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6 DES PROBLÈMES D’INSERTION A LA CONCEPTION DES DISPOSITIFS

6.2 Nouvelles modalités d’insertion

Individualisation des parcours

Tout d’abord, les jeunes expérimentent et vivent désormais leur confrontation au marché de l’emploi et la construction de leur identité socio-professionnelle de manière tout à fait individuelle. Cette expérience individuelle remplace des « formes collectives d’inscription de soi dans l’entreprise productive de la Suisse » (Plomb, 2007, p.247) et accompagne un

affaiblissement général des normes collectives. Plomb parle d’ « individualisation des parcours » et des conduites sous l’angle des carrières professionnelles (ibid., p265).

Puisque les jeunes ne suivent plus les mêmes destins collectifs, ils sont contraints de trouver par eux-mêmes et en eux-mêmes les « ressources pour se construire en lien avec le travail » (ibid). Ainsi, « l’éthique de réalisation de soi (Lalive d’Epinay : 1999), cette idée que chacun

est en mesure de découvrir son propre potentiel de « compétences » à déployer dans le monde du travail, tend à supplanter les anciennes stratégies de classe dans la constitution d’un soi professionnel ou d’une identité professionnelle » (ibid. p.248).

La nécessité d’une constitution et d’une expression de ce « self-concept » (Paul Willis, 1977, cité dans Plomb, 2005, p.14) devient alors sous-jacente au parcours d’insertion qui prend la forme d’une quête identitaire individuelle, d’autant plus que le travail participe pour les jeunes de manière centrale « à la constitution de soi en lien avec l’à-venir » (Plomb, 2005, p.15).

Les termes de « galère » et d’ « expérimentation » sont utilisés respectivement par Galland et Dubet pour décrire ce qui caractérise alors la situation et les parcours de ces jeunes hors circuit (Galland, 1997 et Dubet, 1987, cités dans Plomb 2005, p.268-273) :

 « Galère » pour décrire l’absence de groupe de référence sur lequel ils puissent s’appuyer pour « guider leurs engagements dans le vie professionnelle » (Plomb, 2005, p.269), intégrer et individualiser les épreuves du passage au monde adulte.

 « Expérimentation » pour décrire la conséquence de l’absence de «modèles identificatoires », à savoir la nécessité pour les jeunes de trouver par eux-mêmes le « sens de leur engagement dans une carrière construite autour du travail » (ibid., p.269), ce qui impose l’expérimentation de « différentes offres symboliques jusqu’à trouver une définition d’eux-mêmes à la fois satisfaisante sur le plan de l’estime de soi et crédibles aux yeux des acteurs institutionnels » (Galland, 1997, cité dans Plomb, 2005, p.272).

Dans ce contexte, les jeunes circuleraient entre acteurs institutionnels et extra-institutionnels « selon une logique de précarité », recherchant des « ressources » ou « personnes-providence » pour tenter « de construire un lien avec une vie professionnelle future (…) en attente d’une reconnaissance sociale légitimante » (Plomb, 2005, p.270).

Discontinuité et temporalité

Si les trajectoires non-linéaires étaient marginales dans les années 80, elles sont désormais sensiblement plus nombreuses, comme l’indiquent les quelques études détaillées.12 Il n’y a dès lors plus vraiment de structuration, ni collective, ni linéaire de l’accès à l’emploi et les jeunes sont tenus de se construire dans un processus davantage exposés à différentes ruptures (Adjerad & Ballet, 2004, p.26).

Par ailleurs, de nombreuses études françaises ont montré que les « temps d’insertion » étaient également relativement longs, en particulier chez les jeunes d’origine populaire (Guyennot, 1998, p.208). D’un point de vue général, c’est le temps de passage à la vie adulte qui est

globalement prolongé et Dubar parle en ce sens d’ « allongement, voire de généralisation de l’adolescence » ou de la jeunesse (1994, p. 288) en lien avec l’incertitude du devenir et la difficulté accrue de se définir sur le long terme dans un contexte changeant et auquel il faut sans cesse se réadapter.

Au-delà de sa durée, la temporalité qui caractérise l’expérience de ces jeunes est discontinue et particulière puisqu’elle s’éloigne du rapport au présent et à l’avenir que permet l’inscription dans les institutions traditionnelles notamment de formation, offrant des « trajectoires professionnelles prêtes-à-l’emploi, et un horizon temporel » plus stable (Plomb, 2005, p.212). En effet, le temps en marge de ces institutions est découpé et modulé en temps « pleins » ou « vides » selon les ouvertures ou les obstacles du champ institutionnel, organisant le passage de l’école à la vie professionnelle, au fil des espoirs et aspirations, des échecs, refus ou acceptations en formation, en stage, en emploi (ibid., p.181-182).

Les jeunes doivent davantage mobiliser de ressources personnelles pour faire face à ces contraintes, à ces aléas et au découragement potentiel. De fait, on assiste de plus en plus à ce que Plomb nomme des « bricolages individuels » (ibid, p.211).

Incertitude et insécurité

Face à davantage d’obstacles et d’aléatoire dans les trajectoires, une « incertitude fondamentale » s’empare des jeunes ainsi que des institutions. Plomb parle de « socialisation de l’incertitude » pour décrire l’absence de certitudes qui s’emparent des jeunes générations sur les conséquences de leurs choix en termes d’emploi ou d’ancrage sur le marché du travail (Plomb, 2007, p.248). Cette incertitude fait le lit d’un sentiment d’insécurité face à l’avenir. Par ailleurs, si le travail reste le vecteur principal de l’accès à la vie adulte et à l’activité sociale, cette incertitude, cette précarité concernant l’emploi se répercute sur la construction identitaire des jeunes en lien avec le monde des adultes. Celle-ci est dès lors imprégnée par l’instabilité ambiante et le manque d’assises, de sécurité face à l’avenir.

Désillusion et déceptions

Pour cette génération, « le rétrécissement des possibilités globales offertes par le marché de

l’emploi affecte l’ensemble des individus qui ont fait leurs premiers pas dans l’accès à la vie professionnelle durant les années 90. Cette lucarne historique défavorable se répercutera sur les trajectoires de vie de toutes les cohortes concernées (Chauvel : 1998) et se répercute déjà sur les capacités à se projeter dans l’avenir autour d’une carrière professionnelle possible »

(Plomb, 2005, p.343-344).

Pour les moins bien préparés, l’entrée en usine était auparavant, d’une certaine manière, anticipée et préparée par l’échec scolaire et l’initiation familiale aux dures conditions de travail. Ainsi, le système d’intégration professionnelle prévenait, en quelque sorte, les déceptions individuelles crises, ruptures par des mécanismes collectifs de régulation.

Par la suite, les décalages se sont multipliés entre les aspirations des jeunes et la réalité de leur intégration professionnelle, en lien avec ce que j’ai nommé précédemment, les nouveaux obstacles du marché du travail, les nouveaux modes d’intégration individuels, le contexte

d’instabilité et d’incertitude. Désormais, « les positions espérées au travers des titres

scolaires ont plus de probabilités d’être déçues par la sanction du marché du travail ; la concurrence accrue liée à la réduction des places (apprentissage, emplois, etc.) peut engendrer des frustrations, et l’expérience de la précarité à l’intérieur du monde du travail aboutir à une difficile orientation des investissements professionnels » (ibid., p.188).

Ces espoirs déçus, en plus d’un horizon temporel souvent lointain et incertain, engendrent des mouvements de découragement, de démobilisation, un sentiment d’échec et de dévalorisation personnelle.