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12 L’INSERTION DANS UNE PERSPECTIVE ÉMANCIPATRICE

12.2 Donner les moyens d’appropriation du pouvoir d’agir

12.2.1 Sur son quotidien et son environnement

Dans ses démarches quotidiennes

Permettre l’accès aux ressources passerait tout d’abord par le partage de l’information et d’éléments permettant la compréhension et l’appropriation de démarches et de savoir-faire, cette « acquisition progressive de connaissances pratiques et techniques » étant dans une perspective d’empowerment « essentielle pour passer à l’action » (Ninacs, 1995, p.77).

Pour les animateurs, ce processus passe dans un premier temps par le fait de pouvoir identifier les difficultés avec les jeunes et les éléments sur lesquels il sera nécessaire de les accompagner : « Une grande partie de notre boulot, c’est de déterminer exactement avec les

après on peut faire toute sorte de choses (…) il faut déjà se rendre compte où est le problème » (A2). Comme le souligne Bernatet, permettre que la personne puisse s’engager

pour agir et obtenir ce qu’elle recherche réellement, implique qu’elle « ait une représentation globale de ce qui constitue ses difficultés et que nous-mêmes soyons disposés à coconstruire un changement avec lui » (2010, p. 113).

Ce travail de clarification contribuerait à donner au jeune les moyens de se réapproprier du pouvoir en améliorant également la compréhension de ses difficultés:

« Décomposer les problèmes et leur expliquer, leur montrer les solutions, comment faire et tout ça, dans l’optique qu’ils puissent comprendre les enjeux et les positionnements » (A1).

Une fois les problèmes identifiés, montrer « comment faire » apparaît comme la deuxième étape pour permettre à la personne de retrouver du pouvoir : « Si tu sais que pour régler tel ou

tel problème, il faut telle ou telle chose et pis qu’après tu réunis toi-même les conditions pour les accomplir, tu tiens les choses dans tes mains » (A1). A1 propose l’exemple des

explications qu’elle donne sur les démarches en lien avec l’assurance : « tu vas alors savoir ce

qu’il faut et la prochaine dois que tu veux régler ton truc d’assurance, peut-être que tu vas faire un téléphone pour obtenir un duplicata toi-même. Donc il y a besoin d’un accompagnement au début pour découvrir le paysage mais après, une fois que tu sais faire, tu fais toi-même » (A1).

Selon la conception d’Amartya Sen, pour permettre la liberté réelle de faire des choix, il s’agit « de mettre des ressources à disposition des personnes (formations, informations, matériel, professionnels compétents et disponibles, etc.), mais également de s’assurer qu’elles soient en mesure de convertir ces ressources » (Bonvin, Gobet, Rossini & Widmer, 2012).

Ainsi, la liberté d’agir ce qui est bon pour soi dépendrait d’une part des ressources à disposition mais également des « facteurs de conversion » à la fois individuels et sociaux, de la possibilité d’utiliser ces ressources, aspect sur lequel le travailleur social ou l’institution peut jouer un rôle (ibid.).

Pour terminer, s’assurer de la possibilité de convertir les ressources passe pour les animateurs par le fait, dans un « accompagnement progressif », de se baser toujours sur « du connu » :

« Ca on y est très attentif, on essaie toujours de partir de territoires connus pour qu’ils puissent avancer dans des nouvelles zones d’apprentissages mais de manière sécurisée, tu vois. C’est pas hop dedans puis il devrait être à l’aise tout à coup, mais c’est un pied après l’autre, en étant très attentif à cette sécurité qu’il leur faut » (A1). Ce type de ressources

(soutien dans les étapes), permettrait alors une meilleure acquisition des apprentissages en même temps qu’une reprise de confiance en ses capacités.

Dans son rapport aux institutions

La réappropriation d’un pouvoir sur sa situation passerait aussi selon les animateurs par l’accès à une compréhension plus globale du système dans lequel les jeunes évoluent, ainsi qu’une reprise de pouvoir face aux institutions voire face à d’autres espaces dans lesquels les jeunes apparaissent en position de faiblesse.

De manière globale, cela se rattache à l’idée selon laquelle une « pensée critique » est le « seul point de départ non seulement de la responsabilité mais aussi de la formation d’un sujet libre et autonome, capable de penser par lui-même » (Châtel & Soulet, 2001, p.184).

