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3.1 Relations Internationales et historicité de l’État-Nation

3.1.2 Sociologie politique de l’État en Afrique sub-saharienne

3.1.2.4 De la Gouvernance

Il est indispensable d’aborder la notion de gouvernance, vu le caractère hégémonique que la notion a acquis dans les deux dernières décennies dans le champ de l’ « aide au développement, et ce de deux points de vue. D’un côté, elle est considérée comme une intéressante réponse à la perplexité des sciences politiques face à de nouvelles formes de spatialité entrant de facto en contradiction avec les approche utilisant les territoires nationaux comme unité fondamentale d’analyse, dont les

« postulats géographiques » identifiés par Agnew sont en quelque sorte la caricature. D’un deuxième point de vue, il est nécessaire d’aborder la « bonne gouvernance » comme dernier paradigme en date de l’hégémonie développementaliste internationale.

Dans la généalogie des doctrines ayant structurés les relations nord-sud, il s’agit ainsi de situer la notion de gouvernance par rapport à ces enjeux conceptuels autour de l’institution de l’État-Nation, mais le contenu par trop normatif de ce discours de la « bonne gouvernance » n’est pas sans pose des problèmes d’un point de vue analytique.

La notion de gouvernance a été la réponse à une perplexité théorique des analyses centrées sur l'État liée au contexte de la globalisation.52 La gouvernance semble à même de saisir certains phénomènes pour lesquels les RI semblent quelques peu désemparées. La globalisation se traduirait ainsi par une évolution dans les modalités de gestion des affaires publiques, l’État tendrait à ne plus

n'est pas neutre, puisqu'ils ont tous contribué à déterminer les comportements des élites étatiques au Sud et à façonner plusieurs décennies de « politiques de développement. […] Le paradigme néoclassique n'échappe donc pas malgré tout à la convocation d'un État mythique, construit pour les besoins de la cause ». (Petiteville, 1998 :128).

52« On assiste à une prolifération d'échelles, reliées dans des hiérarchies enchevêtrées au lieu d'être simplement encastrées » (Jessop, 1998:43).

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être l’acteur monopolistique dans l’élaboration des politiques publiques – s’il ne l’a jamais été.La notion d'action publique a été élaborée pour rendre compte de cette évolution, mais là encore, l'adjectif public est le signe que cette notion perpétue la distinction entre espace publique et espace privé indissociablement liée à la figure de l’État-central comme administrateur du territoire national.

La notion de gouvernance a d’abord été élaborée dans le champ académique sur le modèle de la corporate governance. Elle a été reprise dans le champ du développement, principalement par la BM, puis s’est diffusé à la plus part des OI. Elle fait référence à un mode de gouvernement, en partant d’une problématisation des processus d'action collective à partir d’une réflexion sur le rôle de l'État dans sa relation à l'économie et à la société. Un des arguments centraux de la notion tient à l'idée d'une rupture dans le mode de gestion des relations entre le marché, l'État et la société ; rupture par rapport au modèle stato-centré des processus d'action publiques, rupture de son monopole de gestion des enjeux collectifs.53 Cette notion ouvre, potentiellement, des pistes pour dépasser certains des postulats des RI évoqués plus haut. En particulier, la gouvernance semble être une notion adéquate pour dépasser le cloisonnement a priori entre les politiques intérieurs et les politiques extérieures54, notamment du point de vue de leur monopolisation par l'État. Elle semble sérieusement mettre en question l’idée de la souveraineté définie en tant qu’autorité exclusive d’un État sur un territoire en élargissant la gamme d’acteurs impliqués dans les processus de normation et de décision, que ce soit un élargissement vers le « bas », avec une plus grande implication des acteurs du Tiers-secteur, des ONG locales, ou que ce soit un élargissement vers le « haut » avec une prise en compte du poids normatif des grandes ONG internationales, des OI multilatérales, mais également une intégration des acteurs privés, domestiques ou internationaux, dans les processus de décision et d’élaboration de normes.55

L'approche libérale des RI a voulu remanier la conception d’une anarchie internationale d’Etats en permanence en État de guerre latent, tel que le postule les RI néo-réalistes, en cherchant à poser la question des conditions de possibilité de la coopération au travers du concept de régime international.

