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Conclusion : Sur la nécessité d’un pilotage nouveau genre

Une fois le « pourquoi »et le « quand »du co-design abordés dans l’axe I, nous avons cherché à répondre à la question suivante : peut-on utiliser l’innovation pour créer des collectifs là où il n’y en a plus, et si oui, quelles sont les limites et vecteurs d’optimisation de ces dynamiques ? Pour ce faire, nous avons illustré que la revitalisation des collectifs opère une mise en route d’une communauté créative par le biais de l’expansion réactive, laquelle est éphémère et doit être subséquemment renforcée par un pilotage avancé.

Cette exploration de la boite noire du co-design, c’est-à-dire des dynamiques cognitives, conceptives et sociales, conforte la thèse d’émergence de communauté créative. Nous avons notamment appréhendé les manières par lesquelles les acteurs apprenaient à s’échanger des connaissances et se reconnaitre (la partie communauté), ainsi que les manières par lesquelles ces mêmes acteurs parvenaient à les combiner de manière de plus en plus efficace et à se projeter ensemble dans l’inconnu (la partie créative).

En réponse à la démonstration de l’expansion réactive et ses limites, il appert judicieux de s’affairer maintenant à la mise en place – et la nécessité – d’un pilotage qui améliore la qualité de conception innovante (favoriser les défixations et les expansions), permet de « contourner »les points de blocage et renouvèle les intérêts. Le pari étant que ces points d’animation qui concernent ces conditions additionnelles assurent une qualité de conception supérieure et, de par la logique de renforcement mutuelle, un collectif encore plus satisfait. Il faudra donc privilégier des manipulations endogènes qui correspondent aux théories de la conception et qui favorisent une double expansion en C et en K. Cela suppose que les projets lancés après une séance soient considérés plutôt comme un delta K pour un co-design continué28. Le tableau (6.3) résume les résultats de l’axe II.

28. À noter que cela n’est pas vrai de tout projet lancé après un co-design : il n’y a co-design continué que si les apprentissages effectués sont restitués au collectif pour lui permettre de faire de meilleures expansions par la suite. Dans ce cas un concept créé par expansion réactive crée une nouvelle K qui est ajoutée à l’un des acteurs. Nous arrivons ainsi à « endogénéiser »l’apparition de K supplémentaires et obtenons ainsi une capacité à augmenter régulièrement la production de concepts.

1. Le co-design génère des collectifs créatifs par le biais de l’expansion réactive 2. De fait, le premier acte managérial du co-design consiste à proposer un brief

et à offrir un espace de conception pour lancer ce mécanisme.

3. Il y a expansion réactive lorsque les acteurs proposent de nouveaux concepts sans disposer de plus de K, en jouant seulement sur la mise en rapport de leurs K disponibles

4. L’expansion réactive dépend des quatre conditions suivantes : les connaissances sont partagées entre les acteurs (continuité de l’interaction), les connaissances initiales des acteurs sont différentes, les connaissances initiales des acteurs sont indépendantes, les connaissances combinées par les acteurs donnent des concepts.

5. Le combustible s’épuise de manière aussi rapide que brutal. Le collectif est instable et ne peut rester au stade de l’expansion réactive.

6. C’est donc le second acte managérial : un pilotage qui améliore la qualité de conception innovante (favoriser les défixations, les expansions en K et C) et qui permet de « contourner »les points de blocage et de renouveler

les intérêts.

7. Comme en atelier, les participants satisfaits sont ceux qui ont pu échanger et socialiser, et non ceux intensément engagés dans l’atteinte d’objectifs de conception.

8. La créativité est un intrant dans la construction de liens et non une fin en soi. 9. En plus de supporter la création, la codification supporte la construction de lien

(accusé de réception) et la reconnaissance de capacités de conception (performativité).

10. Deux risques guettent le collectif : celui de s’enfermer en mode projet (exploitation), et celui de demeurer en mode idéation (exploration).

