• Aucun résultat trouvé

Réactions des églises chrétiennes

CHAPITRE 3 : LES ÉGLISES D'OCCIDENT ET D'ORIENT DEVIENNENT UN

1. Sortie du modèle sectaire vers l'Église de Rome

1.4. Réactions des églises chrétiennes

Devant la menace gnostique des marcionites et montanistes, et bien d'autres encore, l'Église met en place un épiscopat monarchique où sera concentrée l'autorité afin de préserver la doctrine en diminuant « […] le nombre des lieux de culte, afin d'éviter les conventicules, trop perméables aux influences hérétiques33 ». Les presbytes apparaissent de plus en plus professionnels et compétents à défendre la « tradition ecclésiastique ». Les évêques commencent à se réunir en « synodes ». Leurs premières préoccupations consistent à « […] coordonner, en Anatolie, la résistance à la marée montaniste, dès les premières années de la propagation de celle-ci34 ». Ces réunions s'avèreront efficaces pour la défense de l'Église elle-même, ainsi que pour se débarrasser des « prophètes phrygiens ». Cette pratique « […] ‒ que les Latins nommeront « concile » ‒ ([et qui]) fut dès lors un des organes essentiels du gouvernement des Églises35 » avant la fin du IIe siècle. Une prééminence est accordée à certains évêques afin d'assumer une continuité de la coordination entre les églises. Ceci générera certains conflits dont témoigne le cas de l'évêque d'Alexandrie.

Ce dernier avait nommé d'autres évêques sous sa direction, pour créer une cohésion administrative afin de coordonner les efforts pour contrer le gnosticisme. Ce modèle fit autorité et emprunté par l'évêque de Rome qui « […] étendit lui aussi son autorité sur ses confrères de la province d'Italie […] avant le début du IIIe siècle, ([le faisant]) apparaitre comme une sorte de patriarche de l'Occident, dont la primauté ‒ encore très vague, il est vrai ‒ s'imposait aux Églises de Gaule, d'Espagne et d'Afrique36 ». Sa progression rapide et son influence seraient reliées à la situation politique et économique qui se dégradait à Rome à partir de Marc-Aurèle, mais aussi à l'action des évêques de Rome qui établirent avant 180,

[…] une liste de leurs prédécesseurs, remontant en ligne directe jusqu'aux apôtres Pierre et Paul, dont ils firent arbitrairement les fondateurs de leur Église. Ils purent ainsi se targuer d'être, mieux que les évêques d'aucun autre centre, les successeurs des apôtres et les gardiens autorisés de l'enseignement de ceux-ci. L'argument fit surtout impression en Occident, où aucune communauté n'avait la même ancienneté que celle de la capitale. En Orient, nombreuses étaient les Églises qui attribuaient leur origine à un apôtre de la première génération : Antioche, Alexandrie et Jérusalem avaient des listes épiscopales aussi impressionnantes que celle de Rome.

33 Ibid., p. 253. 34 Ibid., p. 254. 35 Ibid. 36 Ibid., p. 255.

Les prétentions romaines n'y rencontrèrent donc pas le même succès qu'en Occident37.

Il devient intéressant d'observer que c'est l'ecclésia d'occident qui semble avoir besoin de rehausser son prestige. Était-ce le vieil ascendant grec sur la culture orientale qui à nouveau refaisait ? L'Église de Rome cherchait à étendre son influence en Orient, foyer d'origine des courants gnostiques qu'elle cherchait à combattre. L'Église d'Alexandrie occupée par l'agitation gnostique aurait accepté initialement le patronage de Rome. Cherchant à s'imposer, Rome voulut décréter la date de Pâques que les églises d'Orient célébraient au même moment que la Pâques juive, mais que les Romains célébraient le dimanche suivant. L'évêque Victor déterminé à faire valoir « la thèse romaine » obtint l'approbation des autres évêques réunis en synode, allant même jusqu'à vouloir faire excommunier les chrétiens d'Asie, qui s'y opposaient38. L'évêque Irénée de Lyon originaire d'Asie reçut l'appui de plusieurs autres évêques qui s'opposaient à cette manœuvre de l'évêque Victor. Malgré cet échec, Victor, « […] avait montré l'usage que l'évêque de Rome pouvait faire de son autorité morale pour établir sa domination sur l'Église universelle. La monarchie papale était déjà en germe dans le comportement impérieux de ce défenseur d'une orthodoxie étroite39 ».

