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Chapitre 2. Les savoirs et les savants forestiers et urbanistes

2.3. Résultats du chapitre 2

Forestiers et savoirs forestiers

Corps militaire à sa naissance, le corps des forestiers jusqu’à la première décennie du 20ème siècle comptait très peu de spécialistes. Selon les disponibilités, ils occupaient les plus hauts postes d’une hiérarchie dont les besoins en cas de vacance étaient couverts par les corps de la gendarmerie ou de la régie des impôts. Dans la décennie 1910, la machine étatique des forêts évolue définitivement vers sa forme complète, pareille à celle d’aujourd’hui, cadrée par un corps à l'organisation et à l'esprit militaire, bien réparti sur toute la province du pays, à l’image des corps forestiers des pays exemplaires comme la France et surtout l'Allemagne, le pays d’où étaient importés les savoirs et les spécialistes. Vers la fin de la période, l’établissement d’un système d’éducation propre au pays forme les premiers diplômés qui remplacent progressivement les autres corps de l’État qui exécutaient les fonctions concernant les forêts.

Pourtant, malgré l’amplification du domaine administratif et scientifique, les modes de gestion n’ont pas changé, même si la production en bois a relativement augmenté. D’un côté, les demandes de l’économie n’ont pas été transformées de façon significative. D’un autre côté, l’administration reste loin de sa vocation d’être le moteur de la production forestière comme cela était le cas dans les pays- exemples d’Europe. Les forestiers continuent à avoir comme charge principale la maintenance des droits de propriété et le contrôle des rentes de l’État. Le niveau de formation des fonctionnaires

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constitue un moyen de négociation, à base clientéliste, pour leur insertion aux postes publics et pour leur accession salariale et moins une distinction des compétences à l’intérieur du Service.

L’analyse de l’épisode des reboisements des friches dans et autour des villes pendant les deux premiers décennies du 20ème siècle, nous éclaire les pratiques professionnelles et scientifiques des premiers forestiers. Le fait que cette vague de reboisements urbains a constitué l’innovation la plus importante de la période, engagée par des personnes de la haute administration, rassemblant l’élite bourgeoise de l’époque, démontre d’une part l’adresse sociale purement bourgeoise des dirigeants et leur dépendance du centre politique. D’autre part, on peut reconnaître dans le conflit sur les reboisements d’Athènes, l’influence des débats des forestiers français et allemands ainsi que leurs liaisons interdisciplinaires. Les reboisements urbains constituaient un laboratoire pour les régimes alternatifs à la forêt régulière, attirant le discours de plusieurs disciplines. Le fait que les forestiers grecs se sont mis principalement aux reboisements urbains montre que, très tôt, ils étaient familiarisés avec les pratiques des régimes alternatifs.

A partir des années 1920, les forestiers grecs, formés dans le pays, cadrent une administration forestière complète. Ils sont également plus présents dans le monde rural et développent un discours patriotique de défense du bien national. Ils se sont mis par ailleurs à une recherche de l’identité de la « foresterie nationale » en participant à une diffusion sociale de leur problématique dans la nébuleuse idéologique (socialiste, nationaliste, populiste et fasciste) de la « question paysanne » de l’époque. Après la guerre, le corps massifié entreprend la reconstruction de la campagne du pays avec des postulats productivistes tout en continuant le discours patriotique et pro-paysan.

Les conditions physiques et socioéconomiques des forêts grecques ont écarté les forestiers de toute pratique de productivité sylvicole pure pendant toute leur histoire. Effet concomitant, les forestiers grecs sont réceptifs plutôt aux courants de techniques alternatives, qu'on dirait écologiques avant la lettre, dès le début de l’importation des savoirs des pays européens. Cette position les a mis, en particulier dans la période de l’entre-deux-guerres en dialogue avec d’autres disciplines. D’un côté naturelles, comme l’écologie forestière, de l'autre sociales, économiques, sociologiques. Pourtant, après la guerre, les échanges se restreignent et les forestiers tracent leur chemin à part, focalisés sur les techniques de la production sylvicole.

Urbanistes et savoirs urbains

Le métier d’urbaniste de l’autre coté est plus récent. Les urbanistes sortent du milieu des architectes et se distinguent d'eux juste après la guerre, tout en gardant des relations étroites, d’où une certaine difficulté à se positionner de façon critique face au modèle de l'urbanisation. Contrairement aux forestiers, les urbanistes ne sont pas passés par la recherche d’une identité urbanistique pour le pays. Ils adoptent presque sans exception les principes du mouvement Moderne et réclament la planification de l’expansion urbaine comme une demande technique « en soi ». Or, même quand ils sont appelés à planifier l’urbanisation, ils ne développent pas de réponses adaptées aux conditions propres de l’urbanisation grecque. Dans ce cadre, la nature reste le « vert », dans la logique de la séparation des fonctions du Moderne. Le modèle de la ville des cités-jardins, qui avait commencé avant la guerre, continue à inspirer et à être l’idéal de l’expansion urbaine. Pourtant il est réduit aux caractéristiques morphologiques. Le caractère de transformation sociale de la liaison de la ville avec la nature est oublié. Dans l’aménagement du territoire, les analyses et les propositions n’étaient pas

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spatialisées. Dans les rares exemples les spécialistes urbanistes et géographes s’occupaient de l’aménagement de l’industrie sans prendre en compte d’autres activités et donc la nature restait hors du ressort de leurs propositions.

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