AXE III : Management de

l’émergence de communautés

créatives

À la lumière des résultats sur l’expansion réactive, nous pouvons maintenant mieux illus- trer les rôles de la conception dans la mise en route de communautés créatives et passer à la mise en oeuvre d’un pilotage capable d’éviter les effets contraires observés. Nous cherchons ce faisant à prescrire, proposer et expérimenter des formes organisationnelles enrichies per- mettant de mieux accompagner l’embryogenèse de communautés créatives dans la durée. À titre de rappel, la question de recherche de l’axe III est la suivante : comment piloter des communautés créatives dans la durée ?

Pour ce faire, nous nous baserons principalement sur deux cas (Métropolis et Suburbville) que nous avons pu accompagner1 selon une approche de recherche-intervention (Hatchuel 2001, David, 2000) au cours des derniers mois. Mais d’abord, par le biais d’une étude de cas, nous reviendrons sur deux démarches (St-Etienne et Campus) desquelles nous déga- gerons des pistes de pilotage.

On pourrait nous reprocher de trop nous appuyer sur des situations touchant des collecti- vités, villes et territoires ; de ne traiter que de design urbain ou de services publics, et en déduire que le co-design ne peut réussir que dans de tels contextes. Ou encore, on pourrait s’inquiéter d’un biais de sélection des cas, et douter de la transférabilité des implications de pilotage et des conclusions dans d’autres contextes organisationnels. Ces craintes sont légitimes et nécessitent une justification de nos choix, tant sur les cas que sur la méthode, et des mesures prises pour éviter ces écueils.

1. Je suis particulièrement redevable à Frédéric Bove et Patrick Dubé pour leur collaboration de tous les instants et la richesse de leurs interprétations dans ce troisième axe.

Dans tous les cas, nous ne manquerons pas de ramener les exemples spécifiques à des si- tuations analogues en organisations autres que publiques, territoriales ou politiques. Sans parler d’un modèle générique, l’ambition demeure de dégager des implications pratiques qui vont au-delà des contextes à l’étude et portent plus largement sur la poursuite de dé- marches longues de co-design. C’est d’ailleurs là toute la force de la recherche intervention ; la possibilité de « générer des connaissances pratiques utiles pour l’action et des connais- sances théoriques plus générales (David, 2000 :241).

L’axe III est structuré de la manière suivante. Nous présentons d’abord un court cadrage sur les notions de territoire et de conception mobilisés en ces pages. Sont ensuite rappelés les objectifs des interventions, ainsi que les enjeux de pilotage d’une communauté créative émergente et de co-design. Suivent derrière une présentation de l’approche de recherche- intervention et des cas. Chaque fois, la discussion subséquente ouvre sur l’énonciation d’ap- prentissages et d’implications pratiques et théoriques. Nous proposons en conclusion des formes de pilotage plus généralisables, sachant que la recherche-intervention est de toutes les approches « terrain »celle qui permet le plus grand degré de généralisation (David, 2000).

7.1

Cadrage théorique additionnel : territoires et co-design

Métropolis, Suburbville, Campus : les cas que nous mobiliserons pour ce troisième axe (et St-Etienne, aussi à l’initiative d’une région, mais sans enjeu territorial). Ils partagent plusieurs aspects qui les rendent intéressants2 pour l’étude du pilotage : des projets réels d’envergure importante, une diversité d’acteurs, une complexité dans la mise en phase des intérêts, ainsi qu’une volonté d’aller « jusqu’au bout »des commanditaires. Soulignons que l’objet de conception de ces cas, soit l’avancement d’un dossier « citoyen »et « urbain »n’est pas pour nous un critère de sélection, bien qu’il se prête naturellement au co-design. Selon Steen et al. (2013b :3) « Urban design is an interesting candidate for co-design, because it is highly collaborative and involves diverse participants and stakeholders. In addition, the stakes in urban design are high ; lots of time and money are involved and decisions made have long term effects ». C’est aussi de la planification et la conception d’objets urbains dont traitent Rittel (1984) et Fischer (2001), ce dernier soulignant le fait qu’ils sont le fait de rencontres entre plusieurs communautés de pratique. Le fait que dans un territoire donné chacun soit finalement un peu « expert », attaché au lieu, ayant vécu des expériences locales facilite les activités de co-design3.

