• Aucun résultat trouvé

4.4 Hégémonie et contre-hégémonie dans l’interprétation du LHWP

4.4.1 Le concept hégémonique des « bénéfices partagés »

4.4.2.1 La contre-hégémonie dans la contestation sur l'enjeu des Resettlements

The issue of compensation is a controversial one where the Lesotho Government and the LHDA claim that affected communities have been sufficiently reimbursed and are in fact better off now than before the project commenced, while organisations such as the Transformation Resource Centre in Maseru argue on behalf of affected communities that the compensation is too little or has not been satisfactorily effectuated. (Davidsen, 2006:125).

Un point de contentieux essentiel par rapport à ce projet est lié à l’enjeu, déjà évoqué dans la discussion sur les négociations, des politiques de compensation pour les populations relocalisées (resettled). Ainsi, cette question de la relation entre les pertes occasionnées et les compensations que cela impliquait, parallèlement à des projets de développement ciblant les communautés des Highlands dès le premier barrage, a joué un rôle essentiel dans la manière dont le LHWP a été perçu dans les Highlands.

Il paraît nécessaire d'exposer plus précisément les bases légales relatives à ces mesures de mitigation dans le Traité de 1986, puis dans une directive élaborée par la Lesotho Highlands Water Authority (LHDA, instance chargée de toute la mise en œuvre du Projet sur le territoire du Lesotho), la Compensation Policy telle que le Gouvernement du Lesotho (GoL) l'a promulguée en 2002 (LHDA, 2002). Le Traité définit les dispositions relatives à cette question des populations172 et des zones affectées par le Projet sur deux plans. En premier lieu, des compensations prévues pour cibler les ménages directement touchés par la mise en œuvre du projet et, sur un deuxième plan, des dispositions prévoyant la mise en œuvre de projets de développement dans les Highlands, afin de promouvoir un développement de plus long terme et de permettre ainsi d'atteindre l'objectif premier concernant ces communautés affectées : que leur niveau de vie ne subisse pas de diminution par rapport à leur niveau antérieur au démarrage du projet suite à sa mise en œuvre du projet.

The objective of the compensation policy and regional development plan would be to ensure that the affected population is given the opportunity to be economically self-sustaining within the shortest time possible or, at the very least, ensure that living standards match those enjoyed before resettlement. (WB, 1986:25).

Cette insistance sur le seul maintien de leur niveau de vie au niveau antérieur au Projet n'est pas

172Une population affectée très loin d'être négligeable, vu que : « The total project-affected population for the first two phases (IA and 1B) was estimated at 15,800 », (WB, 1991 :10).

-111-

sans poser quelques problèmes. Tout d'abord par rapport aux engagements de la Banque dans ce Projet, celle-ci a soutenu ce dernier au nom du potentiel d'amélioration des conditions économiques du pays qui pourrait en découler, ce qui devrait signifier une augmentation du niveau de vie global de la population du Lesotho. Mais plus impérativement encore, cela devrait signifier qu'une attention particulière devrait être donnée pour qu’en premier lieu, les populations qui subissent des pertes dues à ce Projet bénéficient de mesures à même de non pas seulement compenser ce qu'elles subissent comme pertes173, mais aussi d'augmenter leur niveau de vie. Or, ni l'un ni l'autre de ces engagements n'ont pu être tenus. Les dysfonctionnements qui peuvent être mis en cause à ce propose seront évoqués à nouveau par la suite. Mais avant cela, il s'agit encore de définir comment ces dispositions très générales ont été traduites en mesures politiques concrètes.

Les politiques destinées à cibler les populations affectées par le Projet se déclinent en deux moments déjà évoqués ci-dessus : un volet de compensation et un volet de développement rural. Les politiques de compensation se déclinent à leur tour en différentes modalités selon si elles ciblent des foyers ayant subi la perte soit de leur habitation, auquel cas, cela signifie qu'ils peuvent faire valoir le droit de se faire reconstruire une habitation de même taille au frais de la LHDA (seule autorité compétente en la matière des mesures de compensation). Ces modalités de compensation ont provoqué d'importantes tensions entre la LHDA et les communautés concernées, notamment parce que cette logique de compensation ne saurait tout à fait compenser la perte de la sécurité qu'offrait la propriété de terres cultivables pour ce qui est de la nourriture, ainsi qu'en terme d'héritage et de continuité familiale. « In Basotho culture, inheritance has value that far exceeds money or consumption values accepted by conventional markets » (Matlosa, 1998:40).

Cette inadéquation des compensations par rapport aux problèmes et aux attentes que cela a engendrés chez ces communautés, Matlosa l'explique notamment par une absence de culture de la participation et une logique stato-centrée qui, comme cela a été évoqué, était constitutives au contexte politique au moment de l'élaboration du projet.174

The LHDA has embarked on a two-pronged strategy: short-to-medium term compensation and a long-term Rural Development Program (RDP) [...]The project offers an opportunity to improve rural welfare in the project area through the implementation of a comprehensive rural development plan (WB, 1991:51).

