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Réflexion sur l'influence et la pérennité du dualisme et de la séparation du corps et de

CHAPITRE 2 : LE DUALISME ET L'AVÈNEMENT DU CHRISTIANISME EN

3. Une contre voix : la présence d'une conception androgyne de Dieu

3.1. Réflexion sur l'influence et la pérennité du dualisme et de la séparation du corps et de

La mentalité patriarcale de l'époque antérieure et contemporaine à la vie de Jésus, quoi que l'on puisse penser ou croire sur Jésus lui-même, se reflète dans le climat culturel général de cette période en Orient et en Occident. Les enseignements de Jésus ne pouvaient être mieux compris que l'évolution de la mentalité de l'époque ne le permettait, exception faite pour quelques initiés qui de – ci, de – là, en ont peut-être eu la possibilité. Observées dans l'histoire de l'évolution humaine, des personnes aux idées novatrices ont d'abord été condamnées pour avoir bousculé des idées en place, pour ensuite se voir qualifier de précurseurs dans des champs de la science ou de l'activité humaine. Cette difficulté d'admettre des idées nouvelles n'est pas différente pour cette période. La mentalité de cette époque était un reflet de l'évolution des consciences, des croyances religieuses et individuelles ainsi que du contexte social, politique et culturel. Une majorité de personnes ayant des problèmes de survie à cause des mauvaises récoltes, de maladies et de problèmes connexes avait donc besoin d'enseignements faciles à comprendre et à mettre en pratique. L'élite peu nombreuse avait de son côté acquis et développé une attitude et une

43 La division sexuelle est l'image même de l'aliénation mondaine. La femme, être faible, inférieur, doit se muer en homme pour retrouver l'unité primitive. Ces phrases sont une note de bas de page de, F. QUÉRÉ. Évangiles

compréhension, résultat de l'apprentissage réflexif effectuée en s'éduquant, sans être contrainte par les problèmes de survie des premiers. D'autre part, elles ne pouvaient se soustraire aux savoirs des écoles platoniciennes et néo-platoniciennes étant parmi les écoles les plus influentes. En conséquence, il devient possible d'affirmer que la vaste majorité des penseurs philosophiques et religieux orientaux et occidentaux du début de l'ère chrétienne ont fréquenté des écoles d'ascendance et d'influences platoniciennes. Ce faisant, ces intellectuels et penseurs ont intégré la conceptualisation platonicienne du corps vu comme empêcheur d'atteinte à la Vérité et à la Vertu. Une rhétorique si savamment développée par Platon, qu'elle sera conservée et reprise comme vérité en contexte religieux, où le corps tiendra le rôle d'empêcheur sotériologique.

Les penseurs les plus influents des églises d'Occident et d'Orient issus des écoles platoniciennes et néo-platoniciennes, et la majorité de leurs émules soutiendront l'Idée d'un corps à proscrire et l'exacerberont au point de le rendre pécheur, la doctrine officielle de l'Église de Rome sera ainsi élaborée par étapes successives et menée à son institutionnalisation. La vision et la pensée sur les femmes sera pérennisée par l'Église et évoquée par : les femmes ces tentatrices44.

Lutter contre le désir en se mortifiant le corps, en censurant ses pensées, ([ne sera]) pas la seule voie. Toutes les religions s'attachent aussi à « traiter » l'objet de ce désir, autrement dit, dans les sociétés patriarcales, les femmes. […] jugées coupables par leurs atours, leur démarche, leur parfum ou leurs propos de provoquer facilement des débordements ‒ volontairement ou non, la question ne se pose jamais. D'autant plus que l'image de la femme est aussi caractérisée par l'honneur et surtout la pudeur considérée comme une composante primordiale de la foi45.