Cette tendance s’apparente à l’importance du « développement d’une conscience critique comme composante essentielle de l’empowerment » en lien avec les écrits de Paolo Freire sur laquelle insiste la plupart des ouvrages autour de ce concept (Ninacs, 1995, p.78). La « conscientisation », traduction brésilienne d’empowerment qu’utilise Freire, désigne alors « le processus qui permet aux opprimés de prendre conscience de leurs problèmes, de leur condition personnelle », dans leurs dimensions collectives, sociales, voire politiques (ibid.). Dans cette perspective, il serait important de mettre à jour les phénomènes de précarité, ce sur quoi A2 insiste : « J’insiste pas mal sur des éléments de systémique sociale, je pense que les

gens quand ils sont dans une situation de précarité sociale, de pauvreté, ils se rendent bien compte de la manière dont le système les traite et je pense que c’est important que les personnes puissent avoir cette reconnaissance de la situation dans laquelle ils se trouvent »

(A2). Il s’agit d’aller à l’encontre de l’invisibilisation des inégalités structurelles et de naturalisation du social (Plomb 2007, Soulet, 2000, Castra, 2003) et de permettre au contraire au phénomène de la désinsertion d’apparaître « à travers l’expression de catégories collectives d’identifications » (Plomb 2007, p.270).

D’autre part, il s’agit de pouvoir s’approprier son destin et de retrouver du pouvoir face aux institutions, ce qui passerait notamment et selon leurs pratiques par une meilleure compréhension des fonctionnements et des enjeux qui les traversent : « le fait qu’ils soient

engagés avec différentes institutions où ils ont vraiment besoin qu’on les aide à reprendre

leur destin en main … Si c’est l’A.S 34 qui détient les choses pour eux pis qu’ils arrivent pas à

négocier leur situation avec l’A.S, ils ont besoin qu’on leur montre ce qu’ils peuvent.. Quelle est leur marge de manœuvre là-dedans, qu’est ce qui est possible de faire et comment on le fait et ils ont besoin d’un accompagnement pour ça… » (A1).

Dans cette optique, les animateurs accompagnent les jeunes dans leurs difficultés auprès des institutions en étant à leurs côtés, en leur indiquant les manières de débloquer les situations et en les appuyant dans la défense de leurs droits dans ces situations : « la position du travailleur

social avec les jeunes peut osciller entre le « advocacy », la défense des droits et puis le « compliance officer », être garant des règles de l’institution. Et nous, dans la balance (…) on choisit en général plutôt de passer dans advocacy (…) on soutient le jeune, (…) notre choix

va dans la défense des droits »35 (A1).

Ainsi, les animateurs privilégient le déploiement de l’individu et de son pouvoir d’agir, à savoir les logiques existentielles, quitte à ce que cela soit en opposition avec des logiques institutionnelles.

34 L’assistant social

35 En utilisant ces notions d’ « advocacy officer », « compliance officer » dans ce contexte, l’animatrice précise qu’elle fait référence au contenu d’une journée de conférences à laquelle elle a assisté la veille « L’insertion des jeunes vulnérables : l’expérience FORJAD à la lumière des capabilités », Conférence du CESCAP, 9 décembre 2013

L’attitude face aux institutions et la défense des intérêts des jeunes permettent de ne pas considérer l’individu comme un bénéficiaire redevable mais de viser davantage d’égalité dans la relation. Ninacs précise en effet que dans le processus d’empowerment, « la modification de la relation de pouvoir de l’individu avec l’intervenant » et « la modification de la relation de pouvoir de l’individu avec son environnement » sont simultanément visées (1995, p.72). Par ailleurs, le fait de considérer l’autre comme un sujet de droit serait un des éléments essentiels dans l’instauration d’une dynamique du pouvoir d’agir, dynamique qui nécessite comme le précise le même auteur, « un postulat opérationnel qui conçoit les clients et clientes comme sujets actifs et comme des ayant droit plutôt que comme des bénéficiaires… » (ibid., p.71). Ceci intervient par ailleurs dans un contexte local où « l’aide sociale n’est pas fondamentalement considérée comme un droit » comme l’ont montré Ossipow, Lambelet & Csupor (2008, p.186), et où les logiques d’activation se marient globalement mal avec « le droit à l’aide » (Keller, 2005, p.126), (évaluation de la motivation, du mérite, du comportement, de la légitimité de l’aide, surveillance, sanctions, etc..).