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4.2 De la géographie hydropolitique de l’Afrique Australe

4.2.1 Trajectoire historique du Lesotho

4.2.1.3 La dépendance comme stratégie discursive et matérielle

But Lesotho's independent existence, a fiction in an economic sense, is not worth the candle except to the small elites who have a vested interest in structures of government and patronage, in the Lesotho Highlands Water Project, the Customs Union, and the political economy of migrant labour. (Coplan, 1997: 54-55).

Cette citation soutient l’analyse en termes de stratégies d’extraversion de la part du bloc historique. Mais elle avance un point essentiel c’est que la situation de dépendance objective du pays, voire même l’illusion de son indépendance n’a de sens que pour les élites qui retirent une rente de cette souveraineté d’extraversion, paradigme de l’extraversion dont le LHWP participerait.

Aussi, si le pays est indéniablement dépendant, il est important de considérer les relations du Lesotho par rapport à l'extérieur de manière distincte, voire antagonistes, selon à partir de quel groupe social la relation à l’extérieur est considérée. En se posant la question en termes de source de revenu, là où la dépendance vers l'extérieur de la nation basotho se définit en termes d'emplois dans les mines d’Afrique du Sud, de manière analogue, le caractère « extraverti » de l'État du Lesotho le rend dépendant de ressources et de rentes d'origine externe.

Du point de vue des élites de Maseru, la « rente de souveraineté » implique l’affirmation de

122(1997).

123Il ne s'agit pas pour autant de dire qu'il faut le considérer comme un groupe homogène, il y a certainement des dissensions internes, comme les différentes passassions de pouvoir plus ou moins violentes qui se sont succédées depuis l'Indépendance l'illustrent bien.

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l’indépendance nationale. Car, si celle-ci est plus que dérisoire politiquement et inexistante du point de vue de l'économie nationale, revendiquer la souveraineté de jure, sinon de facto, du Lesotho est une rhétorique nécessaire du point de vue des rentes extérieures, extraites au travers de l’appareil étatique et de l’existence du Lesotho en tant qu’acteur à part entière de la scène internationale. Mais cette rhétorique n'a que peu de poids s’il s’agissait de performer une telle reconnaissance de la légitimité de l'État de Maseru par rapport à tout son territoire. Cela soutient l'hypothèse selon laquelle cette rhétorique nationaliste est surtout destinée à des acteurs extérieurs, comme manière de s’affirmer comme représentant légitime de l’Intérêt de la nation du Lesotho, justifiant les bailleurs internationaux dans leur jeu de dupe de considérer le GoL comme un partenaire dans la mise en œuvre de projets de développement au profit de la population. Alors précisément que du point de vue Basotho, la seule intervention de l'État qui pourrait être considérée comme non-nuisible serait de concourir à protéger cette autonomie des interférences extérieures, alors que justement il s'en fait le vecteur. Afin de simplifier le propos, il sera considéré que toutes politiques destinées à intervenir dans la vie des populations Basotho, qu'elles proviennent du GoL ou d'organisations internationales, seront globalement perçues par ces populations comme des intrusions inopportunes caractéristiques de cet État prédateur, et elles auront comme résultat une extension du quadrillage de ces communautés en marge, au travers d'un appareil administratif-bureaucratique étatique ou paraétatique.

Il ne s'agit pas tant de laisser entendre que des individus vont accaparer au sens stricte ces ressources financières à des fins d'accumulation et de détournement, mais plutôt d'y voir le moyen pour ces élites de se faire les gestionnaires de ces ressources, ce qui leur permettraient de monnayer des soutiens politiques, d'entretenir des réseaux clientélistes, ce qui leur permet de transformer ces mannes financières en d'autres ressources, politiques, de prestige, etc. Cette gestion des dépendances du pays par ces élites fait le lien entre l'interventionnisme étatique et les déterminations externes induites par les bailleurs internationaux.