Nous pourrions postuler que l’adéquation entre les enjeux de développement du territoire et le co-design s’inscrit dans une réflexion plus large sur les espaces urbains comme incuba-

2. Il y a aussi, et nous y reviendrons, un réel élément de « crise »au sein de ces collectifs ; et de fait, selon l’axe I, une opportunité de mettre un collectif en marche. Les cas sont donc cohérents avec nos résultats précédents et requièrent un travail managérial de transformation des conflits en indécidables.

teurs de la créativité. En effet, depuis Jacobs (1961) et Landry (2012, et Bianchini, 1995), l’urbanisme est de plus en plus pensé de manière à faciliter les rencontres, décloisonner les milieux et catalyser le potentiel créatif des habitants au sein des « villes créatives »(Scott, 2006 ; Florida, 2002 ; Cohendet et al. 2010). Il ne suffit plus de concevoir des infrastructures physiques, mais bien de créer des milieux « génératifs »(Landry, 2012). Ces travaux s’inté- ressent à l’animation du territoire qui permet de connecter les politiques aux citoyens, les forces productives aux forces créatives (Cohendet et al. 2009), et donc, à la mise en place de formes d’interactions qui dépassent la simple consultation publique. Si le co-design peut compléter ces approches classiques (nécessairement limitées, car binaire : oui-non), il reste à établir des « standards »de pilotage pour en maximiser les retombées.

Plus près de nous, il convient de citer les travaux de Pinhero-Croiseil (2013) au CGS, qui s’est penché sur l’émergence de nouveaux acteurs et du rôle collectif de concepteurs de nouveaux territoires. Comme le souligne l’auteur (2013 : 15), « les pratiques d’urbanisme (...) sont beaucoup plus collectives et distribue ?es. Elles associent une varie ?te ? d’acteurs (aménageurs, élus, architectes, urbanistes, constructeurs, ingénieurs, habitants, etc.) dans des processus longs. En posant ici la ville comme un « objet de conception », au demeu- rant un objet systémique et complexe aux ramifications infinies, il n’y a qu’un pas pour l’aborder comme nous le faisons sous l’angle du co-design.

Au-delà de l’appropriation de l’espace par les parties prenantes susceptibles d’y cohabiter, ceux qui militent pour l’ouverture de la conception en matière d’urbanisme mettent de l’avant les bénéfices de résultats plus adaptés, mieux vécus et utilisés à leur plein poten- tiel ; des arguments qui ne sont pas sans rappeler le discours sur le co-design dans des contextes industriels (p. ex. Piller et al. 2005), organisationnels ou de conception (ingénie- rie) concourante (p.ex. Lenfle et Midler, 2003). Pour Pinhero-Croiseil (2013), cet atout est trop important pour être écarté au profit d’un pilotage restreint : « la participation des usagers dans la première phase du processus de création (co-design) et la communication post-conception pour les nouveaux usagers arrivants peut créer les conditions nécessaires pour le maintien de la cohérence de l’objet vis-a ?-vis de son contexte ». En outre, ce dernier passage dénote l’existence souhaitable de phases pré et post conception ; élément central de nos travaux de l’axe III.

Finalement, cette relation entre le territoire et la créativité de ses habitants porte aussi en son sein tout le courant des tiers-lieux (Suire, 2013), très présent dans la littérature depuis quelques années et à l’origine de nombreux projets publics. L’argument ici est de multiplier les espaces de rencontre, de médiation ou de « middleground »(Cohendet et al. 2009) sur le territoire pour rendre possible ce qui était jusque-là limité à un petit groupe de décideurs ou d’industriels outillés. De même, le mouvement plus récent des données ouvertes, où les

4. Soulignons ici que l’une des sections du site web de l’auteur est justement intitulé « co-desiging conferences »http ://charleslandry.com/blog/co-designing-conferences/, 20 mai 2015.

villes jouent la carte de la transparence au service du développement social et économique en rendant disponibles ses bases de données s’inscrit également dans cet esprit de citoyen actif et co-créateur du territoire.