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Les premiers pas vers l'Église de Rome

CHAPITRE 3 : LES ÉGLISES D'OCCIDENT ET D'ORIENT DEVIENNENT UN

2. Les premiers pas vers l'Église de Rome

En dépit d'une meilleure organisation, d'une collection de livres saints et l'instauration d'une foi orthodoxe, l'Église traditionnelle n'aurait pu endiguer le flot des hérésies des gnostiques, si ce n'eut été d'une contre-attaque située sur le terrain de la pensée. « En obligeant les Églises à réfléchir, ils ont, pour la première fois depuis Paul et Jean, permis la renaissance de la théologie chrétienne45. » Cette contribution est constitutive et comptera parmi ses premiers théologiens des Orientaux tels ; Justin Martyr, Tatien son disciple, Théodore de Byzance, Praxéas et d'autres.

2.1. Justin Martyr

Au sujet de Justin Martyr, rappelons qu'il est un païen converti au christianisme qui s’installa à Rome en 140. Intellectuel et philosophe, il écrit l'Apologie de la foi chrétienne et présente le christianisme à des cercles restreints et influents, à la morale conservatrice, comme étant une religion aux règles sexuelles strictes qu'observaient les fidèles mariés. « Beaucoup, hommes et femmes de soixante et soixante-dix ans, disciples du Christ depuis leur jeunesse, persévèrent dans une pureté immaculée […] C'est notre fierté d'être capables de présenter des personnes comme

43 Ibid., p. 262-263. 44 Ibid., p. 263.

elles aux yeux de l'espèce humaine »46 ». Peter Brown précise qu' « [e]n insistant, dans le christianisme, sur la discipline sexuelle du plus grand nombre et l'héroïque abnégation d'une élite, Justin tentait de trouver un terrain d'entente avec un empereur « philosophe » qui était alors Antoine le Pieux47. » La philosophie de Justin, dont la petite histoire raconte qu'il se fit un point d'honneur de porter son manteau de philosophe, trouva initialement des interlocuteurs qui partageaient l'Idée philosophique de la séparation du corps et de l'esprit, qui s'extensionnait jusqu'en dans leur foi. En quelque sorte un mariage parfait de la foi philosophique de Justin trouvant écho chez l'Empereur et ses interlocuteurs formés à la pensée philosophique. Par ailleurs, « L'Église d'Occident accueillit assez mal la plupart des théologiens orientaux, dont elle redoutait l'agilité d'esprit. […] chacun ([défendaient]) des doctrines christologiques assez en avance sur celle du temps, et furent […] énergiquement combattus par les dirigeants ecclésiastiques inquiets de ces subtilités48 ».

2.2. Irénée de Lyon

Irénée de Lyon fut l'exception. Devenu évêque vers 178, il rédigea Contre les hérésies, un ouvrage contre le gnosticisme qui obtint une grande faveur auprès des chrétiens de son époque. La foule des chrétiens à qui il s'adressait faisait partie d'une classe culturelle et sociale montante, [(en termes contemporains classe moyenne]) regroupant le même auditoire que celui des gnostiques. Les quelques propos qui suivent au sujet du corps tirés de Contre les hérésies donnent un aperçu de l'Idée que véhiculait Irénée de Lyon à ce sujet : « […] Irénée évoqua la gloire future de tous les chrétiens, placés dans un monde que Dieu aurait recréé pour leur jouissance physique : juste récompense pour avoir souffert tant de tourments sur terre. […] Le corps nouveau, ([après la mort]) désormais indissocié de l'Esprit, vivait dans un monde pleinement matériel aussi chargé de divin que le parfum entêtant d'une prairie en fleurs49 ». Comme l'indiquent ces propos, chez Irénée, la fin de la séparation du corps et de l'esprit ou l'union du corps et de l'esprit n'est envisageable

46 Justin, Apologie, 15, 1-5; trad. fr. A. Hamman, p. 32, « Cité par » P. BROWN., dans, Le renoncement à la chair.

Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, p. 59.

47 Ibid.

48 É. TROCMÉ. « Le christianisme des origines au concile de Nicée » dans Histoire des Religions II, p. 264. 49 IRÉNÉE DE LYON. Contre les hérésies, V, 32, 1, et 33, 1; éd.et trad. fr. A. Rousseau et al. , vol. 2 pp. 397 et 407. « Cité par » P. BROWN. Le renoncement à la chair. Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, p. 106.

qu'après la mort. Bien que l'œuvre d'Irénée connaisse du succès en Occident, c'est en Orient que la lutte contre les hérésies fut la plus fructueuse sur le plan théologique.

