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Démarche qui ne fonctionne pas avec de « bons »concepteurs

2.6 Conclusion : Enjeux partagés du co-design et des communautés

3.2.5 Démarche qui ne fonctionne pas avec de « bons »concepteurs

« On passe la moitié du temps à échanger des banalités et l’autre à générer des idées im- possibles à réaliser » ; c’est ainsi qu’un expert invité à une séance de co-design livre ses impressions au sortir de quatre heures de travail sur le thème du covoiturage. Pour ce professionnel de l’industrie, habitué à la fois à ce genre de démarche et au travail de pro- positions novatrices sur le covoiturage, le co-design rime avec « une impression de toujours se répéter »liée au fait qu’une partie importante de la séance serve « à revoir des freins et enjeux que tous les experts connaissent déjà ». Selon l’animateur du dit atelier, ce regard sévère n’est pas rare ou anecdotique ; il est prévisible dès lors qu’on introduit des acteurs moins familiers avec les tenants et aboutissants d’un thème donné.

Mais pour les « bons »concepteurs, c’est-à-dire ceux familiers avec le thème et/ou la mé- thode, c’est là un effort chronophage, voire frustrant. Au-delà de l’impression de déjà-vu et d’une utilisation sous-optimale de leurs compétences/connaissances, cette frustration se nourrit d’un sentiment de « toujours rester entre nous, sur nos propres idées, sans éven- tuellement être capables de s’enrichir ». La démarche parait, comme l’a indiqué plus tôt un intervenant familier avec la conception « caricaturale ». La configuration « bons »concep- teur – aucun antécédent décrite par Lindkvist (2005) semble mieux servie par des formes classiques de management de projet, dans lesquelles les compétences de conception sont appliquées sur un projet précis. Combiné au constat 3.1.1, nous sommes confrontés à un paradoxe de taille : nous n’obtenons pas d’innovation, ni avec de « bons »concepteurs ni avec de « mauvais »concepteurs.

3.3

Questions de recherche

Le portrait que nous venons de brosser peut paraitre négatif de prime abord. Après tout, il expose plusieurs incongruences entre le co-design et son discours, et prend appui sur des témoignages ambivalents. La réalité est forcément plus nuancée et marquée de plusieurs expériences plus positives : en font foi la multiplication des séances et la longévité, voire aujourd’hui l’expansion, du projet ADICODE. Ce n’est pas par mauvaise foi que nous avons décidé de relater les constats dubitatifs qui découlent de nos premiers contacts avec le co-design, mais bien pour mettre en relief l’essence de toute recherche : un écart entre le discours et les gestes, entre la promesse et le résultat. Ensemble, ils soulèvent des questions sur la portée, les mécanismes et les bénéfices du co-design dans son ensemble qui dépassent largement nos seules expériences à Lille.

De même, ce n’est pas par paresse que nous avons fait l’impasse sur un modèle théorique pour guider nos recherches, et avons opté pour une approche inductive. Au contraire, il nous a semblé que cette pratique nouvelle, telle que nous pouvions l’appréhender sur le ter- rain, était desservie par les travaux existants qui ne la révélaient que partiellement. Mieux, qu’en résistant à la tentation de prendre position dans l’une ou l’autre discipline qui s’en réclame, elle pouvait nous renseigner sur la question de l’émergence des communautés. En relevant les similitudes et écarts entre le co-design et les communautés, nous avons jeté les bases d’un travail de construction théorique conceptuel et empirique d’un phénomène appréhendé par l’une de ses manifestations.

De la même manière que la théorie nous a amenés à nous interroger sur l’émergence des communautés, le rôle de la conception dans ce processus, ainsi que la place du manage- ment durant cette phase, les premiers constats empiriques ont portés sur les collectifs, les résultats et effets de la conception, ainsi que le pilotage. Nous retrouvons aussi cette réci- procité dans le cadre analytique du chapitre 2 qui porte sur les mêmes dimensions. Prenons d’abord appui sur la figure (3.2) pour illustrer ce point de départ.

Figure 3.2: Représentation initiale d’une démarche de co-design

Nous y retrouvons ici l’essence de nos constats et des interrogations soulevées jusqu’ici : d’abord un contexte « pré-communauté »créative marqué par un vide relationnel et une relative absence de compétences en conception. Puis, une démarche de conception col- lective censée produire des innovations, envers et contre tous, dans ce contexte pauvre. Finalement, des protocoles et de la facilitation, qui représente un management paradoxal puisqu’à la fois nécessaire (comme il n’y a rien) et malvenu (selon la théorie).

De ces premières surprises, couplées aux trois ambitions poursuivies – comprendre, décrire, prescrire (Gioia et al. 2013) – par nos travaux, se dégagent donc trois grands champs d’in- terrogations. Ils constitueront les « grands axes »de la thèse, et déclineront en questions de recherche. Plus précisément, cette thèse cherche à mieux comprendre 1) le contexte dans lequel les communautés créatives émergent ; 2) les mécanismes et effets de la conception innovante dans ce processus ; et 3) le rôle du management pour supporter ce processus. Si chaque axe s’intéresse plus particulièrement à l’une ou l’autre de ces questions (tableau (3.1)), ces dimensions demeurent insécables et, de fait, il est à prévoir que les résultats renverront chaque fois des apprentissages croisés.

Émergence Conception/innovation Management/Pilotage

Axe I +++ + +

Axe II + +++ +

Axe III + + +++

Tableau 3.1: Dimensions principales abordées par axe