Le « concept de régime international est la forme que prennent les arrangements internationaux dans des domaines spécifiques : a set of implicit or explicit principles, norms, rules and decision-making procedures around which actors' expectations converge in a given issue-area of international

53« Il est important de souligner que cette prétention à la rupture évoquée ci-dessus est un trompe-l'oeil dans la mesure où ce genre de pratiques de coordination marché – État a toujours existé sous des formes diverses. Mais qu'elles ont été « marginalisée théoriquement et politiquement [pendant la période fordiste]» (Jessop, 1998:36). Il pourrait ainsi être argué qu'il s'agit essentiellement d'un changement de regard. Mais le discours de la nouveauté de ces processus n’est pas sans enjeu politique, comme cela sera développé plus loin.

54 « le concept de gouvernance est « séduisant » car il permet de rompre avec la traditionnelle dichotomie politique domestique / internationale » (Smouts, 1998 : 89).

55« [la gouvernance] permet de penser la gestion des affaires internationales non comme une activité interétatique mais comme un processus de négociation/interaction entre intervenants hétérogènes.[...]Elle fait une place aux rationalités multiples, aux légitimités différentes.[...]. » (Smouts, 1998: 89-90).

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relations ».56 Ainsi, la notion de régime cherche à décrire l'émergence de normes internationales qui favoriseraient la coopération entre états sur des enjeux circonscrits, normes qui tendraient à s'institutionnaliser et à rendre stables et prévisibles les comportements des acteurs sur la scène internationale. Cependant, à travers cette notion, les approches libérales en RI partagent avec les approches néo-réalistes une réification de l'État-nation en une sorte d'individu singulier qui défend son intérêt propre sur la scène internationale.

Comme les régimes, la gouvernance est un ensemble de règles, de principes, de procédures assurant la régulation d'activités traversant les frontières. La différence n'est pas de nature, mais d'étendue. Selon J.Rosenau, les régimes n'existent que dans des domaines bien précis, tandis que la gouvernance est inséparable de l'ordre mondial et n'est pas limitée à des activités spécifiques» (Smouts, 1998:86).

Cette notion permet d’esquisser une approche en porte-à-faux avec une conception exclusivement inter-étatiste de l’organisation de la scène internationale, contrairement aux approches dominantes des RI.57 Cependant, La gouvernance n'est pas sans partager certains traits avec cette notion de régime,en postulant également l'émergence de normes internationales au travers de la coopération, normes qui tendraient à s'institutionnaliser, à rendre stables et prévisibles les comportements des acteurs sur la scène internationale. Cette notion semble ainsi offrir des possibilités pour saisir les relations internationales, non plus dans une approche étroite en terme de relations intergouvernementales et interétatiques, mais en ouvrant les processus d'action publiques et en les considérant en termes d'horizontalité, de réseaux d’acteurs et de processus multi-niveaux. La gouvernance se veut, en tant que notion analytique, mieux à même de saisir des modes de gestion de l'action publique qui de fait ne sont plus, s'ils l'ont jamais été, circonscrits et déterminés par le cadre de l'État-nation.

[La notion de gouvernance] a été utilisée par la Banque Mondiale de manière prescriptive, pour désigner les institutions et les pratiques politiques qui seraient en théorie nécessaires au développement de l'Afrique, régime qu'elle a défini en recourant à l'idée de bonne gouvernance. (De Senarclens, 2002:96).

Pour comprendre l’émergence de la « bonne gouvernance », il serait nécessaire de faire une sociologie du contexte institutionnel dans lequel celui-ci a émergé jusqu'à atteindre le statut d’hégémonie en tant que modèle de gouvernement.58 Il est notamment intéressant de constater que, à

56 (Hufty, 2007:3), citant (Krasner, (1982). « Structural causes and regime consequences: regimes as intervening variables », International organization, 36(2): 185).

57 « By definition, its state as container/actor approach neglects the people represented (or unrepresented) within the states in question. » (Furlong, 2006:442).

58 « L'opposition entre la gestion publique et la gestion privée est elle aussi remise en question par ce discours, mais le dépassement de cette distinction du fait d'une mixité de plus en plus importante entre les deux modes de gestion des affaires publiques est indiscernablement autant prescriptive que descriptive dans ce discours très imprégné d'un arrière fond idéologique néo-libéral. » (Jessop, 1998:36).

