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CHAPITRE 3 : LES ÉGLISES D'OCCIDENT ET D'ORIENT DEVIENNENT UN

4. Vers une organisation politique de l'Église

4.2. Les petites églises grandissent

A la fin du IIe siècle les Églises chrétiennes arborent pignons sur rue. Elles sont devenues capables de participer aux débats intellectuels et occupent une place significative dans la société romaine. L'influence qu'elles ont acquise ne passera pas inaperçue au IIIe siècle. La foi des milieux cultivés de Rome, malgré la fusion des panthéons grecs et romains, demeure une sorte de foi philosophique inspirée du stoïcisme, du néo-platonisme et du pythagorisme. Les cultes à Cybèle de Phrygie, Isis d'Égypte et Mithra de Perse font encore partie d'un culte populaire. Le culte au soleil sera la dernière expression cultuelle associée à la religion gréco-romaine classique. La présence du judaïsme continue également d'intéresser les non-Juifs. Ces religions furent toutes l'objet de faveurs impériales. « Les autorités ne pouvaient négliger […] le renfort que l'appui d'une religion encore vigoureuse était susceptible de leur apporter74 ». Jusque-là, il avait été trop tôt dans l'Empire romain, pour substituer une religion venue d'Orient au polythéisme classique qui agissait comme forme unitive de l'Empire. Face au progrès du christianisme les défenseurs de la religion classique et de la foi philosophique entreprirent de réfuter le christianisme. Formé à la philosophie, Celse publie vers 180 le Discours véritable, où il y effectue une attaque en règle contre le christianisme. Origène lui réplique dans son Contre Celse, au moment où le Discours véritable représente une menace s'il est accueilli favorablement par l'Empereur Philippe. Avec Plotin et Porphyre, la résistance philosophique à la menace chrétienne devint intransigeante. Plotin est le représentant le plus important du néo-platonisme. « Sa philosophie a une forte coloration religieuse et apparut très vite comme l'expression parfaite de la spiritualité des milieux cultivés qui se refusaient à rompre avec la religion classique75. »

74 Ibid., p. 285. 75 Ibid., p. 286-287.

Nous voyons ici se dérouler des conflits d'autorités doctrinales où chacun tente de faire la démonstration de la supériorité de la sienne, où chacune de ces tendances guerroie pour justifier qui sera le grand gagnant. Une dynamique guerrière appliquée à des formes du religieux s'inscrivant dans un cadre physique, matériel et/ou institutionnel adoptant une attitude opposée aux positions spirituelles qu'elle prétend défendre. À cet égard nous évoquions au chapitre premier, la présence Indo-Européenne porteuse d'une dynamique masculine guerrière ayant entrainé l'effacement progressif de la place de la « Grande Déesse ». Ce rappel ouvre sur un autre dualisme du christianisme soit celui de l'immanence et de la transcendance.

La transcendance a été la voie implicitement et explicitement encouragée par le christianisme dans ses normes doctrinales et sa théologie. En ostracisant le corps tout comme l'avait fait la pensée platonicienne avant elle, l'Église en rendant le corps pécheur, en l'associant au Mal, en le privant d'accès à son intériorité immanente, en orientant les individus vers une religiosité qui s'appuie sur des dogmes et des doctrines, les individus se sont coupés de leurs corps, de sa réalité immanente et d'une meilleure connaissance intégrée d'eux-mêmes. En privant le corps de ses vérités et en en distorsionnant le sens, au nom d'une Vérité spirituelle supérieure écrite en concepts et en vérités arrêtées, l'Église a en quelque sorte compromis la nature immanente du corps. L'immanence et la sagesse du corps n'étant pas reconnue, cela a entrainé des effets et des conséquences sur le corps lui-même, telles : des maladies et des déséquilibres psychiques, une spiritualité désincarnée, une méconnaissance du monde intérieur, la prolifération de croyances religieuses limitatives, la dévalorisation de la connaissance de soi par le vécu expérientiel, la survalorisation de la connaissance de l'Homme à l'aide de regards conceptualisés et transformés en vérité objectives vidées d'unité. Cette rationalité réflexive a aussi sacrifié la connaissance de la nature du principe féminin et de son immanence en décourageant son intégration par le principe masculin. Ceci tant pour les femmes et les hommes et leur espace relationnel, souvent empreint d'incompréhensions voire de domination et de soumission. Ainsi dévalorisées et suspectes les expériences spirituelles immanentes furent désavouées d'écoute car non conformes et menaçantes par rapport aux normes de l'Église. Encourageant les fidèles plutôt à la soumission subtile ou grossière aux croyances religieuses, plutôt que d'encourager un parcours et un développement spirituel singulier. Ainsi analphabète de son corps, comme sujet sensible et lieu de spiritualité, de conscience et de

connaissance de lui-même, la personne se vit comme une étrangère à son immanence et sa nature spirituelle intrinsèque.

À la suite de cette réflexion, nous proposons un exemple qui montre un des aspects subtils de la mise en œuvre de la pérennisation du corps absent, normalisée dans l'écriture et la pensée du philosophe néo-platonicien Plotin, dont la philosophie

[…] a une forte coloration religieuse et apparut très vite comme l'expression parfaite de la spiritualité des mieux cultivés qui se refusaient à rompre avec la religion classique. Le monisme optimiste qui caractérise cette pensée l'opposa dès le début au christianisme, surtout sous sa forme gnostique, profondément dualiste. […] En 264, semble-t-il, il publia un traité Contre les gnostiques où il défendait avec force la beauté, l'équilibre et l'éternité du monde sensible, ainsi qu'une morale fondée sur l'acceptation par l'homme de sa place dans la nature et sur la connaissance de l'éthique philosophique classique76.

Il peut facilement sembler que nous soyons en présence d'un auteur (Plotin) et d'une réflexion portée par un esprit mû d'idéaux nobles destinés à façonner un équilibre meilleur du monde. Toutefois, considérant les fondements dualistes de la philosophie classique où le corps et les femmes en sont évacués, fonctionnalisés et subordonnés, il devient suspect de considérer l'écriture de Plotin, comme un atout réel à ce nouvel équilibre du monde sans sourciller de l'absence qu'il pérennise. Suite à cet exemple, nous poursuivons la présentation des changements qui ont conduit les petites églises et la grande Église vers leur maturité. Le déroulement de ces changements donnera lieu à un dualisme conflictuel et doctrinal vécu par l’Église d'Orient et d'Occident, et un dualisme politique qui cherchera soit à purger les chrétiens ou faciliter leurs conditions d'existence. Le fil conducteur de cette construction repose sur un jeu de pouvoir constant entre les politiques internes et doctrinales de l'Église et les politiques des dirigeants de l'Empire.

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