Il y a dépendance par rapport à l'Afrique du Sud aussi pour les communautés des Highlands, cependant celle-ci n'est pas la conséquence positive de la souveraineté du Lesotho, elle est plutôt un obstacle matérialisé sous la forme de frontière. Ce n'est donc pas une ressource aisément disposable, contrairement aux élites de Maseru, qui, par un positionnement en tant que gatekeeper, intermédiaires avec l'extérieur, peuvent se constituer en gestionnaire presque incontournables des flux qui proviennent de l'extérieur, autant de l'Afrique du Sud que celles provenant d'acteurs internationaux, les bailleurs internationaux ou les ONG d'aide au développement.

Ce cheminement historique sur la constitution du Lesotho a permis de montrer l'hétérogénéité des allégeances et des normes qui prévalent entre la plaine urbanisée et son élite monopolisant l’appareil étatique, ayant incorporé les hégémonies coloniales en termes de modernismes, de

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conception territoriale de l’État-nation ; face aux communautés des Highlands qui sont pris dans une référentialité à la fois très locale, liée à leur allégeance aux autorités traditionnelles et leur identification à une communauté transnationale « imaginée » qui s'étend indifféremment de part et d'autre de la frontière entre le Lesotho et l'Afrique du Sud. Ce double référentiel fait ainsi l'impasse sur une identification nationale. Ce non-recoupement des allégeances, cette divergence fondamentale des normes propres aux niveaux « Lesotho » et « basotho » ne manque pas de provoquer des rapports de force qui déterminent une certaine inimitié entre ces deux composantes du pays. Il ne s’agit pas pour autant d’une « domination sans hégémonie ». Ces enjeux culturels et symboliques montrent bien qu’il s’agit plutôt de rivalités entre hégémonies, qui dans leur lutte, n’ont pas pour autant fragilisé l’État, mais, au contraire, la persistance (catégorisée comme « inertie » intrinsèque à ces formes

« archaïques ») de formes traditionnelles est la justification même d’un projet moderniste. L’asymétrie indéniable de ces rapports entre les communautés des Hautes-Terres, accentuée par les stratégies d’extraversion des acteurs dominants, palliant le manque de ressource interne de l’État, ce qui ne peut manquer de se traduire par un processus d'extension des interventions de l'État dans les régions marginalisées, au nom de leur développement.

The marginalisation of the people locally, of the country in the regional economy and in southern African politics, is as apparent as ever. The Lesotho Highlands Water Project, agreed to by the Lekhanya government in 1986, exemplifies the yawning gap between an impoverished people and a corrupt administration. (Quinlan, 1997:46).

A ce titre, le LHWP peut être analysé comme un médium et un amplificateur de cette logique d'extension de la présence étatique sur le territoire, particulièrement dans ces zones jusqu’ici peu accessibles et donc relativement hors de portée pour Maseru. Ainsi, bien que le LHWP soit essentiellement conçu pour subvenir aux besoins de l’Afrique du Sud (il a déjà été évoqué les asymétries qu’il reproduit même dans ce pays infiniment plus riche) il a été élaboré également en adéquation avec des logiques d’extraversion et de quadrillage du territoire au moyen des rentes obtenues ainsi caractéristiques de la gouvernementalité néocoloniale prévalent au Lesotho.

Cependant, ces dimensions ne pourraient être saisies en faisant l’économie de décrire la trajectoire historique de l’État du Lesotho. Ces dimensions ont tous les risques de ne pas être saisies par les approches relevant du WD au vue des carences analytiques qui ont été relevées en première partie de ce travail. Cela montre la nécessité d’accomplir un profond changement de paradigme, s’il ne s’agit pas de se contenter de rendre compte des concepts hégémoniques de la communauté d’interprétation comme pseudo-analyse des enjeux sous-jacents à un projet, qui, tout au contraire, ne feraient que ratifier les discours officiels. D’où la nécessité d’une sociologie politique de l’eau, comme l’analyse de la trajectoire historique de l’Afrique du Sud, dans le domaine spécifique de l’eau, va également permettre de l’étayer.

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