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En terminant, les choix méthodologiques et les outils de collecte de données ont été pré- sentés au comité d’éthique en recherche (CER) de HEC Montréal et, le 5 décembre 2013, un certificat de conformité a été émis par celui-ci. Ce même certificat a été adapté en cours de route, notamment pour tenir compte de l’évolution de notre problématique et de l’expérimentation ajoutée sur le tard, et reconduit par le CER en décembre 2014. Sont résumées ici les grandes lignes des différentes mesures prises pour minimiser l’impact de nos recherches sur les contextes d’intervention et le respect des participants.

D’une part, les outils de collecte, notamment les questions d’entretiens, les points d’ob- servation et les photos, sont conçus de manière à assurer l’anonymat des répondants. Ils portent sur les contextes généraux, sans chercher à lier les réponses à un acteur en par- ticulier. Les cas de l’axe III, toujours en cours, ont été déguisés pour cette raison, sans diluer ou nuire à leur richesse. Les données brutes ne furent à aucun moment accessibles à d’autres individus que le chercheur principal et ses directeurs. Elles ont été conservées dans un bureau verrouillé, ou dans un ordinateur protégé par mot de passe, et seront détruites dix-huit mois après la soutenance.

D’autre part, notre présence dans les ateliers et notre rôle parfois actif n’est pas sans effet sur notre objet de recherche. Cependant, nous croyons que la richesse de données ainsi col- lectées, couplée à un souci de ne pas influencer outre mesure les interactions, engendre des bénéfices supérieurs aux risques de notre présence. Mentionnons aussi que le fait que ces cas engagent souvent des acteurs académiques est susceptible d’avoir rendu notre présence moins inhabituelle et, donc, d’en avoir minimisé les impacts.

AXE I : Les conditions d’émergence

des communautés créatives

C’est donc sur le contexte, les relations et les résultats que se porte notre regard dans ce premier axe de la thèse1. Rappelons d’abord les prémisses de cet axe. Étonnés très tôt de constater que certaines organisations aux prises avec des enjeux d’innovation s’engageaient dans ces ateliers réunissant pour la première fois des amateurs en conception, nous nous sommes affairés à décrire, de manière encore superficielle, ces surprenants collectifs et les résultats de leurs interactions. Non sans savoir que les acteurs présents n’étaient pas sé- lectionnés, comme le veut la littérature, en fonction de 1) « the basis of their individual qualities such as their expertise »(Schreier et Pruegl, 2008) ; 2) « the qualities of the firm’s relationship with them, such as trust »(Morgan et Hunt, 1994) ou 3) parce qu’ils parta- geaient une pratique, un intérêt commun ou des compétences affirmées en conception. C’est d’ailleurs pour cela que la possibilité qu’en résultent de grandes innovations apparaissait plus qu’incertaine, et que les premières séances observées n’avaient qu’exceptionnellement débouché sur de tels livrables.

Or, il devait bien y avoir un motif pour expliquer cet engagement conscient, et surtout, pour justifier le fait que plusieurs organisations en soient à leur deuxième ou troisième atelier. De même, il devenait intéressant de se pencher plus longuement sur ces cas peu orthodoxes de conception, à contrecourant des « best practices »traditionnelles d’organisa- tion pour l’innovation (collectif d’abord, innovation ensuite). D’où l’hypothèse générale de la thèse, à savoir qu’il y a dans ces manifestations singulières le signe d’exogénèse de com- munautés créatives. Et d’où notre question de recherche : quelles sont les caractéristiques des collectifs et contextes « pré »– communauté créative ?

1. Ces résultats ont d’abord été présentés sous forme d’article aux conférences de l’Association In- ternationale de Management Stratégique (AIMS, Rennes, 2014) et International Product Developement Management (IPDM, Limerick, 2014). À notre grand plaisir, ces articles ont tour à tour reçus les prix du meilleur article et du « Thomas Hustad Young Scholar Award ».

Nous avons élaboré précédemment un cadre analytique et sélectionné des descripteurs afin de rendre compte des dynamiques collectives, conceptives et organisationnelles au moment de se lancer en co-design. Bien entendu, comme il est acquis que ces activités interviennent à un moment où les volets relationnels et créatifs ne sont pas stabilisés ou particulièrement développés, l’analyse des cas devrait dégager des traits « pauvres »propres à un collectif « pré »communauté. Mais un travail plus fin de caractérisation des contextes et des collec- tifs devrait permettre de mieux qualifier ces « temps zéro »d’une communauté créative : avant qu’elle soit communauté, et avant qu’elle soit créative. De même, il devrait permettre d’appréhender les enjeux propres à ce stade de vie, et d’observer les actions qui supportent ou inhibent la mise en route de ces collectifs.

L’axe I est structuré de la manière suivante. Nous présentons d’abord les cadres de notre approche méthodologique de cas multiples, ainsi que l’analyse des différents cas retenus pour cette étude. Sont ensuite présentés, puis discutés les résultats au regard de la lit- térature sur le co-design, les communautés et les manières traditionnelles d’organiser les collectifs pour l’innovation. Nous dégageons finalement une série d’implications théoriques pour la suite de nos travaux et pratiques pour les organisations désireuses de s’engager dans de telles démarches, en plus d’exposer les limites de notre approche.

5.0.1 Méthodologie

C’est par l’étude de cas multiples (Eisenhardt, 1989 ; Yin 2009), rétrospectifs ou en cours de réalisation que nous cherchons à qualifier les éléments contextuels et relationnels au temps zéro d’une communauté créative. Appuyée par notre cadre analytique élaboré plus tôt, d’entretiens semi-structurés et d’observation d’ateliers de co-design, cette étude s’at- tarde à décrire les types d’acteurs et leurs relations antérieures, les connaissances échangées et les résultats d’innovation, en plus du pilotage de 22 différents cas de co-design répartis dans 4 pays (France, Finlande, Pays-Bas, Belgique).

