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Les ressources organiques des corps féminins en laboratoire

CHAPITRE 3 : LES ÉGLISES D'OCCIDENT ET D'ORIENT DEVIENNENT UN

2. Le corps en laboratoire

2.1. Les ressources organiques des corps féminins en laboratoire

Les cellules souches constituent une matière précieuse pour la médecine régénérative qui voit en elles l'espoir de régénération possible du corps humain.

Décomposé en une série d'éléments vitaux pouvant être isolés, manipulés, congelés, stockés, échangés et même brevetés, le corps est devenu une ressource incontournable pour la recherche et l'industrie biomédicale51. Considérés comme des déchets organiques, les cellules, les tissus, les ovules et les embryons obtenus dans le cadre d'expérimentations ou de traitements thérapeutiques ont d'ailleurs acquis une valeur économique que la sociologue Catherine Waldby a conceptualisée sous le terme de biovaleur.52

La recherche effectuée sur les différents éléments du corps humain donne lieu à une spéculation financière incessante, à partir de la récupération de matériaux biologiques, parmi lesquels se retrouvent des embryons humains non utilisés dans le cadre de la procréation assistée. Ceux-ci sont alors recyclés aux fins de recherche et acquièrent par l'entremise des cellules souches, une

biovaleur sur le marché mondial de la médecine régénérative.53 Par ailleurs,

[…] la déconstruction informationnelle du corps liée au développement de la génomique ne doit pas masquer le fait qu'une grande partie des avancées biomédicales actuelles repose sur la transformation d'éléments du corps féminin en matière première recyclable pour l'industrie de la recherche biomédicale. […] les ovules ont […] acquis, à la suite de l'isolement par James Thomson en 1998 des fameuses cellules souches embryonnaires, une double valeur scientifique et économique. Leur rareté et le lourd appareillage technoscientifique […] pour les extraire leur confèrent une biovaleur qui dépasse le cadre de la fécondation in

vitro54.

Pour Céline Lafontaine, il est nécessaire de comprendre le contexte global de la bioéconomie afin de saisir les enjeux auxquels sont confrontées certaines catégories de femmes en tant que ressources et matières premières de l'industrie biomédicale. Pour bien comprendre les processus par lesquels le corps féminin devient une matière première, une attention particulière doit être accordée aux aspects biologiques et corporels de la bioéconomie. Afin d'éviter tout malentendu

51 Nikolas Rose, « The value of Life: Somatic Ethics and the Spirit of Biocapital », Daedalus, vol. 137, no 1, 2008, p. 36-48. « Cité par » C. Lafontaine, Le Corps-Marché, p. 51.

52 Catherine Waldby, « Stem Cells, Tissue Culture and the Production of Biovalue », Health, vol. 6, no 3, 2002, p. 305-323. « Cité par » Ibid. p. 50-51.

53 C. LAFONTAINE. Le Corps-Marché, p. 52.

54 Sarah Franklin, « Embryonic Economies: The Double Reproductive Value of Stems Cells », Biosocieties, vol. 1, no 1, 2006, p. 71-90. « Cité par » Ibid., p. 156.

sur la perspective féministe adoptée précise l'auteur « [….] la prise en compte de la dimension corporelle de la différence sexuelle s'avère essentielle pour comprendre les nouvelles logiques d'appropriation et d'exploitation auxquelles les femmes sont aujourd'hui confrontées. Seul un féminisme matérialiste peut permettre de saisir les enjeux globaux de la bioéconomie55 ».

La mise en valeur des produits du corps féminin associé à la médecine régénérative a conduit au paradoxe où le corps devient à la fois matière première et où la mise en banque du « capital » biologique (ovule, sang menstruel, sang de cordon) s'intègre à une forme de biocitoyenneté, à laquelle les femmes participent en investissant d'elles-mêmes tout en contribuant au modèle de développement biotechnologique et bioéconomique.

La fécondation in vitro (FIV) a marqué un tournant en matière de procréation, de biomédicalisation et d'artificialisation des potentialités biologiques56. La médecine de procréation vise à rendre performant un corps qui ne l'est pas. Les techniques de FIV ont pour but d'accélérer et d'intensifier artificiellement la production d'ovules afin de les extraire et de maximiser leur potentiel de fécondité. Adele Clarke a démontré que les technologies développées dans le cadre de l'élevage industriel ont progressivement été appliquées aux femmes pour le traitement de l'infertilité humaine57. La possibilité de contrôler et de dépasser les limites du corps reproductif organique a ouvert la voie à une conceptualisation technique de la biologie humaine au-delà du pathologique.58

Sylvie Martin dans Le Désenfantement du monde, affirme que le savoir obstétrique repose sur deux axes, l'une scientifique et l'autre technique. Les connaissances scientifiques reposent à la fois sur le fœtus et sur le corps maternel59. La modélisation de la grossesse en huit phases successives, de

55 Ibid., p. 159.

56 Adele E. Clarke (dir.), Biomedicalization: Technoscience, Health, and Illness ([sic]) in the US, Durham, Duke University Press, 2010. p.

57 Adele E. Clarke. Disciplining Reproduction:Modernity, American Life Sciences, and "the Problems of Sex", Berkely, University of California Press, 1998.

58 Sarah Franklin, « The Cyborg Embryo: Our Path to Transbioloby »Theory, Culture, & Society, vol.23, no 7-8, 2006, p. 167-187. « Cité par » C. Lafontaine, Le Corps-Marché, p. 160-162.

59 N. Schrom Dye, « The medicalization of birth », dans P. S. Eakins (dir.), The American Way of Birth. Voir aussi W. R. Arney, Power and the Profession of Obstetrics, p. 24; T. Cassidy, Birth. Sur le fœtus comme patient, voir plus loin, chap. 4. « Cité par » S. Martin. Le Désenfantement du monde, Utérus artificiel et effacement du corps maternel, Montréal, Liber, 2011, p. 68-69.

l'arrêt des règles jusqu'au déplacement du fœtus60, a permis d'instituer la science de la reproduction et de déterminer ce qui est de l'ordre du normal et du pathologique61. Précisant ainsi les moments d'interventions. La grossesse vue comme une maladie transitoire et […] l'accouchement comme un événement médical/chirurgical ([ont]) nourrit forcément la technicisation de l'obstétrique ([par]) le développement d'une kyrielle d'outils et de méthodes qui se généraliseront dans la pratique obstétricale à partir des dix-huitième et dix-neuvième siècles et qui permettront d'assurer le contrôle à plusieurs niveaux, de la conception à la naissance.62

Sans vouloir banaliser les connaissances rattachées au développement de l'obstétrique, nous suggérons que la médicalisation des naissances a aussi favorisé une désensibilisation des processus naturels et des ressources du corps des femmes lors de la grossesse et de l'accouchement. En associant la grossesse à une maladie, l'obstétrique a transformé l'expérience intime, naturelle et sacrée de la grossesse et de la naissance en expériences profanes contrôlées par le corps médical. Les parturientes sont devenues des patientes, la sacralité de la naissance a été évacuée et les naissances sont souvent vues comme un acte médical à produire dont on programme la date et l'heure. Les mouvements organiques du corps de la mère et de l'enfant devant s'y soumettre.

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