Ce Development Fund avait donc comme but de permettre aux zones rurales affectées par le projet de bénéficier de programmes spécifiques d'aide au développement, afin d'ouvrir des

173Nombres d'entre elles étant bien sûr pas quantifiable, encore moins compensables, que ce soit à un niveau affectif ou symbolique.

174 « As a result, local communities find themselves powerless and unable to exert the necessary influence or pressure on the authorities to uphold this commitment. The governments that signed the treaty - the military in Lesotho and apartheid regime in South Africa - were not given to the culture of popular participation, consultation, accountability and transparency » (Matlosa, 1998:37-38).

-112-

opportunités pour les communautés concernées, de soutenir des initiatives volontaristes dans le domaine agricole. Mais cela n'a jamais vraiment pris forme, que ce soit pour des questions de manque de capacités institutionnelles de la part de la LHDA pour pouvoir mettre en œuvre de telle projet, les obstacles que l'Afrique du Sud a pu instaurer contre ces projets ou encore les problèmes de politisation et de corruption liées à la gestion même de ce Fond par le GoL.

The Development Fund suffered from a crippling mix of politics and patronage. It became an instrument of political patronage unable to deliver benefits to the affected people in the Lesotho Highlands. (Horta, 1995:4).

Toutes les royalties versées par l'Afrique du Sud comme contrepartie au transfert d'eau passent par le Fond, pour après être redistribuées dans un second temps selon deux axes : des programmes de développement rural, qui constitue le mandat principal du Fond, et assurer l'équilibre budgétaire de l'État.175Se penchant sur l'un des volets du Lesotho prévus pour amoindrir les effets négatifs sur les populations touchées par le projet, Matlosa explique que de très vives controverses et débats politiques ont été provoquées par l'utilisation du Development Fund à des fins détournées de ses finalités de promotion du développement des Communautés des Highlands par le Parlement.176

The LHRF [Lesotho Highlands Rural Fund, nouvelle appellation du Development Fund] was highly politicized due to the leading role that members of Parliament played in the identification of projects and beneficiaries in their constituencies. (WB, 2004).

C’est un exemple flagrant de stratégie d’extraversion et de clientélisme où les acteurs utilisent une source extérieure de revenu pour alimenter leur réseau de soutien politique. Ces dysfonctionnements ont amené la Banque Mondiale à demander pour un audit de la gestion du Fond pour finalement que sa dissolution en soit décidée. Ainsi, à la suite de cette première phase qui est très largement considérée dans la littérature comme catastrophique du point de vue des mesures d'atténuation des conséquences socio-économiques du projet pour les communautés des Highlands de nouvelles normes ont été établies, notamment en relation avec de nouvelles guideline sur les enjeux de relocalisation de populations. Devitt & Hitchcock soulignent que la forme de compensation qui provoquent le plus d'adhésion et qui semble la plus satisfaisante du point de vue des communautés reste le remplacement des terrains noyés par d'autres terrains, solution qui reste lettre morte du moins dans la première phase vu la rareté des terres disponibles dans le pays. La réinstallation dans les lowlands du côté sud-africain de la frontière aurait été une solution envisageable et qui intéressait de nombreux ménages.

As soon as it was taken up by the people as a serious possibility some senior LHDA officials felt the reins of control slipping from their grasp. (Devitt & Hitchcock, 2010:82).

175 (WB, 1991:97).

176 (Matlosa, 1998 :2).

-113-

Cela semble être une illustration frappante des conceptions « territoriales » de l’autorité et de la souveraineté que les acteurs politiques du gouvernement du Lesotho semblent véhiculer, alors même que cette même autorité est profondément contestée symboliquement par une part considérable de leurs « citoyens ». Cette réaction a eu comme conséquence de fragiliser la confiance que les membres des communautés pouvaient avoir pour ce discours de la participation concernant leur future réimplantation et concernant le positionnement des chefs et des autorités locales comme représentant de leur intérêt. Par ailleurs, du fait que la réimplantation à plus grande distance donnait droit à une compensation plus importante, cela a incité à faire ce choix, ce qui a contribué à la dispersion de ces communautés et à leur dislocation.177

Par ailleurs, une certaine inquiétude de la part du gouvernement de Maseru, que cette logique participative et de collaboration pourrait affaiblir la centralité de son autorité centralisée, aurait elle aussi contribué à affaiblir l'effectivité avec laquelle la participation a pu se trouver légitimée.178 Ces auteurs mettent ainsi en avant une certaine animosité de la part des différentes instances de pouvoir qui gravitent autour de ce projet par rapport à une logique participative. Cependant, de nouvelles structures furent mise en place au niveau local, des « Area Liaison Commity », ainsi que des

