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16 BILAN DE LA RECHERCHE

16.2 Retour sur la question et les hypothèses de recherche

16.2.2 Hypothèse 2 : Impacts sur les jeunes en insertion

La manière de travailler des animateurs de Migr’Action agit sur les facteurs et les effets de la désinsertion et permet aux jeunes de s’engager dans une dynamique d’insertion.

Au fil de l’analyse, nous avons mis en avant les impacts que le travail de Migr’Action a sur les jeunes. Afin de faire un bilan de cette hypothèse, nous allons relever globalement les impacts que la participation à Migr’Action a, premièrement sur les effets de la désinsertion, deuxièmement sur les facteurs de l’insertion et troisièmement sur les facteurs institutionnels de la désinsertion. Nous allons ensuite évaluer les impacts, dans une dynamique d’insertion, sur la mobilisation.

Action sur les effets de la désinsertion

Si, comme suggéré au fil de l’analyse, les pratiques, notamment relationnelles, ont des impacts sur les effets de la désinsertion, nous allons plus particulièrement mettre en évidence ce que les pratiques transversales et spécifiques de Migr’Action (travail communautaire et travail d’empowerment) permettent comme type d’action.

L’espace de groupe tel que pratiqué à Migr’Action, permet une prise de confiance progressive et a dès lors une action sur l’estime de soi. Dans la même perspective, la démarche d’empowerment donne de la légitimité et de la valeur à la parole des jeunes en donnant valeur à ce qu’ils sont, ceci également par le fait de postuler qu’ils ont intrinsèquement les capacités nécessaires à l’accomplissement de leurs aspirations. Globalement, la promotion des contributions de chacun dans l’espace de groupe renforce l’accès à une meilleure estime de soi et à une plus grande confiance dans les relations, ce qui permet progressivement d’accroître les compétences, de « décupler ses capacités d’initiative et de se sentir plus apte à contrôler sa propre vie » (Témintin, 2007, p.10).

Cette prise de confiance et ce sentiment de légitimité sont eux également favorisés par le sentiment d’appartenance que permet l’inscription dans un espace communautaire. L’espace de groupe permet de plus de lutter « contre l’enlisement dans des situations d’échecs qu’induisent trop souvent le repli sur soi et l’isolement » provoqué par la désinsertion (ibid., p.9).

De plus, la démarche « d’advocacy » qui vise à soutenir la prise de parole et la défense de ses droits, associé à la participation à un espace communautaire permettent d’influencer le sentiment de ne pas peser « sur les cours des choses », de ne pas pouvoir « parler en son nom propre » (Castel, 1995a, p.666) par sentiment d’illégitimité. C’est là le cœur de la démarche d’accroissement du pouvoir d’agir.

L’ensemble de ces pratiques joue un rôle dans le fait de se sentir appartenir à une société de par le mouvement de participation progressive qu’elles appellent. Dans cette même orientation, l’action des animateurs qui consiste à informer sur les droits, à mettre en lumière les phénomènes sociétaux va dans le sens de requalifier « sur le plan civique et politique » (ibid.), même si cette participation et cette reprise de parole s’inscrivent dans un premier temps uniquement au sein de l’espace d’insertion.

Finalement, ces éléments, en permettant la remobilisation, ont un impact sur les sentiments d’inutilité, d’impuissance et d’inexistence sociale qui peuvent être induits par la désinsertion et qui conduisent à la passivité et au silence (De Gaulejac, 1994). Ainsi, cette dynamique visée par la démarche d’empowerment a un impact sur le sentiment de pouvoir sur sa vie et de confiance en ses capacités à agir, éléments que le processus de désinsertion met précisément en échec.

Nous avons vu que ces éléments sont une préoccupation essentielle dans le travail des animateurs et leur action sur ce plan constitue alors un levier puissant pour contrer les effets de la désinsertion. En effet, comme on peut le déduire de mon cadre théorique, le fait de perdre foi en sa capacité à agir sur le monde entraîne des stratégies de « retrait social » (isolement) en plus d’avoir des effets sur « l’estime de soi », sur le sentiment d’appartenance à une société et sur la fragilisation identitaire (Racine, 2007, p.104). Cette action « capabilitante » doublée d’une action dans un cadre communautaire est dès lors particulièrement intéressante pour redynamiser l’ensemble des champs où la désinsertion a des conséquences et où les dynamiques d’insertion sont amenuisées.

