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Chapitre 4. 1975-1990 L’adoption de la notion d’environnement par les politiques

4.4. Les politiques urbaines et les urbanistes en Grèce

4.4.2. L’urbanisation et ses pratiques

Le secteur de la construction du logement connaît une inflation brutale en 1974 et bien que les rythmes de développement s’améliorent entre 1978-1980, il entre dans une crise chronique à partir de 1980. Or, c’est aussi le modèle de l’urbanisation qui change. L’auto-logement baisse à partir de 1970 : de 48% à 20,4% entre 1970 et 1986, l’achat du logement prend la primauté (Maloutas, 1990, p.229). Après les années 1970, les crises circulaires de la construction déclenchent des mutations à l’intérieur de la classe moyenne élargie, qui dépend de la construction. L’autonomie économique à travers le marché et l’État, qu’on a évoqué pour la période d’après-guerre, a été fragilisée. Ces cassures n’ont pas conduit à une diminution des couches moyennes mais à une mutation vers l’emploi public et donc à l’approfondissement de leur dépendance politique.

Malgré la régression, une activité importante se maintient, consistant cette fois d’un côté en le déplacement de la population urbaine du centre vers les banlieues, majoritairement à Athènes, et de l'autre en le développement des résidences secondaires dans les régions de vacances. Le nouveau modèle de construction a des effets d’abord sur la diffusion des classes sociales dans la ville. A Athènes, la distinction se creuse entre les banlieues ouest, constituées de logements autonomes qui se dégradent et les banlieues est, valorisées et dominées par le marché du logement se creuse (Maloutas 1990). La périurbanisation diffuse des régions littorales, encouragée par le développement de l’automobile privée, devient le nouveau paysage du littoral. Le littoral tout autour l’Attique en est l'exemple le plus représentatif (Anthopoulou & Moisidis 2003).

Ainsi, dès la deuxième moitié de la décennie 70, on assiste à une deuxième génération de constructions hors-la-loi, œuvres de personnes de toutes les classes sociales qui ont un logement

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principal. Les immigrants de l'intérieur ne sont plus les acteurs majoritaires de la construction illégale. Le phénomène est en pleine croissance mais opéré par toutes les couches sociales. Ces

personnes exploitent une sorte de « légitimation morale » qui couvre la première catégorie et notamment les mécanismes administratifs et la tolérance de la législation . Ainsi les villas hors-la-loi, des hôtels, des usines, sur les côtes, les espaces boisés, les espaces communs des villes se multiplient »

(Vaiou et al. 1995). A côté des villas, d’autres formes de construction apparaissent. Les maisons démontables qui sont exemptées des dispositions pour la construction illégale dans un premier temps en sont un exemple (Tounta 1998).

Dans l’Attique, la construction illégale est liée aux mouvements démographiques vers l’espace en dehors du bassin d’Athènes et majoritairement à l’habitation secondaire. L’ampleur exacte du phénomène n’est pas documentée. D’après un enregistrement du YPEXODE, qui est censé les recenser, le nombre de constructions illégales au début de la décennie de 80 est de 88.300 dans l’ensemble de l’Attique, dont 23.383 dans le bassin d’Athènes et 64.917 dans la périphérie de l’Attique et 55.000 sont de l’habitation secondaire. Ces chiffres sont des sous-estimations. Des recensements au début de la décennie de 1990 évaluent le nombre de constructions hors du bassin d’Athènes à 69.000 (Tounta 1998, p.320-321).

La construction dans les forêts et les Coopératives de Construction (CdC)

Nous allons examiner en particulier l’urbanisation dans les forêts, sa réglementation et ses mécanismes. Plus spécialement nous allons examiner minutieusement le statut les applications des Coopératives de Constructions (CdC) qui y sont étroitement liées.

Le nouveau cadre se caractérise par une attitude ambiguë face à l’urbanisation des terres forestières. Dans certains articles de la loi 947/79, l’insertion des terrains de forêts ou d’étendues forestières dans les plans urbains est interdite, tandis que dans d’autres articles on décrit les conditions de construction de ces terrains, (uniquement pour construire de l’équipement urbain dans les forêts publiques, jusqu’à 10% de leur surface pour les forêts privées). Pendant le vote de la loi au parlement, un débat vif a eu lieu. D’un côté ceux qui parlaient de destruction des forêts, offerte aux riches pour la construction de leurs habitations de vacances. On prenait comme exemple les quartiers riches du bassin nord-est d’Athènes (Ekali, Penteli, Kifissia). De l’autre côté, les défenseurs de la loi donnaient comme exemples des régions de l’Attique littorale, ou de l’Attique de l’Ouest (Kalamos, Anavissos, Mandra) qui étaient déjà construites d’habitations principales et secondaires et où « la réglementation déficitaire et l’excès de zèle des forestiers n’ont pas permis leur intégration au

plan de la ville »170. De même la loi 1337/83 relativise l’interdiction de l’expansion urbaine dans la forêt. Elle permet la construction de résidences principales « à moins qu'elles ne s’opposent à la

protection de l’environnement naturel ». La loi 1515/85, qui l’a complétée, a autorisé l’urbanisation

des terres forestières, sauf quand il s’agissait de forêts protégées.

