin, l’Afrique du Sud : plus grande économie du continent africain, comptant plus de 50 millions d’habitants. Et cependant, le cœur névralgique du pays, cette région du Gauteng, dépend intégralement de transferts d’eau transfrontaliers

En première partie, l’article « Territorial Trap » de Agnew va servir à élaborer une critique du caractère idéaliste et territorial de la conception de l’État-nation telle qu’elle est véhiculée par le mainstream des RI. Il décline son argument en trois enjeux de ce territorialisme. En premier lieu, il discute la postulation d’une souveraineté une et indivisible à laquelle tout État pourrait prétendre. Son deuxième point critique a trait à la dichotomie relations extérieures/politiques intérieures. Enfin, il conteste la pertinence d’une approche de la conception de l’État en tant qu’ « État-conteneur », considérant que cela rend toute compréhension de potentielles rivalités internes entre l’État et des groupes sociaux qui contesteraient sa légitimité, notamment à les représenter et à défendre leurs intérêts sur la scène internationale. L’argument principal de ce travail s’articule autour de ces trois éléments et il consiste en la critique de l’hégémonie de notions dépolitisantes et iréniques dans le champ de la coopération internationale et au sein des Organisations Internationales, en particulier les institutions internationales d’aide au développement, la Banque Mondiale (BM) en premier lieu.

Avant d’exposer la nécessité pour de telles institutions de faire usage de ce type de modèles acontextuels, anhistoriques et apolitiques, afin de pouvoir prétendre à appliquer les mêmes types de

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« packages » de développement1 indépendamment du terrain et du pays « à développer », il est nécessaire d’étayer la critique de l’usage positiviste de l’idéal-type de l’État-nation d’Agnew par la notion de trajectoire historique de Bayart. Celle-ci va permettre d’alimenter la critique en particulier de la notion d’ «État-conteneur », en montrant qu’une caractéristique dominante, bien que certainement pas uniforme, des états en Afrique, fruit de la « vulgarisation du pouvoir » et de l’incorporation des catégories politiques importées, tient à l’utilisation par les élites de la souveraineté comme ressource pour leur stratégie2 d’extraversion. Bayart permet ainsi de montrer que ces élites instrumentalisent les relations privilégiées vers l’extérieur que leur donne leur position de gatekeeper pour s’assurer des rentes à partir des flux provenant de l’aide au développement ou de toute autre source extérieure. Rentes qu’ils mettent à contribution dans des stratégies néo-patrimoniales de constitution de réseaux clientélaires. Les travaux de Bayart contribuent ainsi à étayer les trois critiques d’Agnew, autant la souveraineté que la séparation dite étanche des relations extérieures d’un État de ses politiques intérieures, du fait qu’elles servent les stratégies d’extraversion qui à leur tour donnent les moyens d’une gouvernementalité clientélaire orientée en fonction des coalitions dominantes. Cela permet de montrer l’inadéquation de l’approche idéaliste d’« État-conteneur » à la réalité de l’Afrique sub-saharienne. La notion d’ « invention de la tradition » élaborée par Hobsbawm et Ranger, ainsi que les notions de « nationalisme vernaculaire » et de « nationalisme oligarchique » utilisées par Anderson permettent également de montrer comment un territoire fruit d’une historicité marquée par le Moment Colonial, mais également fruit de ce qui a persisté hors de cette « rencontre », peut être structuré selon des sociétés politiques distinctes voire antagonistes, comme l’historique sur le Lesotho va servir à l’illustrer.

Par ailleurs, pour conclure cette première partie théorique, les travaux de Bayart sont utilisés pour montrer l’historicité ininterrompue du colonialisme aux politiques d’aide au développement contemporaines et leur lien organique aux logiques d’extraversion et qu’elles contribuent ainsi à perpétuer. Même si une institution de développement telle que la BM ne peut pas ignorer complètement les effets de ses politiques, du fait qu’elle est soumise à la nécessité de faire fructifier ses ressources financières en prêtant, une forme de conditionnalité inversée qui la contraint à

« développer », malgré ces effets. Et c’est précisément parce qu’elle est poussée par cette nécessité d’entreprendre qu’elle trouve usage à des modèles qui évitent de rendre compte des effets proprement politiques des projets qu’elle finance.

Pour tenter d’esquisser les enjeux qui intéresseraient une sociologie politique de l’eau, le

1 (Ferguson, 1990).

2 « Parler de stratégies n’oblige pas à référer chaque action humaine à un projet mûrement réfléchi, ni surtout à accepter tel quel l’imaginaire économiciste de la délibération par calcul des coûts et des bénéfices escomptés » (Bertrand, 2008:

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deuxième champ d’illustration pour le « piège territorial » s’intéresse au caractère construit de la relation société-environnement au travers de la déconstruction de la notion de rareté (scarcity). Puis, un retour sur Wittfogel et son étude du Despotisme [hydraulique] asiatique permet de soulever la problématique centrale de la relation entre les formes politiques et les modes de gestion et d’allocation de la ressource hydrique. Pour illustrer ce point, Swatuk, ainsi que Blanchon, défendent que, dans le cas du régime de l’Apartheid, la politique de grandes hydrauliques a été explicitement, et avec succès, un moyen au service de l’idéologie racialiste qui prévalait sous ce régime, comme Swyngedouw l’avait montré dans le cas de l’Espagne franquiste.