Action sur les facteurs de la désinsertion

Si les facteurs d’insertion sont avant tout économiques, sociaux et symboliques, les dimensions de l’insertion sont corrélativement liées à « des revenus, un emploi, des relations, et une reconnaissance symbolique » (De Gaulejac, 1994, p.280).

L’impact sur la dimension symbolique, considérée par plusieurs auteurs comme la dimension clé du processus de désinsertion/insertion, est le plus apparent dans les résultats de l’analyse. En effet, nous avons vu que les pratiques spécifiques mises en évidence ci-dessus induisent des sentiments d’utilité sociale, d’existence, d’appartenance à la société, de légitimité ainsi qu’un sentiment de reconnaissance. Migr’Action permet un espace qui, du fait des pratiques relationnelles d’encouragement, de valorisation, de foi en les capacités, a un impact sur ces dimensions symboliques (sentiment d’exister, d’être reconnu, etc.). Cette dynamique d’insertion qui passe par l’investissement de la relation permet également, comme les jeunes le mettent en avant, de « donner du courage », « se sentir encouragé », « se sentir vivant ». L’action sur ce plan symbolique a un impact sur le plan social et relationnel puisqu’il permet une reprise de confiance dans les relations et dans le lien. En plus du travail global des animateurs visant à renforcer les éventuels réseaux relationnels et familiaux, l’espace communautaire de Migr’Action permet un étayage concret du réseau social et des supports sociaux.

L’impact sur le facteur économique est la dimension qui a été la moins évoquée. Comme nous l’avons dit, il est aléatoire et dépend notamment de facteurs externes. La participation des jeunes à Migr’Action a, pour certains d’entre eux, des impacts sur leurs savoir-faire dans le monde de l’emploi et la prise de confiance sur le plan des démarches, pouvant permettre l’amélioration de leur situation économique. Ceux qui ont trouvé une place d’apprentissage évoquent le rôle central de Migr’Action dans cet accomplissement. Toutefois, l’action sur les facteurs relationnels et symboliques sont bien plus systématiquement mis en avant notamment par le fait qu’ils dépendent de facteurs sur lesquels les animateurs ont plus de pouvoir d’action.

Action sur les facteurs institutionnels de la désinsertion

La vision de l’insertion des animateurs et les pratiques d’ « empowerment » et de travail communautaire apparaissent comme les axes principaux permettant d’agir sur les paradoxes institutionnels évoqués dans mon cadre théorique et pouvant paralyser des dynamiques d’insertion. L’action a alors des effets sur les trois principaux facteurs institutionnels potentiels de la désinsertion :

1. Désindividualiser les problèmes et le traitement de la désinsertion et éviter des mouvements

de dévalorisation et d’invalidation, un sentiment d’échec et de responsabilité individuelle dans un contexte de fragilité identitaire.

La prise en compte, dans le discours auprès des jeunes, des facteurs extérieurs, des éléments environnementaux et sociaux dans les problématiques, l’accès à l’information et à la conscientisation (collective, sociale) sont des éléments qui donnent la possibilité de porter un œil critique sur sa situation et d’éviter des tendances à la psychologisation (Castra), à l’individualisation des problèmes. Autant d’éléments qui, le plus souvent, culpabilisent, dévalorisent et amenuisent les capacités d’action. La dynamique de groupe présente à Migr’Action favorise cette désindividualisation du problème grâce à la prise de conscience collective des problèmes partagés et à la mise en perspective des difficultés dans un contexte global.

Le fait d’avoir des informations qui permettent la mise en lumière des phénomènes structurels des inégalités est aussi une manière d’avoir plus de ressources pour se dégager de l’image négative de soi, ce que mettent en avant les jeunes.

Finalement, le renforcement de capacités déjà présentes chez les acteurs, induit un sentiment d’être à la fois reconnu comme sujet de droit et comme sujet « capable », ce qui va à l’encontre du sentiment d’échec et d’invalidation ressenti lorsque l’ensemble des pratiques sont orientées dans l’idée de requalifier là où il y a déficit.

2. Limiter les écarts entre les attentes institutionnelles (mobilisation et autonomie

individuelle) et la possibilité de les atteindre en l’absence de ressources nécessaires, un des éléments qui amplifie l’invalidation, la dévalorisation, la fragilisation identitaire et le risque d’exclusion.

L’insistance mise sur les informations, l’accompagnement progressif dans les démarches, la conscientisation de ses difficultés et des enjeux faciliteraient la mise à profit des ressources (facteurs de conversion) données aux jeunes afin de leur permettre de cheminer plus armés. L’espace communautaire permet d’accéder à des ressources relationnelles qui permettent des assurances et des appuis supplémentaires.

