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CHAPITRE 3 : LES ÉGLISES D'OCCIDENT ET D'ORIENT DEVIENNENT UN

3. Les derniers théologiens orientaux

Le monopole théologique des orientaux de langue grecque se termine avec Bardesane le Syrien, Hippolyte le Romain et l'Africain Tertullien. Bardesane fut considéré comme un hérétique même s'il combattit Marcion, parce qu’il n'a pas écrit contre le gnosticisme adoptant une position plus modérée, pouvant admettre que certains de ses traits soient même compatibles avec la foi chrétienne.

3.1. Hippolyte de Rome

Hippolyte de Rome, dans le prolongement de Justin Martyr et d'Irénée de Lyon, écrit en grec et sera témoin d'une théologie romaine naissante. Il défend la christologie « […] du Logos contre le « monarchianisme » qui, en confondant, comme la piété populaire le faisait, Dieu et Jésus-Christ, créait des problèmes théologiques insolubles […]63 ». Il rompt avec l'Église de Rome pour devenir évêque d'une église schismatique. Il meurt après avoir été déporté en Sardaigne. Hippolyte est l'auteur de plusieurs ouvrages qui renseignent sur le gnosticisme, et d'autres tendances théologiques chrétiennes qui montrent la complexité de la pensée gnostique mais aussi la lutte qui doit être menée « […] contre le naïf impérialisme de la piété populaire et des ecclésiastiques qui se faisaient les porte-parole de celle-ci64 ». La théologie d'Hyppolyte se perpétuera en Orient, mais sombrera dans l'oubli à Rome, alors que l'Église cessera d'utiliser la langue grecque dès le milieu du IIIe siècle.

La conception élitiste et philosophique de ces Pères de l'Église, tout comme celle de ceux qui possèdent une culture différente de celle de la masse, encline celle-là à se laisser séduire par le sentiment et le discours simple d'un Marcion ou de leaders gnostiques, fera en sorte que l'Église chrétienne soutenue par la « raison théologique » créera une religiosité à deux paliers. Un pallier où l'intellect supplante et domine par une christologie du Logos et l'autre qui appartient à la piété et à la « simple » expérience de la masse. Les réflexions de Hans Jonas sur la « connaissance » éclairent notre propos sur « la raison théologique » et la « simple » expérience de la masse.

63 Ibid., p. 272. 64 Ibid.

S'interrogeant sur la nature même de la connaissance, il livre cette réflexion. Si l'on écarte du mot « connaissance » écrit-il,

[…] les associations trompeuses auxquelles la tradition de la philosophie classique donne à penser. [...] En soi, le terme « connaissance » est purement formel. Il ne spécifie pas ce qui est à connaître ; il ne précise pas non plus la matière psychologie de posséder la connaissance ou les moyens par lesquels on l'acquiert, ni l'importance subjective de cette possession. Quant à savoir de quoi l'on prend connaissance, le lecteur, s'il a fait son apprentissage classique, associe volontiers le terme à des objets rationnels et par conséquent à la raison, organe de l'acquisition et de la possession des connaissances. Dans le contexte de la gnose, le mot « connaissance » prend un sens catégoriquement religieux ou surnaturel ; il renvoie à des objets de foi, […] plutôt que de raison. Or s'il est vrai que, dans l'Église, hérétiques et orthodoxes furent en grand débat sur le rapport de la foi et de la connaissance […], il ne s'agissait pas là de la question que nous connaissons bien de nos jours, celle de la foi et de la raison ; car la « connaissance » des gnostiques, que l'on mettait en contraste louangeur ou réprobateur avec la simple foi chrétienne, n'était pas du type rationnel. La gnôsis était par excellence la connaissance de Dieu. Étant donné […] ([le]) caractère entièrement transcendant de la divinité, il s'ensuit que la « connaissance de Dieu » est connaissance d'un objet inconnaissable par essence […]. Ses objets sont tout ce qui appartient au divin royaume de l'être, à savoir l'ordre et l'histoire des mondes supérieurs, et ce qui doit en procéder, à savoir le salut de l'homme. […] D'une part, elle est étroitement liée à une expérience de révélation, de sorte que la réception de la vérité, par tradition sacrée et secrète ou par illumination intérieure, remplace la théorie et l'argument de la raison (encore que cette assiette extra-rationnelle offre dès lors une certaine latitude à qui veut spéculer librement) ; […]65.