Concernant l’étendue du phénomène, le nombre de constructions illégales recensées sur des terrains forestiers est estimé à environ 100.000 entre 1974 et 1995 (Tounta 1998, p.321). Les décisions irrévocables de démolition des inspections des forêts entre 1975 et 1998 (donc une partie des cas) sont au nombre de 27.908 dans le pays (Kampouris 2003). Leur étendue moyenne est de 3,35 stremmes171. 60% des cas se trouvent dans l’Attique, avec une étendue moyenne de 2,93 stremmes. 49% de cas de l’Attique sont du ressort de l’inspection des forêts de Penteli et 10% de l’inspection des forêts de Parnès. 62% concernent la construction d'habitations et 28% concernent des

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Extrait d’actes parlementaires dans (Tounta 1998, p.289).

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installations agricoles. 56% des cas sont des interventions dans des hautes forêts et 41% des forêts d'arbustes et de végétation basse.

Les CdC constituent la majeure partie des constructions dans les forêts. De plus la réglementation des CdC concentre toutes les ambiguïtés autour du statut d’usage et de propriété sur les terrains forestiers. Leur nombre est estimé à 1700 en 1967 dont 500-600 en activité. Après l’application de la loi 201/1967, 132 sont été dissoutes (Kampouris 2003). En 1985, elles sont au nombre de 518, dont 67 (12%) autorisées ; la moitié se trouve dans l’Attique, soit 33, et parmi elles se trouvent des quartiers construits d'immeubles. 158 sont autorisées après 1985 et le Décret Présidentiel qui régularise leur fonctionnement. Cela représente 29% de l’ensemble et couvre 20% des terrains de CdC. Enfin, 197 (36,1%) ne peuvent pas être construites et les obstacles concernent dans la plupart des cas le caractère forestier, 173 des cas soit 31,7% de l’ensemble. Le problème apparaît majoritairement dans l’Attique (110 cas) aussi que dans le département de Corinthe (28 cas). Il y a 6 CdC en dissolution, 33 sont en attente d’une demande et 87 pour lesquelles il n'y a pas d’éléments. L’Attique rassemble 227 des cas, 41,6% de l’ensemble, parmi elles seules 57 sont autorisées et 110 sont impliquées avec des terres forestières (Petropoulos 2009). En 1998, les CdC en suspens sont 215, dont 128 dans l’Attique. Dans l’Attique, 66 ont déposé des justificatifs et parmi elles 56 avaient des problèmes avec des terres forestières (Kampouris 2003).

Les CdC sont apparues au début des années 1950 comme un moyen pour les groupes issus des classes moyennes, souvent du même milieu professionnel, de se protéger contre la spéculation sur la terre. Elles font partie de la réglementation172 pour les coopératives jusqu’en 1967 où elles obtiennent un cadre législatif spécifique173. Elles sont classifiées comme « urbaines » et « vacancières » (Union Panhéllenique des Coopératives de Construction 2006). La vocation des CdC dans la première définition selon la loi de 1967 est décrite comme « l’acquisition et la distribution des étendues urbaines ou de campagne à ses membres, afin de construire des édifices ou d'améliorer le logement à condition que ce service ne touche pas l’exploitation agricole, la sylviculture ou l'agriculture en général » (Petropoulos 2009).

Le moyen est très rapidement transformé en un mode de construction d’habitation de vacances par toutes les couches sociales. Après la première période d’après-guerre et les besoins urgents en logement, les CdC ont commencé à servir à la construction de quartiers de vacances, en particulier pour les couches moyennes. De plus, elles sont devenues elles-mêmes des agents de spéculation quand elles ont commencé à revendre des terrains au marché libre de la terre, aux particuliers qui n’avaient pas de rapports avec la CdC ou un milieu professionnel spécifique (Petropoulos 2009). Dans ce cadre les Coopératives de Construction ont acheté des terrains forestiers dont le statut de propriété et de constructibilité était contesté. Très souvent, les terrains des quartiers de vacances achetés pas les CdC étaient des forêts de pins publiques avec seulement un droit de gemmage cédé aux gemmeurs. Les terrains étaient vendus à des prix plus bas que ceux de la terre agricole parce que les vendeurs avaient connaissance du statut contesté de la propriété et des difficultés rencontrées par l’urbanisation de ces terrains (Petropoulos 2009).

