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6 DES PROBLÈMES D’INSERTION A LA CONCEPTION DES DISPOSITIFS

6.4 Conception des modes d’accompagnement

6.4.3 Mettre en conformité des conduites

En parallèle à ce travail d’accompagnement à l’élaboration d’un projet professionnel et d’insertion, il s’agit pour les professionnels d’accompagner et de contribuer à rendre possible sa réalisation, ce pour quoi différents outils et modes d’intervention sont utilisés.

Dans les discours des professionnels collectés par Guyennot, il apparaît que ces derniers font peu état du travail concret de mise en lien des individus avec le monde professionnel mais qu’ils mettent en avant majoritairement leur travail et leur action en lien avec les individus, consistant à mettre en place des stratégies permettant l’ajustement des conduites à la norme sociale.

Comme le souligne alors Zunigo, « dans la mesure où les qualités morales priment dans la sélection des postulants faiblement qualifiés » les dispositifs « visent (…) la réforme de comportements jugés invalidants sur le marché de l’emploi et de la formation ».

Il s’agit de rendre les personnes employables dans le poste ou la formation visés en remédiant aux déficits identifiés. Ce travail s’appuie en partie sur des acquisitions techniques en lien avec la maîtrise d’outils: aides à la stratégie de recherche d’emplois et familiarisation avec les techniques de recherche d’emploi (CV, lettre de motivation), techniques visant à savoir se vendre sur le marché de l’emploi et à accepter les emplois existants. Autonomie et flexibilité restant les maîtres mots de l’accompagnement.

Toutefois, cette mise en conformité, bien qu’insistant sur des savoir-faire, met avant tout l’accent sur les savoir-être, l’idée étant de pouvoir s’adapter au monde du travail globalisé. Les professionnels considèrent les personnes comme plaçables, insérables dès lors qu’ils les jugent aptes « à se conformer à des règles minimales (assiduité au travail, conscience professionnelle, intégration dans le collectif de travail, …) » (ibid., p.146).

Comme l’a analysé Zunigo, les exigences des professionnels en termes de comportements sont alors « fondées sur leur similitude avec celles du monde professionnel. La régularité

figure parmi les premières qualités morales attendues : le respect des horaires est, en effet, une conduite particulièrement classante comme marque d’auto-discipline et de conformité à l’ordre des choses » (2013, p.135).

Selon les professionnels, les mises en situation (stages, etc.) sont ensuite des moyens de tester et de mettre en pratique les compétences, en plus de permettre de juger de la pertinence du projet professionnel du jeune. Par ailleurs, Zunigo observe que lorsque la parole et la négociation, puis l’objectivation des exigences du monde de l’emploi par différents moyens ne suffirait pas à l’acceptation de la réalité, la mise en situation apparaît comme « une sanction de l’expérience » induisant chez les jeunes « une redéfinition de leurs aspirations et de leurs représentations de l’avenir socioprofessionnel probable » (ibid., p.116).

Ce travail que Guyennot qualifie de « mise en conformité » s’appuie sur une forme de

« travail pédagogique » qui vise, selon les professionnels, à « préparer les jeunes » en visant

« l’acquisition de nouveaux modèles comportementaux » (1998, p.147).

Tout au long du suivi d’insertion et en parallèle à la mise en conformité des individus, intervient selon Guyennot un travail de « mise en condition » qui correspond à ce que les professionnels appellent « soutien psychologique » (ibid.).

Ces pratiques visent essentiellement la « redynamisation », la « motivation » des jeunes, « dans l’idée que ce sont des conditions de réussite » du processus d’insertion.

Il s’agirait principalement de «mettre les jeunes face à leurs responsabilités, c’est-à-dire à

accepter les contraintes liées à la recherche d’emploi, ou à l’exercice d’une activité, des règles de vie sociales », un « cadre » (ibid., p.148). Il s’agit alors de mettre en discussion et

d’interpeller les jeunes sur les questions d’horaires, d’absences, et autres éléments de cadre, tâches assimilées à du soutien et de l’aide à visée éducative.