Les femmes n'ont qu'à bien se tenir, se contenir et se taire. « […] le christianisme ([a]) introduit une nouveauté majeure au sein des religions monothéistes, […] celle de la virginité. Car la présenter, ainsi que le font les Pères* de l'Église, comme un état supérieur à celui du mariage, est une idée révolutionnaire pour l'époque. (Apoc., XIV, 4)46 . » Cette façon de réfléchir le christianisme démontre l'efficacité de l'œuvre pérennisatrice du dualisme qui sépare la vie du corps et des femmes de ses fondements. Il est fascinant de constater que l'Idée de l'amour du corps et de l'esprit réuni ne soit promue, alors que certains écrits évangéliques portent sur l'amour inconditionnel. Comment expliquer alors ce mépris et cette haine du corps et des femmes, sinon

44 A. GODEFROY. Les religions, le sexe et nous, Paris, Calmann-Lévy, 2012, p. 42. 45 Ibid., p. 42-43.

que par la mentalité des hommes que furent les premiers chrétiens. Ceux-là même qui établiront les fondements et fixeront les bases théologiques et religieuses de la chrétienté. La présence du dualisme apparaîtra dans toutes les constituantes de l'Église en devenir, après la mort de Jésus, telle que nous le verrons jusqu'au concile de Nicée.

Dans le IIe siècle du christianisme, la grande figure de la virginité est évidemment la Vierge Marie. Qualifiée à la fois de « Miroir de la Justice », de « Cause de notre Joie », de « Vase Spirituel » ou encore de » Rose Mystique », elle rassemble tous les rôles attribués dans l'Antiquité aux déesses. C'est probablement Justin, martyr chrétien du IIe siècle, qui a été le premier à désigner Marie comme « la Vierge ». Et un culte spécifiquement marial est attesté dès la fin du IIIe siècle au plus tard47.

La vierge Marie est affublée d'un symbolisme reposant essentiellement sur une conceptualisation masculine. La femme Marie est inexistante. Elle apparaît désincarnée, effaçant du même coup la vie des femmes incarnées et considérées dans le respect de leur sacralité sur terre et dans l'Église. Nous pouvons lire chez Tertullien, un penseur chrétien influent :

[…] qu'ils se trouvent ou non sous le sceau du mariage, l'homme et la femme se livrent à des actes de « débauche légitime » (Tertullien). Le mariage pose un premier problème, évident : celui de la nudité entre les époux, qui suscite encore les vitupérations de l'abbé Boileau au XVIIIe siècle : « Dieu hait la nudité des corps parce qu'elle est une figure de celle de l'âme et qu'elle luy représente continuellement notre pauvreté intérieure; et le démon aime la nudité du corps48.

D'autres variantes reposant sur les mêmes fondements conceptuels se lisent chez un Clément d'Alexandrie aux IIe-IIIe siècles et qui suggère que l'homme aime son épouse : « […] « comme une sœur » : « Un homme qui se marie au nom de la procréation des enfants doit pratiquer l'abstinence [ici la retenue] afin que ce ne soit pas du désir qu'il ressente pour sa femme…Ainsi il pourra engendrer des enfants avec une volonté chaste et contrôlée49. » Cette proposition suggestive de Clément d'Alexandrie en suggère quelques autres : l'idée d'un devoir conjugal où le corps est considéré comme un instrument reproducteur où la femme assume pleinement un rôle de gestation sur neuf mois et à répétition, tel un incubateur. Il n'y a qu'un pas à franchir entre cette conception et celle du corps-machine. Ce rôle utilitariste du corps des femmes sera pérennisé, sous peine d'être sanctionné dans l'esprit des penseurs doctrinaux et institutionnels de l'Église. D'autre part, l'élite

47 Ibid.

48 Cité in Jean-Claude Bologne, Histoire de la pudeur, Perrin, 1999. « Cité par » A. Godefroy, Les religions, le sexe

et nous. p. 86.

Orientale incluant l'élite juive contribuera à soutenir la pérennisation du dualisme, de par sa formation à la culture grecque et l'ascendant que continuera d'exercer la mythologie et la culture hellène même au temps de l'Empire romain. Ce qui nous fait suggérer qu'une pérennité ne peut se poursuivre que dans la mesure où elle continue de servir ses passeurs et ses héritiers.

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