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7 PARADOXES DANS LE TRAITEMENT INSTITUTIONNEL DE LA DÉSINSERTION

7.3 Logiques existentielles VS logiques institutionnelles

7.3.1 Catégorisation des publics VS réalité des parcours

Malgré la focalisation sur l’individu dans les dispositifs et les modes d’accompagnement, plusieurs auteurs font le constat que les mesures prennent en compte de manière insuffisante l’individualité des personnes, dans le sens où elles s’adaptent peu aux situations et aux besoins individuels (Duvoux, 2009, Muniglia, Rothé & Thalineau, 2012).

La catégorisation des publics que nous avons décrite dans le chapitre précédent serait souvent inappropriée et trop rigide pour permettre l’adaptation aux besoins réels et aux situations très diverses des usagers à l’intérieur d’un dispositif : « La catégorisation des publics en fonction

de leur plus ou moins grande proximité avec l’emploi se heurte à la réalité des publics effectivement accompagnés qui ne rentrent pas forcément dans ce découpage » et viendrait

dès lors heurter les logiques et pratiques professionnelles (Muniglia, Rothé & Thalineau, 2012, p.106).

De plus, les marges de manœuvre pour se dégager de ce découpage sont restreintes puisque les pouvoirs publics, selon les observations des auteurs, auraient tendance à « resserrer les objectifs des structures selon cette logique de partition » et à les recentrer sur l’objectif de l’emploi dans un contexte de restriction budgétaire et une logique gestionnaire (ibid., p.108). Ainsi, plus la demande de « rentabilité » serait élevée au sein des dispositifs, plus on assisterait à une diminution de la possibilité de prise en compte des personnes à la fois dans leur globalité et dans leur individualité.

contrat (2012, p.103). Pourtant, selon les catégorisations faites à priori, ces jeunes-là ne seront pas nécessairement suivis dans des logiques qui permettraient plus de souplesse et d’adéquation dans l’accompagnement.

Dans ce contexte, le morcellement des types d’accompagnement et des publics tels que catégorisés par les dispositifs dans une logique de « taxinomie sociale » serait lui-même générateur « d’instabilité, de vulnérabilité, voire de rupture dans les parcours d’insertion » (ibid., p.108). Dans cette logique de découpage et d’uniformisation des pratiques en découlant, la majorité des dispositifs risqueraient d’être inadaptés et insuffisamment flexibles pour pouvoir s’adapter à des personnes « en grande fragilité narcissique et sociale » (ibid., p.105) et à un public qui a de fortes chances d’être vulnérable ou vulnérabilisé par le fait-même du processus de désinsertion dans lequel il se trouve.

En fin de compte, le risque est que « face à ces prises en charge rigides, cloisonnées et

fragmentées, les jeunes les plus en difficultés subissent des coups supplémentaires portés par des institutions ne prenant pas en compte leur individualité » (ibid.).

7.3.2 Temporalité des dispositifs VS temporalité des parcours

En parallèle au décalage entre les besoins des publics ciblés par les dispositifs et les besoins réellement rencontrés, se pose le problème de la temporalité des mesures et de leur inadéquation potentielle avec la temporalité réelle de nombreux parcours d’insertion.

Le temps des mesures est limité, malgré les renouvellements possibles, et le cadre d’accompagnement n’est alors pas assez flexible pour permettre de suivre des publics dont le temps d’insertion peut être relativement long, notamment si l’on en croit l’allongement général des parcours d’insertion ainsi que celui du passage à la vie professionnelle, tels que décrits précédemment.

Ce problème est notamment mis en avant par la recherche de Muniglia, Rothé et Thalineau dans laquelle ils relèvent que « la structuration des politiques sociales pour jeunes en

situation de vulnérabilité pose le cadre d’une relation d’aide qui permet plus facilement aux professionnels d’aider les jeunes prompts à s’insérer rapidement et qui en ont la capacité ».

Ainsi, « le manque de réactivité et l’impossibilité de favoriser des suivis longs et rapprochés » auraient pour effet « de rendre encore plus vulnérables des jeunes en situation déjà très délicate » (2012, p.76-77).

7.3.3 Impératifs institutionnels VS besoins existentiels

A l’origine des différents éléments mentionnés dans ce chapitre, on trouve le décalage problématique entre des logiques institutionnelles, homogénéisées, normatives et des logiques existentielles, individuelles et hétérogènes. Cela apparaît comme un des paradoxes au cœur du traitement institutionnel (De Gaulejac, 1994, p.231).

Premièrement, le fait que les logiques institutionnelles soient fondées sur des critères de gestion animant les gestionnaires de ces organismes sociaux serait le point de départ à ce décalage entre logiques institutionnelles et les besoins des usagers. Il s’agit d’évaluer l’efficacité des dispositifs principalement en « termes quantitatifs et statistiques », grâce à des éléments à comptabiliser (dossiers traités, entretiens effectués, stages, allocations, etc.), logique dans laquelle « la gestion des moyens prend le pas sur les finalités ».

Deuxièmement, un décalage viendrait du fait que « la notion d’insertion est définie à partir de critères normatifs » et que « les questions de la socialisation et de l’identité (…) sont traitées principalement à travers le prisme de l’insertion professionnelle et de l’emploi ». En effet,

« sur ces bases, les usagers des institutions font l’objet de politiques, de mesures diverses, de traitements spécialisés confiés à des professionnels chargés d’apporter ainsi des réponses » qui apparaîtraient alors « de plus en plus décalées face à la demande sociale »

(ibid.).

De Gaulejac met en avant ce décalage au travers du vécu des bénéficiaires qu’il a interrogés. Les attentes exprimées par les usagers sont principalement des demandes d’écoute, de considération et de reconnaissance (ibid., p.253) et des attentes en termes de « relation personnelle, de solidarité concrète » (ibid., 241) avec une sensibilité particulière à la relation interpersonnelle avec les professionnels. Pourtant, les réponses reçues, elles, sont plutôt perçues comme « impersonnelles, instrumentales, abstraites et disqualifiantes, et les

bénéficiaires interrogés ne se sentent alors pas reconnus et exister en tant qu’individus exprimant parfois une réticence à faire appel aux institutions d’aide » (ibid.).

La mise en conformité des parcours selon des normes institutionnelles, la suspicion et le contrôle, les exigences inaccessibles tout comme l’ensemble des éléments mentionnés dans ce chapitre contribuent au sentiment de ne pas être pris en compte dans son individualité, sa réalité et sa valeur, ceci à un moment où les individus disent avoir particulièrement besoin de considération et de reconnaissance.

Pour conclure, De Gaulejac parle d’une « double contradiction » :

Une contradiction institutionnelle « qui consiste à affirmer la nécessité pour l’usager d’être

acteur, citoyen, autonome, sujet, c’est-à-dire actif dans le processus de réinsertion, tout en ayant des modalités concrètes de fonctionnement objectivantes, instrumentalisantes, normalisantes, bureaucratiques, qui favorisent la désinsertion, du moins sur les plans relationnels et symboliques ».

A laquelle s’ajoute une contradiction existentielle qui pourrait amener les usagers « à préférer

la déchéance plutôt que la dépendance, la stigmatisation et l’humiliation qu’ils craignent de rencontrer s’ils font appel aux institutions : mieux vaut être sujet dans la désinsertion que s’insérer en perdant sa dignité » (ibid., p.242).