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2.6 Conclusion : Enjeux partagés du co-design et des communautés

3.3.3 Sur les modes de pilotage et le rôle du management

Finalement, une fois le contexte et les mécanismes maitrisés, nous espérons arriver à pro- poser et expérimenter des formes de pilotage enrichies. Plutôt qu’être fataliste face aux constats posés plus tôt, nous demeurons convaincus que l’approche est encore mal com- prise, mal capitalisée et qu’un pilotage plus éclairé entrainera des retombées forcément plus satisfaisantes. Mieux, s’intéresser aux formes organisationnelles dans la durée peut prévenir l’extinction prématurée de communautés créatives et réduire l’occurrence de tragédies du co-design. Comment, avec qui, combiné à quelles autres approches, sous quelle(s) forme(s) et à quel rythme ? : voilà quelques-uns des points sur lesquelles nous espérons dégager des implications pratiques et actionnables.

En trame de fond, trois prémisses guident notre recherche. Une première sur le potentiel indéniable qu’offrent les parties prenantes dans un processus de conception. Une seconde, appuyée sur une foule de travaux sur les fixations, sur le fait que le laisser-aller en matière de création est une impasse. Et conséquemment, une troisième, que l’émergence et la sur- vie de communautés créatives aussi complexes passent forcément par un pilotage adapté

et dynamique. Ce management, pourtant peu recommandé dans la littérature sur les com- munautés, doit nécessairement prendre une forme originale.

Or, décrire cette forme et en déduire des implications n’est que la partie la plus facile du travail dans ce troisième axe ; encore faut-il pouvoir tester ce que nos résultats suggèrent comme approches de pilotage. Nous aurons donc à coeur de mettre en pratique nos recom- mandations, d’en constater les forces et faiblesses et d’en partager les apprentissages. En somme, la troisième question de recherche se décline ainsi :

Q3. Comment piloter des communautés créatives dans la durée ?

Ces questions posées, la prochaine section discute des différentes méthodologies qui nous permettront de mener à bien ce travail de recherche. Nous le verrons, ces grands axes, habités de projets convergents, mais différents, et explorant niveaux et objets d’analyse hé- térogènes, supposent nécessairement le recours à des méthodes également variées. Chaque fois, des choix guidés par nos ambitions et les contraintes du terrain.

Méthodologie : Quelle(s) approche(s)

pour étudier cette émergence ?

D’abord de la littérature, puis de l’empirique, nous avons relevé d’importantes tensions entre – et au sein de – l’émergence de communautés créatives et l’une de ses manifesta- tions. Ces tensions furent ensuite formulées en questions de recherche, exposant ainsi les visées de la thèse. Au fil des premiers chapitres, nous avons aussi traité de l’absence de théorie du co-design et de modèle établi pour appréhender ces activités dans toute leur complexité. Ensemble, ces considérations se traduisent par un certain nombre d’enjeux méthodologiques et de choix pour la conduite de la recherche.

Si les trois axes de la thèse relèvent tous d’une approche qualitative et constructiviste (Glas- ser et Strauss, 1967), ils mobilisent chaque fois une méthodologie différente. Le premier, sur les contextes « pré »communauté créative, procède selon une étude de cas multiples (Eisen- hardt, 1989 ; Yin 2009). Le second combine une modélisation conceptuelle des mécanismes d’émergence à une expérimentation empirique pour discuter du rôle de l’innovation dans ces phénomènes complexes (Le Moigne, 1995). Finalement, le troisième aborde la question du pilotage en associant étude de cas et recherche-intervention plus appuyée dans deux démarches distinctes (Hatchuel, 2000).

Or, plutôt que de décliner les détails de nos différents choix méthodologiques dans un seul et même chapitre, nous estimons que cette diversité de moyens est mieux servie par trois sous-sections méthodologiques à même les axes. Il sera ainsi plus facile de s’y référer, mais aussi de comprendre comment chaque choix dépend des résultats précédents et est le fruit d’une construction dynamique de la recherche. Ainsi, nous ne discuterons dans ce « cha- peau »que des éléments qui recoupent l’ensemble de la thèse.

Le reste du chapitre 4 est structuré de la manière suivante. Nous abordons d’abord les considérations générales, notamment en ce qui a trait à notre immersion aux ADICODE et à notre posture constructiviste. Puis, nous exposons le rationnel derrière le recours à

une foule d’approches méthodologiques différentes. Finalement, nous traitons des enjeux éthiques inhérents à notre recherche et des mesures prises pour y pallier.