En termes de compréhension dualiste, cet exemple témoigne du désir de l'Église de Rome d'asseoir son autorité au détriment des églises orientales, en proclamant la supériorité de ses propres règles. L'effet de compénétration culturelle de la civilisation grecque sur la Rome antique et l'Orient conquis, n'aura pas réussi à atténuer la différence profonde des visions occidentales et orientales qui désormais fera partie du socle politique, social et culturel de l'Empire. Cette réalité devra désormais être considérée comme un enjeu de pouvoir qui n'échappera plus à la foi religieuse des églises d'Orient et d'Occident.

Au IIe siècle, malgré le renforcement des structures ecclésiales, les églises chrétiennes ont besoin de se définir plus clairement, face à la popularité toujours grandissante du gnosticisme oriental. Une nouvelle validation d'authenticité de la tradition chrétienne s'impose. Les défenseurs de l'Église mettent davantage l'accent sur les paroles prononcées par Jésus de son vivant, affirmant

37 Ibid. 38 Ibid., p. 256. 39 Ibid.

qu'elles remontent aux apôtres, témoins privilégiés de sa vie. Ainsi les églises catholiques rassemblent les contenus de la tradition apostolique pour concevoir le pendant de la Bible Juive, le Nouveau Testament. « Les quatre Évangiles (Marc, Mathieu, Luc et Jean)40. » Leurs contenus déjà diffusés et connus leur donnent la crédibilité recherchée. À cela, s’ajoutent : « Les Épîtres

pastorales, que Marcion avait écartées, ([et qui]) furent définitivement intégrées à la collection.

Par contre l'Épître aux Hébreux, écrit anonyme adjoint au corpus paulinum en Orient, fut rejetée par les Églises d'Occident, qui ne leur donnèrent droit de cité dans leur canon qu'au IVe siècle41 ». Ces indications laissent à penser que le choix de certains textes de l'Église d'Occident, ne se faisait pas uniquement en fonction de leurs contenus mais aussi en fonction d'un certain usage politique permettant d'accroître le pouvoir ecclésial.

Au début du IIIe siècle apparaissent les premières traductions des livres de l'Ancien et du Nouveau

Testament en latin, en copte et en syriaque. Ce double canon devint source de doctrine, « […] à la

façon des livres de la Loi mosaïque dans le judaïsme. De cette manière, les livres hérétiques se trouvaient écartés mais aussi l'utilisation trop exclusive de tel ou tel ouvrage ou groupe d'ouvrages particulier, comme les Épîtres de Paul ou le IVe Évangile. Le canon acquérait ainsi

progressivement le statut de norme doctrinale42 ».

Ces normes préparaient le terrain pour la constitution de confessions de foi résumant l'enseignement des églises, en démarquant l'orthodoxie de l'hérésie, que les formules christologiques simples ne permettaient plus de repérer. Dès le milieu du IIe avait commencé à se développer la formule trinitaire simple dans le symbole », (ou confession de foi), baptismal auquel Justin Martyr fait allusion à plusieurs reprises. Vers la même époque, l'Église de Rome utilise une confession développée différemment et qui possède une structure ternaire. Son deuxième article est très élaboré et le troisième est enrichi par la mention de la rémission des péchés. Cette confession est nommée symbole des apôtres et est restée en usage depuis en Occident. Parallèlement à cette confession de foi occidentale, le symbole oriental qui avait la même structure trinitaire que son équivalent occidental, mais qui s'en distinguait par l'extrême concision du

40 Ibid., p. 257. 41 Ibid., p. 259. 42 Ibid., p. 260.

troisième article, qui le réduisait à une mention du Saint-Esprit, mettant plutôt l'emphase dans le premier article sur l'activité créatrice de Dieu le Père, et par l'affirmation au deuxième de la préexistence du Christ et du rôle de celui-ci dans la Création43. Selon Trocmé, ces différences de caractéristiques s'expliquent par les besoins de l'apologétique anti-gnostique. Cette explication semble à propos puisque Justin Martyr se préoccupait de combattre le gnosticisme. Un élément additionnel s'ajoute pour expliquer cette différence :

La différence principale entre l'Orient et l'Occident en matière de confession de foi, c'est que le symbole occidental était dès la fin du IIe siècle considéré comme un énoncé immuable, tandis que dans les Églises orientales on acceptait l'idée d'adaptations du symbole chaque fois que les circonstances exigeaient un énoncé nouveau de la foi orthodoxe. C'est l'indice le plus net de l'intensité des discussions théologiques en Orient, alors qu'en Occident on débattait surtout de problèmes de discipline et d'organisation de l'Église44.

Documents relatifs