• Aucun résultat trouvé

Les avantages cachés du dualisme et de la séparation du corps et de l’esprit

CHAPITRE 2 : LE DUALISME ET L'AVÈNEMENT DU CHRISTIANISME EN

3. Une contre voix : la présence d'une conception androgyne de Dieu

3.2. Les avantages cachés du dualisme et de la séparation du corps et de l’esprit

Chez les hommes, la pérennité du dualisme par la séparation du corps et de l’esprit comporte des avantages. Premièrement, la fidélité et la complicité avec ce qui leur est le plus semblable : le masculin. Peu ou pas de véritables remises en questions quant à une vision déjà convenue des femmes, de la nature du féminin et la différence. Ce qui permet également de continuer à exercer une autorité qui maintient les femmes dans une position de soumission physique et/ou psychique, où elles doivent s'adapter aux particularismes soumettant de chacun, sans mot dire. À cela, il faut ajouter un sentiment de fierté relégué dans l'Idée d'un héroïsme divin dont l'Homme est le fier dépositaire, s'accomplissant dans une mise en action d'idéaux destinés à confirmer son sentiment de puissance. Ainsi l'absence ou l'évitement de remise en question sur lui-même, rassuré par son héroïsme et sa puissance dominante sur ce qui se trouve à l'extérieur de lui. À cet égard, les femmes, les corps, les enfants, la nature, les éléments seront considérés dans une perspective conquérante qui se traduira jusque dans le langage contemporain. Ainsi dans le champ des sciences de la santé par exemple : il faut se battre, lutter, vaincre la maladie, plutôt que de vivre une maladie, un processus de guérison, en saisir le sens, etc. Le sentiment de liberté et le parcours qui ont animé les hommes inspirés par l'héroïsme, occultant les réalités sensibles et en faisant preuve de déni face aux femmes et au sensible : les choses sont ainsi, tu te fais des idées, etc. En refusant d'autoriser un autre langage que celui de la Raison, et reconnaître uniquement ce qui peut être contrôlé, dominé ou supporté par la Raison toute puissante. Les femmes en cette matière, sauf en se conformant au modèle masculin et en faisant preuve de ruse, ne pouvaient avoir droit au chapitre et exprimer leur nature, n'appartenant pas à la seule race digne, qu'ils soient Hommes d'Église, d'Homme d'État ou Hommes de Sciences ou homme tout court. Cette race aux ayants droit d'utilisateurs actifs d'une sexualité utilitariste, irrespectueuse et abusive à l'égard des femmes et des enfants qui eux, devaient demeurer silencieux. De toute manière, qui les eut entendus et crus ? Puisque le silence des femmes au XXIe siècle demande encore à sortir de l'ombre.

Ce portrait sombre, réel et incomplet est révélateur d'une réalité qui a su se pérenniser à travers des segments intellectuels institutionnalisés, sociétaux et moraux qui le permettaient et qui le validaient. La pérennité du dualisme où l'esprit demeure ignorant du corps sensible a permis de taire certains des bénéfices secondaires dont ont bénéficié les hommes sans qu'ils en soient inquiétés. En s'appuyant sur des idées fort nobles telles la quête de vérité, la vertu et la connaissance du divin. Un divin tout masculin et tout à fait réconfortant à leur image et à leur

ressemblance. Les intellectuels des siècles suivants étudieront les concepts et les préceptes d'une

tradition philosophique et religieuse dualiste, avec la disposition d'un état d'esprit face à une évidence déjà démontrée faisant en sorte qu'aucune remise en question ne semble nécessaire. Il aura fallu vingt-cinq siècles plus tard, la présence du mouvement féministe et que des femmes se lèvent pour que puisse commencer celles-ci.