Les professionnels insistent beaucoup, dans ce travail, sur la notion de socialisation13. En lien avec « les imputations causales » de la désinsertion largement attribuées par les professionnels

13 La notion de socialisation dans leur discours est prise au sens « d’adaptation aux conditions d’existence de conformation des individus aux rigueurs du marché de l’emploi » (Guyennot, 1998, p.149).

« aux déficits sociaux et familiaux, les pratiques (…) visent à remédier à ces manques, notamment en instituant des séquences de « découvertes » de l’entreprise, de ses règles, de ses contraintes…» (ibid.). Comme le souligne Zunigo « toute activités se doublent ainsi d’une éducation morale minimale qui prend la forme d’une socialisation à des contraintes ordinaires et d’une sensibilisation aux normes de sociabilité qui ont cours dans la vie quotidienne et professionnelle » (2013, p.134).

Dans les ateliers de rattrapage scolaire ou visant des apprentissages particuliers14, les aspects de socialisation et d’acquisition de savoir-faire sociaux (présentation de soi, communication, expression, etc) apparaissent alors comme tout aussi importants que la transmission des savoirs et savoir-faire (Guyennot, 1998, p.150). Globalement, Guyennot observe en effet que l’accent est davantage mis par les professionnels sur ces savoir-faire sociaux que sur les savoir-faire et connaissances professionnelles.

Les professionnels parlent alors de « compétences sociales » en les faisant apparaître comme prioritaires dans un objectif d’employabilité (ibid., p.152). Si celles-ci prennent le pas sur les autres acquisitions, c’est par ailleurs qu’elles sont considérées comme des compétences transversales nécessaires à l’adaptation à des contextes changeants, dont les personnes seraient démunies (Guyennot, 1998, p.136-137). L’objectif de développer ces « compétences sociales » permet alors de légitimer toutes sortes de pratiques (ateliers de théâtre, artistiques, d’expression, sorties à l’extérieur, etc.) comme le fait remarquer l’auteur.

Pour terminer, pour pouvoir effectuer le travail d’aide à l’insertion décrit ci-dessus, les professionnels insistent sur la « personnalisation des relations » avec leur public, dans les tâches d’accueil, d’orientation et d’accompagnement. (ibid., p.140).

Les qualités d’écoute et de disponibilité, citées comme des compétences requises pour les professionnels, sont valorisées dans le but de favoriser une « proximité sociale », autrement dit une confiance de base (« il faut qu’ils se sentent proches de nous » (ibid., p.141)). C’est à partir de là que les professionnels estiment pouvoir construire le travail pédagogique caractérisé comme l’analyse Guyennot « par des tentatives de mise en forme des pratiques, de mise en conformité et en conditions des individus » (ibid., p.142). La construction de cette relation de confiance telle qu’explicitée correspondrait en somme à ce que Zunigo appelle « la production du consentement » et viserait à « pouvoir instaurer (…) une forme de rapport

pédagogique dont la finalité est l’acceptation des propositions formulées et des démarches à entreprendre » (2013, p.113) et à favoriser la reconnaissance de la légitimité « de la parole et

de l’autorité » du professionnel et son expertise en matière d’emploi et de formation (ibid., p.113-114).

Du point de vue des professionnels, l’origine du problème des jeunes est généralement liée au fait qu’ils n’auraient ni les repères, ni les moyens de faire face à des situations déstabilisantes (non-emploi, absence d’activité), ni les capacités de gérer des situations nouvelles (Guyennot, 1998, p.162). C’est en fin de compte dans cette optique que l’objectif prioritaire serait de permettre aux « populations fragilisées », par un « travail pédagogique (…), d’appréhender le monde social selon des logiques d’actions appropriées » (ibid.).