De plus, les animateurs limitent l’écart entre les attentes et les ressources par une action visant à écarter le poids des attentes et des pressions. Ils travaillent à aider les jeunes à se dégager des prescriptions et des pressions quant à la détermination de leur projet, à l’appréhender de manière flexible. Ils réhabilitent le droit à l’erreur et à s’engager dans des voies qui ne soient

La vision globale de l’insertion favorise une appréhension moins instrumentale et plus affranchie des différentes dimensions, ce que les jeunes ressentent lorsqu'ils expriment la latitude qu’ils sentent avoir dans ce processus. C’est un élément sans doute très déterminant pour se renforcer, éviter les crises et les stratégies de retrait ou de rejet liée à l’impossibilité de satisfaire certaines attentes.

3. Eviter le paradoxe consistant à demander aux jeunes de s’autonomiser dans un contexte de

contrôle et de contraintes (contrat, sanction, cadre pré-établi et exigences d’adhésion, mise en conformité des projets, etc.)

L’empowerment vise précisément à se dégager des logiques de contrôle et de contraintes, y compris lorsqu’elles sont institutionnelles. Cadre et contenu libre, absence de contractualisation, appréhension des comportements et des trajectoires de manière non normative... Autant d’éléments qui permettent d’éviter le sentiment de contrôle et de contrainte sur soi et sur ses choix, ce que les jeunes jugent, comme nous l’avons vu, dévalorisant. Le contexte communautaire amplifie assurément cette dimension, du fait de la relation horizontale entre les participants et de par la liberté d’action et de parole promues par les participants.

Cette dynamique de dégagement des contraintes et des tendances normatives permet également aux jeunes de se sentir véritablement « écoutés », « considérés » et « reconnus », éléments qui risquent plus facilement de passer à la trappe dans certaines logiques institutionnelles imprégnées d’un objectif d’insertion pré-déterminé.

Les moteurs pour s’engager dans une dynamique d’insertion

Si les éléments ci-dessus agissent sur la désinsertion, on peut en déduire qu’ils favorisent corrélativement la dynamique d’insertion. Au fil de mon analyse, j’ai mis en évidence les corrélations entre les impacts évoqués et ressentis par les jeunes et leur engagement dans la dynamique d’insertion.

Nous avons mis en évidence les liens, entre le sentiment de contrôle sur sa vie et la motivation à s’engager dans une action ou un projet (Bernatet, 2005, p.93), l’engagement dans un projet véritablement choisi et la motivation quant aux éventuels efforts à fournir (ibid., p.97), le sentiment d’être entendu et écouté avec « le désir de s’engager » (Bernatet, 2010, p.134), la valorisation et la restauration de l’image de soi comme « source essentielle de motivation » (Bernatet, 2005, p.95, De Gaulejac, 1994), la reconnaissance de ses capacités comme motivation à poursuivre ses efforts (Bernatet, 2005, p.87), l’espace de groupe comme ressource, stimulation et encouragement pour faire face aux difficultés (Témintin, 2007, p.9). L’ensemble de ces éléments apparait à la fois comme source de motivation et de mobilisation de la part des jeunes. Ceci confirme le fait que l’absence de motivation ne doit pas être réduite à une question personnelle mais représente une question sociale. Ainsi, le type d’interactions que la mesure instaure a, comme le montre le résultat de cette analyse, un rôle essentiel dans ces dimensions d’activation qui reposent en grande part sur une dialectique entre le jeune et l’institution.

Au terme de ce développement, on relève que les impacts sont à la fois préventifs dans la mesure où ils agissent sur les effets de la désinsertion et actifs, dans le sens d’avoir un effet sur des éléments qui amenuisent la dynamique d’insertion.

Si l’action sur les facteurs économiques de l’insertion reste plus aléatoire, on peut dire que l’action des professionnels ouvre des conditions favorables à l’insertion et permet des préalables propices à une insertion, également professionnelle. Il s’agit là de ce qui peut, dans la relation d’aide, contribuer à renverser les effets potentiellement nuisibles du regard et du traitement sociétal et institutionnel de la désinsertion.

On peut dire finalement que Migr’Action est une sorte de laboratoire, un espace qui offre une action sur la dynamique désinsertion/insertion ainsi que des expérimentations qui, de manière progressive, ont un impact plus global sur l’insertion au sein de la société.

17 RÉFLEXION GLOBALE SUR LA PORTÉE D’UNE