La religion gnostique, cette mosaïque syncrétique, tous courants confondus a représenté une menace réelle pour le christianisme qui l'a combattue avec force. Par ailleurs, nous suggérons que la popularité des courants gnostiques a entre autres reposé sur le fait, que, malgré des contenus dualistes aux spéculations nombreuses présentées par leurs leaders, ces courants permettaient paradoxalement une expérience plus intime du corps. Ceci étant dû à la présence implicite de la résonance de l'arrière-fond mythologique oriental, qui autrefois se laissait entendre par images et symboles. Le sentiment et la vie émotionnelle du corps étant ainsi mis à contribution, ces acquis culturels ancestraux continuant ainsi d'opérer malgré une certaine acculturation grecque.

Dans le gnosticisme la façon de s'extirper du Mal, tenu responsable de la souffrance humaine, repose l'Idée d'un parcours à effectuer sur la voie de la « connaissance ». Il en résultera : soit

l'expérience d'une révélation de la vérité ou une illumination intérieure. Ce parcours ne pourra qu'être intime, personnel et potentiellement disponible à tous. Cette perméabilité à l'expérience pourra donner lieu à des remises en question, des changements et des renouvellements théologiques. C'est ce qui incitera peut-être Irénée de Lyon, à écrire dans « (Contre les hérésies, 1, 18, 1) […] : « chaque jour chacun d'eux invente du nouveau »66 ».

L'Église occidentale cherchera au contraire par ses voies doctrinales à établir et fixer ses fondements théologiques. En découleront une rigidité disciplinaire et des croyances à observer, destinées à obtenir le salut de l'âme. Pour valider ce fonctionnement, l'Église assoit l'autorité de sa doctrine sur des voies théoriques et une argumentation qui produira des commandements et des croyances, autour de rhétoriques telle la vision du corps mauvais et pécheur. Les fidèles se verront dans l'obligation d'adhérer et d'obéir aux systèmes de croyances édifiés par l'Église, s'ils adhèrent à sa raison d'être. Cela se traduira par une attitude plutôt conservatrice et moins revendicatrice à l'égard de ses règles, sans que ne puisse s'opérer un renouvellement participatif et créatif tels que chez les fidèles gnostiques. Le parcours et l'expérience intimes de ces derniers pouvant certes ouvrir sur une extra-rationalité, sans pour autant être menacés de la géhenne éternelle. Ce qui pouvait sans doute décourager l'ardeur créative de bon nombre de chrétiens. Ainsi, les remises en question de l'autorité de l'Église seront rarissimes et pour ainsi dire non tolérées autrement que quand cela servira les fins de l'Église, sans pour autant en modifier ses fondements. Il s'agira en fait d'aménagements de règles d'ordre plutôt cosmétiques. Les fidèles devront conséquemment s'en remettre à son omnipotence spirituelle comme garantie de la vraie foi. La vérité supérieure dictée et fixée par les normes doctrinales de l'Église, cherchent au début du christianisme à éduquer les persécuteurs de la doctrine chrétienne, en tentant de leur faire entendre par la Raison une vérité teintée et empreinte d'héroïsme divin masculin : « Nous rencontrons des hommes de cette espèce dans les Actes de nombreux évêques martyrs du monde grec […] d'aucuns étaient mariés, beaucoup étaient riches, tous en appelaient à l'image de Socrate pour justifier leur attitude héroïque, mais aussi à celle du Christ, […]67 ».

66 Ibid., p. 64.

Convaincre et vaincre par la Raison a produit un terrain spirituel infertile au développement de la vie sacrée du corps de la personne humaine, a maintenu les femmes dans des formes de soumissions multiples, en plus d'encourager une sexualité profane et malsaine.

3.2. Tertullien

Tertullien fut le dernier des théologiens orientaux. Il commence d'abord à Rome une profession de juriste. Formé à la rhétorique et à l'emploi du mot juste, il « […] a été le créateur du latin littéraire chrétien, les versions latines de la Bible […] Il fut aidé dans cette tâche par son excellente connaissance du grec. […] ([Son]) influence sur la pensée chrétienne latine a été décisive68 ». La seconde dimension majeure de son œuvre est la défense de la vraie foi contre les hérétiques. Ses cinq livres Contre Marcion sont la source la plus complète que nous ayons. Il plaide énergiquement en faveur du catholicisme et d'un christianisme rigoriste, où être martyre constitue un aboutissement naturel.

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