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15 L’INSERTION FACE AU CADRE SOCIÉTAL ET INSTITUTIONNEL

15.2 Limites institutionnelles et marges de manœuvre

15.2.1 En lien avec les politiques institutionnelles

A plusieurs reprises, les animateurs font référence aux cadres habituels des MISJAD pour référencer leur positionnement qui souvent, s’en différencie : « La structure des MISJAD,

c’est une structure dans laquelle l’attente, c’est qu’en 4 mois ou 8 mois maximum, le jeune soit mis sur la bonne route, qui est en fait de travailler ou de se former », « On a pu observer

que la plupart des MIS c’est exactement ça, c’est sur le modèle du travail » (A2). « Beaucoup de mesures ont des modules, voilà, il faut avoir fait module A, pis module B, pis C » (A1).

Comme je l’ai déjà évoqué, les marges de manœuvre des professionnels pour maintenir vivantes leurs manières de concevoir et de travailler l’insertion peuvent représenter des « bricolages » qui sont plus ou moins tolérés, voire encouragés par les structures ou à l’inverse, à l’origine de conflits, ou de positions délicates à tenir pour les professionnels (Muniglia, Rothé & Thalineau, 1012, p.108).

Au vu des propos des animateurs, ce que ces différences créent dans la relation avec le SPAS serait double. Pour une part, les animateurs relèvent qu’elles ne vont pas sans créer certaines réactions. Les pressions existent et sont à négocier régulièrement, les animateurs évoquent certains éléments qui « dérangent », notamment l’insuffisance de bilans écrits et de démarches formalisées, un certain flou autour des objectifs de la mesure, le fait qu’il n’y ait pas d’horaires, etc. Pour une autre part, les animateurs font confiance dans les orientations de leur travail et ont globalement le sentiment de pouvoir être entendus lorsqu’ils expliquent le sens de leurs pratiques.

Les travailleurs sociaux qui tentent de sauvegarder la vision de leur travail, notamment la dimension sociale, dans un contexte de contraintes, mobilisent une variété d’actions qui dépendent des pressions des pouvoirs publics en plus des modes d’actions qu’ils ont eux-mêmes (Adjerad & Ballet, 2004, p.66). Dans le cadre de Migr’Action, les pressions sont jugées modérées et les actions consisteraient surtout en des actions d’explicitation. L’institution, sans fléchir sur certaines exigences qui correspondent à des impératifs politiques, laisserait pour l’instant aux animateurs une marge de manœuvre dans leur manière de travailler, le sens pouvant être explicité et s’inscrire dans ce qui est reconnu.

Par ailleurs, le fait de satisfaire aux normes quantitatives du SPAS pourrait être un élément qui limite la pression mise sur la mesure et qui permet le maintien d’une marge de manœuvre sur les moyens utilisés. En effet, les animateurs mentionnent le fait que le SPAS a posé désormais des exigences quantitatives, imposant aux mesures de pouvoir insérer un minimum de « 20% »43 des jeunes. Les animateurs de Migr’Action sont confiants sur le fait de ne pas être « de mauvais élèves »: « On a des résultats qui sont meilleurs que le minimum requis » (A1).

15.2.2 En lien les professionnels de l’aide sociale

Mis à part les contacts plus larges avec le réseau qui entoure les jeunes, les animateurs évoquent le contact fréquent qui a lieu avec les assistants sociaux en charge d’inscrire des jeunes à Migr’Action et de suivre leur dossier à l’aide sociale44.

43 Les mesures doivent parvenir en effet à placer au moins 20% de participants à la MIS dans une place d’apprentissage, de formation professionnelle initiale ou de préapprentissage, selon la convention de collaboration avec le SPAS.

Les animateurs disent apprécier le contact direct et le fait que les assistants sociaux peuvent venir sur place. C’est un élément qui permet aux animateurs d’expliquer « comment ça

fonctionne », ce sur quoi ils peuvent travailler et d’envisager des objectifs d’un commun

accord.

Comme nous l’avons relevé à plusieurs reprises, la définition de l’insertion n’est pas neutre. Elle peut déboucher sur des pratiques divergentes, des visions quant aux moyens qui diffèrent complètement et qui engagent « la subjectivité des acteurs mettant en œuvre l’action publique » (Muniglia, Rothé & Thalineau, 2012, p.108) ce qui évidemment peut se refléter dans les collaborations autour de mêmes situations.

Les éventuels litiges évoqués par les animateurs émergent de situations dans lesquelles les jeunes expriment un malaise face à leur assistant social, disent leurs situations, leurs projets non entendus, ou se voient imposer des choix, des décisions et disent se sentir tiraillés entre ces exigences institutionnelles et leurs aspirations parfois susceptibles de leur valoir des sanctions. Ces situations mettent à mal la liberté de choix et le pouvoir d’agir que valorisent les animateurs dans leur accompagnement.

Dans ces situations, pour les raisons évoquées plus haut, les animateurs optent plutôt pour une posture « d’advocacy », ce qui pourrait être source d’incompréhension ou du moins de réactions de la part de l’institution : « Effectivement dans cette balance, le SPAS nous

demanderait plutôt, quand il y a des problèmes, de passer du côté du compliance officer et nous on choisit de passer dans advocacy plutôt, c’est ça qui les embête ».

Les animateurs privilégient plutôt les logiques existentielles travaillées dans le cadre de la mesure que les logiques institutionnelles (De Gaulejac, 1994, p.231) dans un contexte où en effet, comme relevé par Bonvin, Dif-Pradalier et Rosenstein, dans les situations multi-partites, l’accompagnateur du jeune prend le plus souvent le parti de l’employeur incitant le jeune à « réviser son comportement ou à prendre », plutôt qu’à permettre la négociation à partir des difficultés exprimées (2013, p.70).

S’ils sont interpellés sur cette manière de se positionner, les animateurs ont à cœur de défendre leur travail en expliquant ce qui motive leur posture.

Comme nous l’avons vu dans la théorie, l’écart entre les normes institutionnelles et les pratiques professionnelles peuvent être sources de tensions. Le positionnement adopté par les professionnels peut pourtant atténuer celles-ci « par l’interprétation qu’ils donnent du sens de leurs missions » (Muniglia, Rothé & Thalineau, 2012, p.108).

Dans le cas présent, même si la pression semble relativement faible, on peut imaginer que l’importance du sens qui accompagne leurs pratiques est précisément ce qui leur permet d’accepter de vivre certaines tensions avec l’institution, voire en effet de les atténuer. Dans ce sens-là, il s’agirait de défendre une cohérence et le fait de « porter le projet », semble bien un moteur qui permet de négocier des marges de manœuvre. Dans cette perspective, les animateurs qualifient d’ailleurs leur travail de « travail engagé ».

CONCLUSIONS