Comme l’ont fait Hargadon et Becky (2006 :489) pour étudier des processus de créativité collective, nos données sont composées 1) d’extraits d’entretiens auprès d’acteurs impliqués ou lors de « débrief »des séances, 2) d’observations tirées des ateliers, 3) du constat sur les résultats et 4) de documents secondaires pertinents.

Plus précisément, sur les 22 cas, nous avons pu interviewer 23 participants (15 à 60 mi- nutes) et avons été témoins de 10 ateliers (5 à 8 heures chacun). C’est donc dire que nous avons reconstitué les éléments contextuels, en plus de ceux observés directement, à par- tir d’un entretien2 en moyenne par atelier. Chaque fois avec le souci de s’adresser à un

interlocuteur présent sur l’ensemble de la démarche, au fait des enjeux et le plus neutre

2. Tel qu’énoncé au chapitre précédent, nos questions étaient guidés par le cadre analytique (ici devenu canevas informel des entretiens) et portaient sur les dimensions de relations entre les acteurs, les résultats de conception et le pilotage général de l’atelier.

possible (souvent l’animateur responsable de la planification et de la conduite de l’atelier). Le fait d’opter pour une étude de cas multiple, plus en surface qu’en profondeur, réduit les biais d’observation liés à l’étude de cas unique, et accroit la généralibilité de nos résultats (Leonard-Barton, 1990). De plus, la combinaison de cas rétrospectifs et en cours contribue à en assoir la validité externe et interne (ibid ).

Les cas ont été sélectionnés selon une technique d’échantillonnage d’opportunité, ce qui signifie que nous avons étudié tant des ateliers passés qu’avons assisté aux démarches « en direct »à mesure qu’ils se sont présentés à nous. Le plus souvent, l’accès aux cas découle de notre immersion au sein des ADICODE. Pour les cas rétrospectifs, nous nous sommes assu- rés qu’ils remontaient à moins d’un an3 et que l’accès aux participants et la documentation étaient aisément disponibles pour diminuer les biais historiques (voir figure (5.1)). Seul un cas était plus vieux (C1), or celui-ci a été documenté dans un livre peu de temps après, empêchant ainsi une altération historique. Lors des entretiens, nos questions portaient sur les dimensions de relations entre les acteurs, en plus de revenir sur leur appréciation per- sonnelle de l’atelier et leurs apprentissages.

Pour assurer la cohérence de nos données, nous avons seulement étudié les ateliers de co-design qui présentaient un format semblable, en termes de longueur (1 journée ou 2 demi-journées), de protocole (séquence générale d’exploration divergente et de travail convergent), d’outils et du nombre de participants (15-25 à la fois, sauf 2 cas). En outre, nous nous sommes assurés qu’ils 1) impliquaient un large tableau de participants représen- tatifs des parties prenantes et 2) se concentraient sur la création d’un nouvel objet. Ces cas relèvent donc tant d’une activité collective que de la conception.

Chaque cas étudié ici implique toujours un « commanditaire », c’est-à-dire une organisa- tion cliente porteuse d’un enjeu de conception. Il peut s’agir d’une organisation industrielle, institutionnelle ou publique, se tournant par exemple vers les ADICODE pour mobiliser les parties prenantes et piloter les méthodes de conception collectives. Or, le commanditaire participe à l’atelier en sa qualité de partie prenante, et non en tant que donneur d’ordre. Il apporte un enjeu, sans contrôler le processus subséquent ou l’orientation que prendra l’effort créatif des acteurs présents.

3. Seul un cas était plus vieux (C1), or celui-ci a été documenté dans un livre peu de temps après, empêchant ainsi une altération historique.

Figure 5.1: Exemples de protocoles recueillis

Les entretiens ont été menés pendant et après les ateliers, enregistrés lorsqu’il était possible de le faire et transcrit par l’auteur principal. Des extraits ont ensuite été remis à certains répondants lors de deux entretiens de groupe subséquents, question de s’assurer la justesse de la retranscription. Notons que les données de cet axe ont été rendues anonymes, pour empêcher que tout projet d’innovation sensible, questions stratégiques de conception ou conflits interpersonnels soient divulgués inutilement. De même, les photos prises lors des ateliers masquent les visages des acteurs présents.

Une fois retranscrit, nous avons examiné les extraits, de même que celui provenant des sources secondaires, en quête d’éléments qui pouvaient nous aider à décrire le contexte et à évaluer les relations antérieures (ou l’absence de). Pour ce premier segment de notre cadre analytique (collectif), nous avons donc opté pour une approche de codage par premier et second ordre (Gioia et Chittipeddi, 1991). Ainsi, les citations, extraits et autres données se rapportant aux relations personnelles, appréhensions face au collectif et antécédents re- lationnels ont d’abord été relevés4, avant d’être regroupés en grandes catégories. Pour le segment conception, nous avons comparé les productions tangibles de chaque atelier aux objectifs initiaux afin de juger de leur atteinte ou non, en plus de qualifier la nature des

4. L’auteur principal a conduit cette tâche individuellement, suivie par une discussion avec les directeurs afin de dégager les catégories différentes de second ordre et l’interprétation ultérieure des résultats.

connaissances en présence. Finalement, le volet pilotage a principalement été documenté grâce aux sources secondaires (protocole) ou à l’observation de séances.