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2.6 Conclusion : Enjeux partagés du co-design et des communautés

3.2.4 Peu de résultats « innovants »

« Marrantes, originales, sympathiques » : c’est généralement en ces termes que nous sont décrites les idées et propositions qui émanent d’un atelier. Des qualificatifs somme toute po- sitifs pour décrire des idées malheureusement trop souvent écartées par la suite. Sur quelles bases, quels critères de performance, selon qui ? Là encore ce n’est pas clair : le comman- ditaire généralement, en fonction de métriques peu formalisées et mal communiquées. De visées sur l’innovation, on se contentera de brides, de capter ça et là quelques éléments parfois périphériques à l’objectif initial ou le livrable. Un constat que nous confirme candi- dement le porteur d’un important projet à Montréal rencontré au début de la thèse : « j’ai surtout pu lire entre les lignes (...) je n’ai pas utilisé le rapport de synthèse d’une lourdeur et d’une complexité qui m’ont, je l’avoue, découragé ».

S’il y’a peu de résultats en matière d’innovation, c’est peut-être parce que les thèmes dé- tonnent de par leur manque de « nouveauté »ou d’ambition. Car avant de questionner la méthode, il convient de s’attarder aux cibles initiales. Encore ici, les premières observations surprennent : un atelier aujourd’hui visant à « rendre le covoiturage plus attractif »n’a rien de particulièrement novateur, tout comme un effort de conception axée sur le thème de « ville intelligente ». Comme le souligne un expert convoqué une énième fois pour un atelier sur le covoiturage : « le co-design ... c’est arriver à faire des choses pas forcément compli- quées, mais pas évidentes à mettre en place ».

Si le co-design se résume à une exploration du « connu », pourquoi déployer autant d’efforts et mobiliser autant de ressources dans une démarche de conception sans ambitions particu- lières d’innovation ? Plus encore, comment interpréter que certaines craintes exprimées par les commanditaires de séances ne portent pas sur le manque d’innovation, mais plutôt sur le manque de contextualisation des propositions ? En conception innovante, il est connu que ces deux cibles ne cohabitent pas forcément bien.

Un bref regard sur les travaux sur le co-design révèle un problème plus largement répandu, ainsi qu’une littérature chargée sur « l’amont »des séances, c’est-à-dire sur la planifica- tion et le déroulé, et étonnamment muette sur les suites et résultats. Dans les travaux

qui émanent de la pratique de designers professionnels, cela n’est malheureusement pas nouveau. Selon Stewart et Hyysalo (2008) : « the majority of user-centred design projects focuses on design work prior to market launch and neglects the activities of a range of users in actually getting the – finished – product to work ».

Un cas relaté par Hasu et al. (2011) illustre cette zone d’ombre dans la littérature et l’absence de visibilité sur les résultats tangibles. Dans cet atelier regroupant 35 employés afin de co-concevoir un modèle durable de production de services, la question du suivi des résultats n’est soulevée qu’à la toute fin, et ce, de manière très superficielle :

« The objective (...) was to develop ways of innovating (...) and to create an employee-driven and user-based innovation model. The group of organizers rea- dily adopted the script of previous workshops. At the end, the CEO praised the process and voiced her admiration of the employees whose progress she had witnessed ».

Un beau merci de la direction. Soit. Mais un sort plus qu’incertain des résultats. Du moins le reste de l’article n’en fera pas allusion, comme si l’on devait prendre pour acquis qu’ils seront mis en oeuvre. Qu’en est-il des autres résultats, ou alors de la diffusion des résultats au sein du reste de l’organisation (seulement 35 employés sur 1000 ont participé) ? N’est-ce pas là le point qui devrait nous intéresser à la base ?

Une étude plus large de la littérature n’est guère plus rassurante en ce qui a trait à l’ab- sence de résultats. Nous avons décidé de sélectionner les 20 articles les plus cités9 sur le

co-design depuis 10 ans, en faisant l’hypothèse qu’il s’agit là d’un indicateur sur la pré- sence des résultats, et en ne retenant que les travaux empiriques qui relatent une ou des expériences de co-design, à leur contexte et au succès ou non de la démarche10.

Cette analyse confirme notre impression selon laquelle la littérature sur le co-design est à la fois éparse, peu appuyée empiriquement et ambivalente. Éparse puisque les revues traitent tantôt de design industriel ou de gestion des opérations, tantôt de marketing ou d’économie géographique. Le mot co-design fait figure de terme générique pour décrire une multitude de configurations entre le plus souvent une entreprise et une partie de sa chaine

9. Pour un maximum de représentativité, sont sélectionnés ici les 10 articles les plus cités dans ISI Web of Science, les 5 les plus cités dans ABI inform complete (manuellement pour cette dernière car il est n’est pas possible de classer par citations) et les 5 articles les plus cités dans la revue CoDesign. Nous éliminons les doublons entre les différentes banques de données. À noter qu’au delà de ces 20 articles, le nombre de citations passe en dessous de 5, une activité encore trop négligeable pour être comptabilisée.

10. Une codification simple est employée : R pour un « review paper » ; O pour un papier sur les outils ou meilleures pratiques ; T pour un article ou conceptuel ; P pour un « position paper »ou formulation d’un agenda ; E pour un papier empirique ; S pour succès ; F pour un échec (« failure »), et dépend bien évidemment de l’information ? sur les tenants et aboutissants- fournie par les auteurs. Il importe de souligner que tant le constat quantitatif que qualitatif excluent les articles portant sur la conception concourante de systèmes complexes puisqu’ils sont en dehors de notre objet d’étude.

de valeur (soit ses fournisseurs, soit ses usagers, mais rarement les deux à la fois).

Surtout, elle confirme l’absence de matériaux empiriques concluants, puisque seulement 20% des articles recensés s’appuient sur des expériences scientifiques ou études de cas. Et encore, les premiers ateliers observés à Lille se distancient de ces travaux, la plupart relatant des interactions limitées entre un petit nombre de clients et fournisseurs dans des contextes industriels donné. Ambivalente, parce que les résultats qui émanent de ces quelques études empiriques sont à la fois positifs et négatifs : d’un côté le co-design semble augmenter la confiance et la fidélité entre les acteurs, en plus de réduire les couts et d’améliorer leur performance et leur apprentissage, mais de l’autre, les résultats soulèvent des questions sur la qualité des objets qui en découle, l’exploitation possible de certains acteurs et les conflits ou tensions qui marquent parfois leurs relations.