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mesure de son usage de plus en plus généralisé par les Organisations Internationales, la notion de gouvernance a tendanciellement perdu son caractère analytique, au profit d’un caractère normatif.

Alors que le concept de gouvernance […] souffre cependant des mêmes problèmes que celui de régime, en particulier celui de ne pas s'interroger sur la nature de la régulation produite et de son adéquation aux problèmes de fond. Il est utilisé comme instrument d’analyse et d’action […] avec comme idéologie sous-jacente celle du libéralisme, et son corollaire, la doctrine de l’harmonie des intérêts […]. La gouvernance permet de faire passer ce raisonnement de l’économique au politique. (Hufty, 2007b : 4).

Cette citation est importante, car elle relève les faiblesses analytiques propres au discours de la gouvernance, analogues à celles dont souffrait la notion de régime, notamment une absence de perception des enjeux de pouvoir, faiblesses concomitantes à l’efficacité prescriptive de la « bonne gouvernance » en tant que discours normatif dominant de la scène internationale, c’est-à-dire en tant qu’hégémonie, déterminant qui est légitimement un acteur à part entière de cette scène et selon quelles modalités sa participation est possible. Aussi, si cette notion de gouvernance ne souffre pas des mêmes limitations analytiques territorialistes que les RI, cette notion pêche dans l’appréhension des enjeux politiques inhérents à tout processus de négociations et d’élaboration de normes à partir de postulats la confinant à un économisme, qui la rende peu capable de saisir les enjeux d’historicité et de pouvoir.

Ce que l'on peut reprocher à la gouvernance, ce sont son tropisme technocratique et sa prétention à gouverner en excluant le politique, à travers un mode de décision analogue à celui du marché. (Kazancigil. 1998: 76).

Dans la mesure où le discours de la gouvernance se veut en rupture par rapport aux dysfonctionnements antérieurement stigmatisés par les OI, la « corruption », les « états prédateurs », les « failing states », elle a toute les caractéristiques pour être considérée comme un énième avatar des discours réformistes de l’ « aide au développement ». Ce réformisme qui caractérise les politiques de développement, notamment sous la forme de conditionnalités et des Programmes d’Ajustement Structurels, dont la « bonne gouvernance » participe pleinement, tend à considérer a priori qu'une gestion privée est plus à même d'éviter ce genre d'écueil. Au nom de cette « bonne gouvernance » sont promus les mêmes desiderata que la doxa néo-libérale, tels les partenariats privés-publics, voire la privatisation des services publics. Ainsi, une défiance par rapport à une gestion étatique des affaires publiques semblent se perpétuer dans cette conception, celle-ci restant à ce titre dans la continuité des politiques de développement antérieures. Il serait absurde de prétendre à une invariance dans les politiques d’aide au développement. Cela irait à l’encontre de toutes les évidences historiques, cependant, il semble qu’il y ait eu une certaine continuité de principe dans les configurations entre les pays du « nord » et les pays du « Sud ». Celle d’une ascendance politique, symboliques et

« À la Banque mondiale, la gouvernance est devenue davantage un outil politique de transformation des sociétés qu’une approche analytique. Son usage se réfère à ce qui «devrait être» et non à ce qui «est». » (Hufty, 2007b :1)

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économique des élites du « nord » sur les élites cooptées au Sud, qui semble heuristique également pour comprendre l’émergence du discours de la gouvernance. Celle-ci semble avoir été une manière opportune d’entériner les moyens déclinants que les états occidentaux sont prêts à investir dans le développement, en incluant des acteurs privés (ce qui n’est finalement que le retour du même, en termes de filiation avec le « Moment Colonial », avec, par exemple, La Compagnie des indes) mais c’est aussi une manière de concéder la nécessité d’ouvrir les processus de décision à une plus large palette d’acteurs qui avaient juste marginalisé dans les modèles hérités de la période fordiste, sans les démocratiser pour autant.

Aujourd’hui comme hier, l’ennemi du progrès, c’est le peuple, ses traditions, son obscurantisme, son égoïsme ; l’obstacle à franchir, c’est la société réelle, alors même que l’on magnifie son hypostase, désormais la « société civile », jadis la nation ou le prolétariat.