Alexandrie d'Égypte vit la création d'une véritable école de théologie, à la tête de laquelle se succédèrent des maîtres fameux dont la pensée à la fois audacieuse et conforme pour l'essentiel à la foi traditionnelle eurent une influence décisive sur tout l'avenir du christianisme. Le premier chef de cette école fut […] Pantène […] Ancien stoïcien […] maitre de Clément d’Alexandrie […]50.

2.3. Clément d'Alexandrie

Clément d'Alexandrie est un philosophe et un habile rhéteur. Il ressemble aux « sophistes » et s'efforcera de démontrer « […] la grandiose unité de la révélation divine dans l'œuvre des philosophes, des poètes et de leurs maîtres à tous, les prophètes de l'Ancien Testament. Toutes ces voix s'unissent sous la direction du Logos divin […]51 ». Dans un de ses ouvrages : le Pédagogue, il affirme contre les gnostiques que

[l]e Christ, pédagogue et exemple parfait, lui enseigne la morale raisonnable qui est à la fois dictée par le Logos et par l'Écriture sainte ‒ c'est à dire en fait une morale stoïcienne teintée d'un peu de biblisme, où les conseils pratiques occupent autant de places que les exhortations morales. […] La défense de l'orthodoxie se ramène à une grande et belle entreprise de séduction des bourgeois que les excès des gnostiques avaient effrayés52.

Cette morale raisonnable et dualiste, Clément d'Alexandrie, ce « […] maître de la « raison pédagogique », ne mettait que trop d'empressement à dire exactement aux couples chrétiens comment conduire leurs relations conjugales. […] Nulle part le souci capital qu'avait Clément de produire le sage chrétien parfait n'était plus évident que dans ses idées sur la sexualité et le mariage53 ». Il prend soin de détailler les interdits demandant aux époux de s'abstenir « […] aux « trois carêmes » (Avent, Carême et probablement la Pentecôte), mais aussi durant les règles, […] pendant la grossesse et jusqu'à quarante jours suivant l'accouchement54 ». Au début du XXe siècle R.B. Tollington écrivait dans un ouvrage sur Clément d'Alexandrie : : « Il entraîne parfois ses lecteurs jusque dans les détails les plus intimes des relations sexuelles, dont la discussion ne nous

50 É. TROCMÉ. « Le christianisme des origines au concile de Nicée » dans Histoire des Religions II, p. 265. 51 Ibid., p. 266.

52 Ibid.

53 P. BROWN. Le renoncement à la chair. Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, p. 175-174. 54 A. GODEFROY. Les religions, le sexe et nous, p. 103.

paraîtrait naturelle que dans un traité médical […] Dans les conditions modernes, le cabinet de consultation est sans doute le meilleur endroit pour traiter des sujets qu'il crut bon d'aborder dans la salle de cours ou dans l'ouvrage publié55 ». Rappelons que le philosophe Platon avait utilisé les avancées de la science médicale pour appuyer le développement de sa pensée philosophique tel que l'a mis en lumière Gregorio. Était-ce l'influence platonicienne qui avait encouragé le philosophe Clément d'Alexandrie à faire de même en matière de sagesse sexuelle chrétienne ?

La théologie chrétienne et les réflexions qu'elles développent et soutiennent furent produites par des auteurs imprégnés de l'influence d'une culture philosophique dualiste et platonicienne. « C'est ce qui se passe notamment chez Clément d'Alexandrie, chez Origène, chez Augustin, dans le monachisme56. » Le christianisme devenu philosophia possède désormais un outil de légitimation et de validation des politiques en matières sexuelles : le corps sera considéré comme mauvais. Ainsi,

[…] il n'y a pas de cohabitation possible entre l'Esprit et la chair ; « Écoutez-moi : marchez sous l'impulsion de l'Esprit et vous n'accomplirez plus ce que la chair désire. Car la chair, en ses désirs, s'oppose à l'Esprit et l'Esprit à la chair ; entre eux, c'est l'antagonisme […]. On les connait les œuvres de la chair : libertinage, impureté, débauche […] leurs, auteurs, je vous en préviens, comme je l'ai déjà dit, n'hériteront pas du Royaume de Dieu. » (Gal., V, 16-21)57.