Les lois qui suivent essaient de gérer le fait accompli, le fait que les terrains ont été achetés par les CdC. La mesure la plus souvent utilisée est l’échange de ces terrains contre d'autres qui sont constructibles sur la même commune. Le décret de 1971174 déclare que la possession des terrains 172 L.602/1915 173 Loi Obligatoire 201/1967 174 D.P. 886/71

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forestiers par des CdC est valide si les terrains ne sont pas revendiqués par le public et si le changement d’usage (l’urbanisation) est permis par un décret ratifiant l’urbanisation et le plan d’alignement.

La loi 998/1979 « Sur la protection des forêts » régularise de nouveau le statut. Elle déclare que les terrains forestiers obtenus légalement par des CdC avant 1975 peuvent être construits après permission ministérielle, s’il est estimé que l'offre d'un logement des membres de la coopérative représente un intérêt national, conformément à la constitution qui garantit le droit au logement. Les terrains des CdC qui ne peuvent pas être construits sont expropriés en faveur du public, où ils sont échangés contre des terrains non-forestiers pouvant être construits. La loi régularise de nouveau la propriété des forêts gemmées. Elles sont rendues aux usagers gemmeurs avec le statut de propriété absolue, ou aux coopératives de construction, si elles ont été achetées avant 1967. La loi instaure des comités départementaux qui examinent la légalité des achats et qui se prononcent pour la reconnaissance de la propriété absolue de ces terrains. Cela autorise la construction, après une permission ministérielle (Union Panhéllenique des Coopératives de Construction 2006).

Le conseil d’État a abrogé les dispositions de la loi 998/1979 au moyen de différentes décisions en arguant que conformément aux articles 24 § 1 et 117 § 3 et 4 de la constitution : 1) la protection des forêts s’étend sans limites au passé175 (elle est rétroactive) 2) le changement de la vocation pour des raisons d’intérêt national ne s'applique qu'aux forêts publiques176 3) l’utilisation des forêts pour les besoins urbains ne relève pas de l'intérêt national177 4) les dispositions qui prévoient des interventions dans les forêts sont anticonstitutionnelles et doivent être abrogées178.

Jusqu’en 1980, l’administration était tolérante par rapport aux constructions opérées par les CdC. Or, les lois du gouvernement suivant179 ont annulé les dispositions de la loi de 1979 (qui finalement n’a pas été finalement appliquée) et ils ont imposé des limites à l’urbanisation via les CdC. Depuis les CdC ne peuvent pas acheter de terrains forestiers et ne peuvent pas construire sur leurs terrains, même légalement achetés. Les décrets prévoient encore une fois des procédures pour l’échange des terrains forestiers contre des terrains constructibles urbains (Petropoulos 2009).

Le nouveau statut a provoqué des réactions. L’Union Panhéllenique des CdC, qui représente 500.000 propriétaires, conteste les contradictions de la réglementation et de l’administration, d’un côté la loi de 1979 toujours en vigueur qui permet l’exploitation urbaine des terrains de CdC et de l’autre côté la jurisprudence du CdE qui l'interdit en violant des principes de la Constitution (la confiance du citoyen envers l’État, la protection des droits acquis…). L'Union rappelle que toutes les CdC n’ont pas de membres riches et qu’il s'agit aussi de la construction des petits-moyens qui n’ont pas pu contourner la réglementation.

En 2004 des propriétaires de 9 CdC recourent à la Cour Européenne pour contester le fait qu’ils ne sont pas autorisés à céder à leurs membres les terrains qu’ils ont achetés légalement et que l’administration a suspendu leurs intérêts fonciers pour une période de 30 ans. Ces CdC ont acheté leurs terrains avant la dictature à des gemmeurs, sans se cacher de l’administration. Elles n’ont pas 175 décisions 1954/1990, 2436/1991 176 décisions 3754/1981, 2196/1982, 2282/1992… 1014/2000 177 décisions 1675/1999, 2855/2003… 178 décisions 3754/1981… 179 décrets présidentiels 17/84 et 93/87

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contourné le cadre et n’ont pas pu construire pendant la dictature et les limitations imposées aux CdC. Pendant cette période, les terrains achetés ont été envahis par des éleveurs, alors que le public les revendiquait aussi, ignorant les décisions des cours de justice qui affirmaient les droits des CdC.

4.4.3. Le discours urbanistique en Grèce et ses agents - La critique de la croissance

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