(Bayart et Bertrand, 2005: 29).

Cette conception technocratique et développementaliste se traduit par une conception très étroite de la « société civile », les ONG, c’est-à-dire la transposition d’une forme européenne du tiers-secteur, semblant être le seul acteur légitime à la représenter, excluant ainsi les autorités traditionnelles comme représentant légitimes de la société, au nom de la corruption qui régnerait dans ces instances perpétuant l’effet délétère du réformisme sur les structures traditionnels au profit des structures étatiques, révélant ainsi une fois de plus sa filiation avec l’hégémonie coloniale.59 Le fait, par ailleurs, que les ONG locales dépendent de la certification étatique pour pouvoir être reconnue par les instances de l’aide au développement clarifie un état de fait : « la société, constitutives d’une véritable

« société civile », celle-ci étant non l’antipode de l’État, comme le veut la vulgate néolibérale, mais la société dans son rapport à l’État » (Bayart, 2008:124). Cette définition soulève un point essentiel, car elle amoindrit fondamentalement la portée d’une éventuelle ouverture « démocratique » que la

« bonne gouvernance » impliquerait par son vœu d’inclusion de la « société civile » dans les processus de gouvernance.

Aujourd’hui, la gouvernance reste dans la majorité des cas un signifiant flou[…].

Politiquement, il fait partir de ces termes qui prennent des sens différents et qui permettent un consensus politique tactique […], fondé justement sur leur imprécision. Cette polysémie permet le consensus ou tout au moins un «malentendu productif.60

Le caractère hégémonique que cette notion de gouvernance semble avoir acquis n’est pas sans relation à cette dimension dépolitisante. L’hypothèse serait que le déni de l’irréductible conflictualité politique de toute « sociétés politiques » que ce discours « neutralisé » performe participe de son

59 « Les élites sont également les mieux placées pour capter les rentes de l’extraversion propres aux relations avec les bailleurs de fonds, à savoir l’ingénierie de la création institutionnelle, de la mise aux normes et de la réforme administrative, économique et politique[…] en permettant la reproduction des classes dominantes » (Bayart et al., 2010 :32).

60 (Hufty, 2007:6).

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accession à une reconnaissance universelle d’ordre hégémonique.61 «[Le choix de penser les relations internationales en termes de gouvernance] repose sur une représentation irénique de la vie sociale. »62 Cette conception qui « est présentée comme un bien à poursuivre, un idéal à atteindre »

63 fait ainsi consensus à partir d’une vision consensuelle de la société, pour ainsi dire, c’est-à-dire que la puissance politique de ce discours provient de sa capacité à articuler des intérêts divers grâce à l’affirmation de la non-conflictualité des relations entre acteurs de la scène internationale, ainsi qu’entre les acteurs domestiques d’un pays. Ainsi, cette dépolitisation que la notion de gouvernance a subie dans son appropriation par ces institutions internationales est précisément ce qui a permis l'usage très large de cette notion. 64 Cela l’a fait converger vers le problème de fond qui occupe ce travail : les difficultés de certaines approches à saisir le caractère politique de leur objet, pourtant inhérent à celui-ci, pour la gouvernance, les processus d’organisation et de décision, pour les RI, les relations inter- et trans-étatiques.

La gouvernance par les réseaux remplacerait les solutions hiérarchiques et l'État se contenterait d'un rôle de « facilitateur ». Mais si la première partie de cette idée est descriptive et analytique, la seconde est normative. […]Cette proposition, fondée sur la coopération et le consensus entre les acteurs, minimise la dimension conflictuelle des sociétés humaines. (Hufty, 2007a:5).