2.4. Origène

À la suite de Clément, Origène qui observait « […] un ascétisme personnel rigoureux […] se réclamait d'Ammonius Saccas, philosophe néo-platonicien d'Alexandrie […] ([et dont]) beaucoup des traits de la pensée d'Origène viennent du néo-platonisme si vigoureux de cette époque58. » C'est par Grégoire Le Thaumaturge que nous connaissons le contenu et les méthodes d'enseignement d'Origène. Cette méthode aux étapes bien définies contient d'abord une exhortation

55 R.B. Tollinton., Clement of Alexandria, 1, pp. 272-274. « Cité par » P. BROWN. Le renoncement à la chair.

Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, p. 175.

56 Sur l'utilisation du mot philosophia, dans le christianisme, cf. A.-M. MALINGREY, Philosophia. Paris, 1961. Clément d'Alexandrie est l'un des meilleurs témoins de la tradition antique des exercices spirituels : importance du rapport maître-disciple (Strom., 1, 1, 9, 1), valeur de la psychagogie (1, 2, 20, 1), nécessité d'un exercice, d'une chasse de la vérité (1, 2, 21, 1 : « Le vrai se révèle plein de douceur quand on l'a quêté et obtenu à grand travail ») « Cité par » P. HADOT., dans, Exercices spirituels et philosophie antique, p. 71.

57 A. GODEFROY. Les religions, le sexe et nous, p. 24.

à l'importance de la philosophie, étape où l'aptitude et l'autonomie intellectuelle de chacun étaient éprouvées par une maïeutique très socratique. S'ensuivaient l'étude de la logique, de la dialectique et des sciences de la nature. L'éthique constituait l'étape subséquente où se recoupaient à la fois réflexion rationnelle éducation de l'âme, s'ensuivait l'enseignement de la théologie et un examen de la doctrine de Dieu, telle qu'exprimée par les philosophes et les poètes, où celles-ci faisaient l'objet de critiques avant de passer à l'étude approfondie de la Bible59. À la suite à cette formation

rigoureuse, les élèves d'Origène devenaient des portes étendards de haut niveau capables de défendre l'Église chrétienne et d'en promouvoir l'adhésion contre les courants gnostiques. Le Traité

des Principes d'Origène demeure « […] l’œuvre maitresse de toute la théologie chrétienne de

l'Antiquité. […] La doctrine de Dieu qui s'y exprime traduit en langage philosophique les notions scripturaires du Tout-Autre, de l'Éternel du Créateur. La christologie met l'accent sur l'engendrement éternel du Fils par le Père et sur le rôle de médiateur entre Dieu et le monde qui est celui du Fils ou Logos, aussi bien dans la création que dans la révélation60. »

Pour Origène, les créatures se tournent soit vers Dieu soit vers le néant. Le choix du néant les fait chuter vers l'animalité sensible chez l'homme et son corps le tire vers le bas. L'âme peut remonter vers le royaume de l'esprit en s'orientant vers le bien. Dieu lui laisse le libre arbitre et opte pour l'éducation par le Logos dont les philosophes, Moïse et Jésus sont les éducateurs. L'âme de Jésus, lien entre son corps et le Logos, s'est unie au Logos une fois le corps disparu. Les chrétiens sont appelés à suivre cet exemple. La croix est le symbole de la victoire sur les démons pour les croyants qui ne peuvent accéder à la connaissance et qui en restent au stade de la foi. La véritable connaissance telle que l'on aperçut les philosophes s'obtient en se détachant de la matière61. Ce vaste système conçu par Origène, exégète et dogmaticien chevronné, emprunte beaucoup à la gnose et au néo-platonisme, tout en étant pénétré de sève biblique. Il suscite cependant la critique au point où l'évêque Démétrius réunit un synode pour lui ôter son sacerdoce. Origène populaire auprès de ses élèves conservait avec eux des amitiés durables, qui permirent la diffusion étendue de son travail en Orient. On doit à Origène « […] le niveau théologique élevé de beaucoup des dirigeants d'Églises dans l'Orient grec des IIIe et IVe siècles62».

59 Ibid., p. 267-268. 60 Ibid., p. 268.

61 É. TROCMÉ. « Le christianisme des origines au concile de Nicée » dans Histoire des religions II, p. 268-269. 62 Ibid., p. 271.

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