4.1

Considérations générales

Comment circonscrire le terrain d’exploration s’il est impossible d’identifier notre objet ? C’est là une question auquel tout chercheur engagé dans une construction théorique est rapidement confronté. Sans théorie du co-design pour nous guider dans la sélection de ma- nifestations d’intérêt, nous avons pris la décision d’opter pour les cas qui se revendiquent explicitement de cette approche de conception ; vers les collectifs comme à Lille (ADI- CODE) engagés dans une réelle approche réflexive sur leurs activités.

Explorer les situations où des acteurs sont potentiellement engagés dans un co-design « sans le savoir »relève du fantasme : cela n’est ni faisable logistiquement, ni souhaitable méthodologiquement. La construction théorique ne peut se faire qu’avec ceux qui par- ticipent activement à sa rationalisation. Selon Tsoukas (2003), seul l’effort de praticiens à rendre réflexive une activité qui jusque-là ne l’était pas permet de créer des connaissances. L’étude de co-design implicite ou inconscient est au mieux une vaine poursuite, au pire une épopée sans fin. C’est d’ailleurs la raison derrière l’immersion1 de 30 mois à Lille : être auprès de ceux qui « font », mais qui aussi rédigent des ouvrages, organisent des ateliers et discutent des forces et faiblesses de leur démarche. C’est là aussi le signe d’une bonne recherche qualitative : être flexible dans notre approche, exposé longuement au phénomène à l’étude et soucieux d’en dégager une vision holiste qui va au-delà des « snapshots »et des jugements précoces (Miles et Huberman, 1994).

Cette approche empirique, ancrée dans le terrain et itérative s’est imposée d’elle-même. Face à une littérature incapable d’expliquer les dynamiques fines du co-design (Steen, 2013) et une pratique de conception mise à mal par l’essor tous azimuts d’outils sans réelle maitrise de ses mécanismes (Kleinsmann et al., 2007), il semblait opportun d’adopter une approche flexible pour aller à la rencontre des acteurs qui se réclament de cette approche. Seulement en interrogeant la myriade de motivations, en constatant les différents niveaux de retombées et en expérimentant directement certaines actions de pilotage dans la durée pouvions-nous dépasser « la représentation superficielle et la confusion »(traduction, Steen, 2013 :16) actuelle. Une popularité portée par des ambitions légitimes certes, mais qui relève aussi, nous l’avons vu, du mythe. Et seulement en prenant le temps d’observer de visu sa rationalisation (car c’est bien d’un objet « actif »qu’il s’agit ici) pouvions-nous distinguer le concret du mystique.

1. Avoir été plongé, et surtout accepté, au sein d’une véritable communauté de pratique réflexive axée sur le partage d’apprentissage se révélera le facteur de réussite premier de ce projet de thèse.

Figure 4.1: Outils des volets abductif et inductif de nos recherches

L’exposition prolongée à une multitude de cas permet de mieux appréhender les carac- téristiques et dynamiques en jeu lors de telles manifestations. La rédaction du manuscrit intervient après une immersion lente et prolongée, propre à une construction théorique ancrée dans le terrain. Les premières théorisations qui en découlent sont le fruit d’une démarche inductive où l’empirique, la littérature, la modélisation et l’expérimentation se nourrissent mutuellement, à tel point qu’il nous est impossible d’identifier l’un ou l’autre de ces éléments comme étant le point de départ de nos travaux. C’est plutôt comme un cercle vertueux qu’ils agissent ensemble (figure (4.2)).

En ces pages, chaque expérimentation renvoie à un cas vécu, et chaque constat empirique suggère un rapprochement théorique. De même, chaque opérateur de la modélisation cor- respond à une observation sur le terrain, et dessine l’opportunité d’y tester un nouveau protocole d’animation. La valeur de cette thèse repose donc précisément dans la richesse du bagage empirique accumulé en trois ans à Lille, qui permet de mettre en perspective chaque manifestation, faire sens des surprises et guider la conduite de nos travaux vers une construction théorique. C’est là, en outre, le signe d’une recherche de rigueur pour appuyer notre approche qualitative, où notre constante triangulation des données renforce nos conclusions (Gioa et al. 2013).

Figure 4.2: Résumé des approches méthodologiques

La méthodologie retenue est cohérente avec notre objet de recherche, dans la mesure où il s’agit d’un phénomène naissant peu théorisé encore (Edmonson et McManus, 2007 ; von Krogh et al. 2012). En adoptant une posture constructiviste dite de « théorie ancrée »(Gla- ser et Strauss, 1967), nous visons à étudier les multiples dimensions d’un phénomène, et ce, par l’emploi d’une foule d’outils de collecte pour mieux l’appréhender dans toute sa complexité (Eisenhardt et Grabner 2007 ; Shah et Corley 2006). De même, les questions exposées au chapitre précédent étant de natures différentes2 , il est nécessaire d’adopter

chaque fois les bons outils de collecte pour éclairer le bon élément.