Cette gouvernance se fait ainsi le véhicule d’une dépolitisation des enjeux de « développement » des « sociétés politiques », en tant qu’elle les appréhende comme apolitiques.65 Ainsi, la « bonne gouvernance » participe de cette vision techniciste de l'État en tant que gestionnaire, au même titre que « l’irénisme développementaliste ».66 Les rapports de force qui structurent les relations internationales et la société « domestique » y sont conçus comme voués à être nivelé au nom de l'émergence d'une hypothétique horizontalité des relations sociales. « La notion de gouvernance, telle qu'elle a été développée jusqu'à ce jour, semble étrangère à l'analyse de ces enjeux politiques ».67

« Cette perspective de « gestionnaire » se dérobe nécessairement à l'analyse des intérêts sociopolitiques, des rapports de pouvoir et d'hégémonie, des conflits politiques qui marquent l'évolution des relations internationales.[…]Elle tend à mêler dans un grand ensemble flou

61 «Le recours à un langage neutralisé s’impose toutes les fois qu’il s’agit d’établir un consensus pratique entre des agents ou des groupes d’agents dotés d’intérêts différents » (Bourdieu, P. (2001), Langage et pouvoir symbolique, Paris, Fayard, cité dans (Hufty, 2007a).

62(De Senarclens, 2002: 92).

63« Dans tous les cas,[la gouvernance] est présentée comme un bien à poursuivre, un idéal à atteindre » (Smouts, 1998 :88).

64« Une construction de consensus, et parallèlement les fonctionnalités des ambivalences qui en résultent, permettant à divers protagonistes de s’accorder et de se ménager des marges de manœuvre dans ce qui devient un champ dépourvu de conflictualités […] La malléabilité de ces mots et, par conséquent, leur faible capacité à contraindre les pratiques concrètes des acteurs sur le terrain sont une condition nécessaire à leur fonction consensuelle : ils produisent du silence et non du débat. il existe une relation inverse entre l’extension de leur diffusion et de leur usage et la teneur de leur contenu » (Cartier-Bresson, 2009 : 7-8).

65 (Ferguson, 1990).

66 (Bayart, 2008:8).

67(Petiteville, 1998 :105).

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tous les acteurs de la scène internationale, sans hiérarchiser leur rôle, les rapports d'autorité et de force qui les relient, leur influence politique, la nature de leur apport spécifique aux structures de régulation. (De Senarclens, 2002:102).

Une telle conception idéaliste d’une société pacifiée ne permet pas de saisir les enjeux politiques comme élément structurant du champ sociétal. Au même titre que le postulat des RI d’un « État-conteneur », cette conception est incapable de rendre compte de l’hétérogénéité des acteurs des

« sociétés politiques africaines » et des relations asymétriques qui ne peuvent manquer de les structurer. Quel que puisse être sa pertinence analytique, la « réussite » de cette notion doit beaucoup plus à sa capacité à articuler une diversité d’acteurs aux intérêts potentiellement divergents, par son caractère flou et « neutralisé » qui lui permet de donner les apparences d’un consensus. En évacuant ainsi toute dimension politique, elle rejoint également la conception « étroite », économiciste, du développement dont la BM se revendique au nom de ses principes fondateurs qui circonscrivent son mandat à des enjeux strictement économiques.

[D]evelopment's rational models achieve cognitive control and social regulation; they enhance state capacity and expand bureaucratic power (particularly over marginal areas and people); they reproduce hierarchies of knowledge (scientific over indigenous and society (developer over the “to be developed”). (Mosse, 2005:4).

La notion de « conditionnalités inversées » 68 permet de saisir l’interdépendance qui peut exister entre les corps d’experts et de fonctionnaires internationaux, en tant que communauté épistémique du développement, et les élites africaines, ces groupes partagent un intérêt commun, celui de la reconduction des « stratégies d’extraversion ». Cet intérêt à coopérer semble une hypothèse explicative puissante, bien que certainement pas suffisante, à l’hégémonie sans cesse reproduite de

« discours du développement » à tendance technicisante et dépolitisante. Les élites africaines partageant un certain intérêt, voire un intérêt certain, à se faire le relais de visions « irénistes » des

« sociétés politiques africaines ». Ce consensus autour de l’enjeu de développement sur le lit fertile d’un déni du politique, à l’image de l’Antipolitics Machine de Ferguson, est appropriable à souhait par les états néocoloniaux pour se justifier dans leur politique dépendantistes, au nom de l’intérêt de

« sociétés politiques africaines ». Ce consensus autour de l’enjeu de développement sur le lit fertile d’un déni du politique, à l’image de l’Antipolitics Machine de Ferguson, est appropriable à souhait par les états néocoloniaux pour se justifier dans leur politique dépendantistes, au nom de l’intérêt de