Dans les débuts du christianisme, nous constatons la présence d'une masse en besoin de réconfort, d'espérance et de religiosité simple, et celle d'une élite religieuse formée à la pensée philosophique. Celle-ci s'affairera à la réflexion théologique et permettra au christianisme de gagner en crédibilité et en assises, plus particulièrement lorsqu'il sera ébranlé ou menacé par des courants gnostiques. Les fondements théologiques du christianisme ne seront pas les seuls à permettre l'ascension et l'institutionnalisation de l'Église, les conditions politiques le seront largement. La force et l'intelligence (le mot intelligence n'étant pas nécessairement vidé de concepts faux et d'ignorance) du dualisme philosophique platonicien et l'Idée qu'il véhicule sur le corps dans les thèses suivantes : « […] le corps n’est pas objet de connaissance ; le corps n’est pas sujet de connaissance ; le corps n’est pas moyen de connaissance50 », montre que Platon et bien d'autres intellectuels à sa suite étaient peu inquiétés du corps et de ses facultés sensibles. Si tel eut été le cas, cette pérennité dualiste platonicienne et ses avantages, symbolisant en autre un possible d'accéder à la vertu et à l'héroïsme divin n'aurait pu se poursuivre.

On le voit encore dans le culte impérial de la première moitié du IIIe siècle, chez l'Empereur romain Aurélien qui se fit « [...] honorer, comme représentant terrestre du Sol invictus et comme deus, titre jusque-là réservé aux souverains décédés, ([arborant]) en public le diadème et la robe étincelante

50 F. GREGORIO. « Le corps de l’Idée. Platon et la médecine antique » dans Le corps, lieu de ce qui nous arrive.

des rois orientaux, associés depuis longtemps aux dieux51 ». Ce syncrétisme associé au culte du soleil et aux cultes réunissant les évocations orientales et occidentales de dieux, dont la conception et la représentation sont différentes à l'intérieur des sectes et des courants religieux présents à cette époque, montre la force de cet attachement à l'héroïsme divin d'ascendance mythologique. Les documents littéraires et numismatiques entre 307 et 310 confirment aussi cet attachement à Hercule chez Constantin au IIIe siècle52, héros vénéré s'il en fut dans la Grèce antique.

Platon dans les habiles détours de sa dialectique affirme qu'il n'existe pas de différence entre les hommes et les femmes, pas plus que […] « chauve et chevelus » […]53 », énonce-t-il. Toutefois, selon Prudence Allen spécialiste de la philosophie grecque, il en est autrement : « […] l’égalité n’est possible qu’à partir du discrédit porté par Platon sur le corps pour se focaliser sur l’esprit ou l’âme54 ». En effet, la position égalitaire de Platon repose sur une « […] érosion ou minorisation des caractéristiques féminines, ([où ladite égalité est]) payée du prix de la mise entre parenthèses de la puissance générative maternelle réduite à un épiphénomène55 ». En d’autres termes pour Platon cette caractéristique accessoire et secondaire de la femme ne la différencie pas de l’homme. Aussi lit-on dans la République cette assertion de Platon : « La nature a donné à la femme aussi bien qu’à l’homme une part dans toutes les fonctions, de manière cependant que la femme est toujours inférieure à l’homme56. » L'infériorité des femmes et leurs fonctions secondaires de reproductrices de lignées, dans cette logique platonicienne poussée aux termes de ses limites conduit à considérer : la reproduction du genre humain comme un phénomène secondaire et sans valeur. Argument fort bien repris au XXe siècle par des scientifiques et des cybernéticiens qui promeuvent la suprématie du corps virtuel57.

L'institution Église fut construite par des hommes appartenant à une époque où la mythologie, la philosophie, la culture, la mentalité et la réalité considéraient la légitimité suprême des femmes comme reproductrices, dispensatrices de services d'hygiène sexuelle ou d'hygiène domestique.

51 É. TROCMÉ. « Le christianisme des origines au concile de Nicée » dans Histoire des Religions II, p. 306. 52 Ibid., p. 339.

53 F. COLLIN, É. PISIER, E. VARIKAS, Les femmes de Platon à Derrida. Anthologie critique, p. 20

54 PR. ALLEN. The Concept of woman. The Aristotelian Revolution, 750 BC - AD 1500, Eden Press, Montréal – London, 1985, « Cité par » Ibid.

55 Ibid. 56 Ibid., p. 26.

Jésus naquit donc dans ce contexte culturel. Pour Trocmé il devient impossible de démêler ce qui dans la tradition pré-évangélique relève des premières spéculations christologiques de l'Église primitive et ce qui remonte au Jésus historique lui-même58. Quoi qu'il en soit, nous verrons les étapes qui ont contribué à l'implantation institutionnelle de l'Église de Rome.

Documents relatifs