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Incapacité à concrétiser et à gérer « l’après co-design »

2.6 Conclusion : Enjeux partagés du co-design et des communautés

3.2.3 Incapacité à concrétiser et à gérer « l’après co-design »

Nécessairement, ce manque d’engagement se répercute directement sur le peu de suivi ou de visibilité sur ce qui se passe après un atelier : rares sont les interlocuteurs qui peuvent relater des « success-story »du co-design. Ce n’est pas qu’il n’en existe aucun ; simplement s’ils surviennent, ils le font sans retour vers le collectif de parties prenantes, et surtout, sans le support d’une démarche prévue normalement pour un seul atelier.

Une journée agréable, des sourires, peut-être même quelques accolades, mais trop souvent des questions sur les suites à donner. Des ambitions et des souhaits, à savoir « qu’il serait dommage de ne pas aller plus loin », d’en rester là ou encore sur le fait « qu’il faudrait des séances supplémentaires »8 quitte à se faire du « co-design restreint », peu importe ce

que cela veut dire ou implique. Des impressions (légitimes) et intuitions d’avoir touché à quelque chose, mais quoi ? « Des brides d’idées plus complexes »dira l’un des participants, « des choses dont on peut s’inspirer pour aller plus loin »confiera une autre. Des phrases imprécises qui révèlent des démarches qui ne prévoient pas la suite et des ateliers qui dé- bouchent rarement sur des propositions actionnables. On se laissera sur des phrases qui ne trompent plus personne, comme ce « peut-être à une prochaine fois »entendu lors d’un ate- lier à Lille (animateur, co-voiturage). Malheureusement, ces échos ambivalents ne sont ni rares ni anecdotiques ; ils sont l’un des symptômes les plus largement partagés en co-design.

Le problème de « l’après co-design », comme l’ont surnommé les animateurs lillois interpe- lés par le manque d’action subséquente, donnera lieu à de nombreuses hypothèses sur ses racines, et moyens de le surmonter. Encore ici, le signe de praticiens engagés dans la ra- tionalisation et l’apprentissage. Chez ADICODE, le problème a tôt fait d’être abordé sous l’angle de la réflexivité : en dégageant au sortir des ateliers un temps pour discuter ensemble des résultats, des apprentissages et des actions requises, peut-être alors arriverons-nous à garder la dynamique en vie. Si ces questionnements ont débouché sur des outils d’autoé- valuation et de discussion fort intéressants, le problème demeure à ce jour entier.

La littérature suggère aussi ce rapprochement entre co-design et réflexivité, mais à la différence de Lille qui la destinait aux participants, Prost et Cerf (2007) la destine aux animateurs. C’est peu surprenant sachant que cette littérature est centrée sur la pratique de concepteurs professionnels et s’adresse à eux en priorité. Ainsi, les auteurs expliquent :

8. Sauf mention contraire, les extraits présentés en 3.1 découlent d’une seule et même séance à Lille sur le thème du covoiturage. Commandité par l’IDDR de Lille, cet atelier a regroupé pendant quatre heures acteurs locaux du transports, étudiants et usagers autour de la question suivante : « comment rendre plus attractif le covoiturage ». Les extraits sont tirés du « debrief »final, mais aussi de questions supplémentaires et informelles posées directement à certain des acteurs au sortir de la séance. Dans les deux cas, ils ont été captés par écrit directement.

« reflexivity here aims at developing awareness about the context of the co-design process and at providing conceptual resources to co-design managers in order to orient their ac- tion ». Rien donc, pour les acteurs présents.

Ceux qui se sont intéressés à ce problème à Lille ont émis quelques pistes de solutions pour le surmonter. « Actuellement on ne fait rien après la séance. On regroupe les documents, les protos et tout ce qui a été produit et on envoi », c’est en ces termes que résume une des animatrices des ADICODE la conclusion des ateliers. Elle ajoute :

« On a peu de visibilité sur la valorisation. Et le peu de visibilité n’est pas très positif. Beaucoup de choses produites restent sur le côté (...) Pire, on valorise rarement les quelques pistes intéressantes qui émergent, celles qui sont mar- rantes ou en rupture. Parfois on a l’impression que les idées conservées sont un peu celles avec lesquelles les commanditaires sont arrivés le matin de la séance. Comme s’ils n’arrivaient pas à faire sens de ces propositions, qu’ils n’arrivent pas à voir comment c’est faisable et l’opportunité commerciale derrière »

Il faut donc distinguer trois enjeux ici : 1) l’absence d’une suite planifiée au-delà de l’ate- lier, 2) la capacité à faire sens ou rendre compte des idées travaillées et 3) le manque de « points de sortie »des idées pour ensuite les intégrer aux processus organisationnels. Le premier de ces enjeux renvoie au mythe du co-design comme approche unique et magique, qui permet d’accéder rapidement à la conception innovante sans avoir à imaginer outre mesure d’autres instances pour supporter l’atelier. Le second est « attendu »en contexte d’innovation et découle d’une incapacité toute naturelle à apprécier la valeur d’une idée en rupture avec les paradigmes établis et d’appréhender les déplacements importants (Le Masson et Magnusson, 2003).

Mais cette incompréhension est doublée d’une difficulté à rendre compte du contexte so- cial et collectif dans lequel l’idée a pu émerger. L’animatrice lilloise explique : « c’est très difficile pour les participants de raconter ce qu’ils ont vécu en co-design. Et moi-même je suis souvent incapable de raconter ce qui s’est passé durant la journée, c’est tellement entrainant. »Cette composante sociale importante des connaissances développées lors des séances rend encore plus difficile le passage du flambeau, particulièrement si les nouveaux porteurs en organisation n’étaient pas présents. Ce qui nous amène sur le troisième obs- tacle, à savoir que le travail des idées ne semble pas se faire en fonction des processus en place, et de la manière dont ces dernières passent normalement en développement. Si en conception réglée le point de sortie ? et donc le point d’entrée du développement- corres- pond généralement à un cahier des charges, la situation est nettement moins précise en conception innovante (Le Masson et Weil, 2010). Lorsqu’au demeurant cette conception est menée par un collectif qui lui-même est le résultat d’une innovation organisationnelle, la transition est encore plus complexe.

Il y a, au demeurant, le risque de rater les véritables résultats de ces séances. Sans planifi- cation des suites ou par une formalisation partielle qui consiste, nous l’avons vu, à amasser les documents et les faire suivre au commanditaire. Si le résultat était ailleurs ? C’est d’ailleurs le propos de Vaajakallio (2012 :41), qui résume ainsi ce risque : « my concern, however, is that in co-design, where several participants’ views and insights meet, what has been left out of the resulting artefact may be as important for guiding further understanding of the topic and ideas as the ones integrated within the artefact ». Or, sans lentille capable d’appréhender cet « ailleurs », il est difficile d’appuyer cette hypothèse.