« Community Liaison individuals », afin d'informer les membres des communautés sur la teneur du projet et ses répercussions sur leur mode de vie. Par ailleurs, une forme de représentation s'est progressivement imposée au travers des ONG à mesure que l'implémentation de la phase 1B du projet avançait et qu'elles se révélaient des intermédiaires utiles avec les communautés. « There are, however, questions regarding whether or not participation has resulted in significant social gains, due in part to failure to engage with issues of politics and power».179

La principale critique faite à l'ensemble de ce projet par les auteurs de ce document – ainsi que par les ONG locales, telle le Transformation Ressource Center, et internationale, comme le International Rivers Network – a trait aux dysfonctionnements des politique de mitigation des effets négatifs de l'ensemble du projet sur les populations déplacées, ainsi que sur les populations en aval des barrages. A ce titre, ils mettent en avant une divergence importante entre les normes intégrées au projet dans son élaboration et leur mise en œuvre lors de son implémentation.

Scudder (2005) montre que nombre des échecs dans les Programmes de Développement Rural ne sont pas seulement à mettre sur le compte du manque de capacités et de personnes suffisamment compétentes que peut faire valoir la LHDA ou le GoL. Il donne une intéressante perspective sur comment l'Afrique du Sud, au travers de la Water Commission, a interféré dans la marche courante des affaires de la LHDA, outrepassant ainsi ses compétences, celle-ci était censée être seulement le

177 (Devitt & Hitchcock, 2010:87).

178 (Devitt & Hitchcock, 2010:75).

179 (Devitt & Hitchcock, 2010:99).

-114-

lieu de négociation entre les deux pays pour s'accorder sur les stratégies à long-terme. Mais le problème provient, à l'origine déjà, du fait que la question de l'origine du financement des réinstallations n'ait pu être réglée préalablement à la signature du Traité de 1986.180 Notamment du fait d'une croyance au sein de la Water Commission qu'une politique de compensation pourrait suffire à atteindre les buts définis dans le Traité en termes de maintien du niveau de vie des communautés affectées. Cette conviction de la délégation sud-africaine l'a amenée à s'opposer à nombre de projets de développement dont l'implémentation dans les zones affectées par le projet avait été étudiée.181 Ce désintérêt s'est très immédiatement traduit dans les faits par l'absence, notamment, de construction de quelconques habitations de réimplantation pour les communautés qui allaient voir leur habitation noyée par la montée des eaux du Katse Dam de la phase 1A du projet. Ce n'est que sous la pression de la Banque Mondiale qui refusait d'autoriser la finalisation du barrage de Katse tant que l'obligation de reloger les personnes forcées d'être relocalisés n'était pas remplie, que la LHDA a entrepris, à la va-vite de construire des habitations de substitution.182 C'est un exemple significatif qui montre que bien que la BM a joué un rôle important par son agenda d’amoindrissement des conséquences négatives pour les populations subissant le projet.183

« Although the LHWP succeeded in generating sustained export revenue for Lesotho, the Bank did not provide adequate technical support for improving rural welfare from the proceeds of water sales.[...] Finally, with the exception of education, other Bank assistance programs were ineffective » WB, 2001

La Banque maintient pourtant un soutien sans faille à la poursuite des prochaines étapes du Projet, alors même que la nécessité de son extension par rapport aux besoins en eau de l'Afrique du Sud permettrait tout au moins d'en retarder la mise en œuvre et sans même parler de ses conséquences socio-économiques potentielles sur les populations qui vont encore être expropriées. Cela peut s'expliquer par la conditionnalité inversée de la Banque qui lui impose de toujours prêter et faire circuler l'argent, même lorsque les résultats en termes de coût humain et de réussite ou d'échec des projets mis en œuvre ne correspondent pas à ses propres directives.184 Et de fait, la BM ne peut ignorer cet État de fait, comme elle ne peut ignorer que le Projet a été entrepris avant tout pour répondre aux besoins de l’Afrique du Sud en eau. Elle semble reconnaitre ce dénivelé de manière relativement clair: « [LHDA] main responsibility is to agree on and to monitor the implementation and operation of the project in all matters related to the delivery of water to RSA. JPTC is the instrument by which the two governments' Interests are safeguard. (WB, 1991:14) ». Cela ne doit pas pour autant être

180 (Thamae & Pottinger, 2006:42).

181(Devitt & Hitchcock, 2010;23;52).

182 (Devitt & Hitchcock, 2010:10).

183 (Thamae & Pottinger, 2006:45).

184 (Thamae & Pottinger, 2006 :48).

-115-

considéré comme une démonstration d’une forme de rupture de collégialité au sein de la communauté d’interprétation. Au contraire, il y a inévitablement des tensions et des incompatibilités de points de vue au sein de cet assemblage hétéroclite d’acteurs. C’est précisément le rôle d’une conception hégémonique que d’affirmer qu’il y a un accord consensuel qui transcende ces particularismes.

-116-