Toujours dans cette optique d’illustrer le « piège territorial », l’enjeu des transferts d’eau occupe l’essentiel de la deuxième partie de ce travail pour deux raisons. En premier lieu, parce que le champ sous-disciplinaire des RI que du Plessis et Furlong nomment « Water Discourse » (WD), est selon ces auteurs, pris de part en part et de manière implicite, c’est-à-dire non-discutée ou justifiée théoriquement, dans le « piège territorial ». L’utilisation de la notion néo-gramscienne d’hégémonie permet dans le cas du WD de montrer comment il s’est constitué en approche incontournable lorsqu’il s’agit d’entreprendre ou d’analyser un quelconque projet de transfert hydraulique. Les notions de

« sécuritisation » - « désécuritisation », liées aux approches critiques de la sécurité de l’Ecole de Stockholm, permettent de saisir des dynamiques discursives régionales à l’Afrique australe, notamment la performation d’une pacification des relations régionales, voire l’esquisse d’un processus d’intégration, par la désécuritisation des discours. Plus spécifiquement au domaine de l’eau, la notion de « complexe hydropolitique » est utile pour décrire la très importante interdépendance hydraulique qui caractérise l’Afrique australe. Cependant, de discuter la possibilité d’une désécuritisation plus que discursive de ce « complexe » permet de montrer que dès lors que l’Afrique du Sud se sent menacée dans ses intérêts « vitaux », elle n’hésite pas à entreprendre des actions

« musclées », afin de préserver les acquis de sa position dominante et ainsi à perpétuer l’asymétrie des relations régionales.

En second lieu, l’exemple du Complexe hydropolitique de l’Afrique australe, et en particulier le cas du Lesotho Highlands Water Project (LHWP), va permettre de montrer que les transferts hydrauliques internationaux sont précisément des contre-exemples au « piège territorial ». Par exemple, le caractère sanctifié de la souveraineté et d’une séparation étanche des politiques extérieures et domestiques semblent difficilement pertinents pour expliquer les interventions d’un état voisin sous formes d’un coup d’État, d’une intervention militaire, de la sujétion d’une administration paraétatique à la volonté de cet État voisin, l’Afrique du Sud. Le LHWP est également exemplaire de comment une appréhension en termes d’ « État-conteneur » de l’organisation d’un territoire national, en rendant aveugle aux fractures qui caractérisent la société politique du Lesotho par la postulation d’une homogénéité de celle-ci et d’une relation dépolitisée de type gestionnaire

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entre l’État et la Nation. Ainsi, du fait de la répartition très inégale des « bénéfices » provenant du Projet, celui-ci a eu comme résultat une exacerbation des inégalités et des tensions entre groupes sociaux qui ont provoqué des soulèvements réprimés dans le sang. La notion de « Communauté d’interprétation » élaborée par Mosse dans l’analyse des projets de développement permet de décrire la coalition d’acteurs étatiques, épistémiques, économiques qui s’est constituée autour du LHWP pour soutenir l’interprétation de sa réussite en tant qu’il a permis aux deux pays « partenaires » d’en retirer des « bénéfices partagés » du fait de cette coopération et de l’interdépendance que ce Projet a permis d’instaurer. Cette notion de l’intérêt mutuel des parties impliquées à participer à ce Projet a ainsi été constituée en « concept hégémonique » par les acteurs dont c’était l’intérêt de voiler les asymétries interétatiques et infranationales que le Projet n’a fait que reproduire, voire amplifier, derrière l’image d’une collaboration heureuse entre partenaires égaux.

Ainsi, la critique de l’aveuglement théorique qu’induit le « piège territorial », est loin de pouvoir être réduite à une simple dispute théorique interne à la discipline des RI, c’est un enjeu politique essentiel. Dans la mesure où les approches qui le véhiculent, encore plus lorsqu’elles le font de manière implicite, voire à leur insu, informent un champ très important de l’aide au développement, celui des grands projets d’infrastructure, peut-être l’un de ceux qui a le plus de répercussions directes

Ainsi, la critique de l’aveuglement théorique qu’induit le « piège territorial », est loin de pouvoir être réduite à une simple dispute théorique interne à la discipline des RI, c’est un enjeu politique essentiel. Dans la mesure où les approches qui le véhiculent, encore plus lorsqu’elles le font de manière implicite, voire à leur insu, informent un champ très important de l’aide au développement, celui des grands projets d’infrastructure, peut-être l’un de ceux qui a le plus de répercussions directes