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17 RÉFLEXION GLOBALE SUR LA PORTÉE D’UNE PRATIQUE

17.3 Dans le contexte du travail social

Dans le champ de l’insertion, les valeurs et les fondements du travail social semblent, notamment dans les politiques institutionnelles, de plus en plus absorbées par les pressions économiques qui visent la rentabilité des mesures, assortie à un travail de contrôle et de normalisation des parcours et des conduites.

Dans le domaine de l’insertion et au sein des mesures, les professionnels ne sont pas forcément des travailleurs sociaux et la tendance est à la valorisation d’autres compétences ou de pratiques professionnelle davantage orientées vers le champ de l’emploi.

Pourtant, on le voit au travers de la mesure Migr’Action, le travail social a non seulement toute sa place, son sens et sa légitimité dans ce champ d’activité, mais le travail d’insertion tel qu’il y est conçu ramène aux fondamentaux du travail social, soit le travail sur le lien et la relation associé à sa dimension émancipatrice et d’action sur l’environnement social voire sociétal à l’origine des problématiques.

17.3.1 Des fondements du travail social réhabilités

Comme le souligne Bernatet dans le titre de son ouvrage, « l’insertion est une relation » (2010). Le travail des animateurs de Migr’Action s’inscrit pleinement comme un travail sur le lien et fait bien apparaître à quel point la relation d’aide peut être « un extraordinaire levier d’insertion sociale et professionnelle » durable (Bernatet, 2010, p.62). Cette relation se nourrit « des compétences situées dans le rétablissement du lien social » (ibid., p.90), centrales dans le travail social.

Il s’agit de travailler les liens pour travailler l’insertion et non de travailler l’insertion pour agir sur le social. Si le travail d’insertion conjugue travail sur la socialisation, sur le lien social et la cohésion sociale (Cholet, 2000, p.50), nous sommes bien au cœur du travail social et, dans cette perspective, le travail communautaire prend également tout son sens.

Remettre la relation au centre implique, et les jeunes nous y rendent attentifs, de se distancer des cadres et des contenus pré-établis puisque potentiellement peu en phase avec les réels besoins des bénéficiaires.

Miser sur la relation pourrait aussi signifier se dégager des logiques contractuelles qui, le plus souvent associées à des logiques d’évaluation du comportement, de l’aptitude, de l’effort (du mérite) des bénéficiaires, voire à des sanctions, « prennent au dépourvu la culture axée sur la confiance et l’empathie » (Keller, 2005, p.144).

Par leurs pratiques, les animateurs rappellent que l’on peut faire confiance à « la relation » qui, dans sa dimension de valorisation attentive et de reconnaissance de l’autre est plus mobilisatrice que tout contrat ou toute injonction.

Le relationnel n’y est par ailleurs pas travaillé sur un « mode éducatif » mais sur le « mode discursif », dans une tendance émancipatrice. Par cette approche de l’empowerment, les pratiques de Migr’Action, remettent en cause une certaine position du travailleur social, en position haute, expert et détenteur de solutions. Comme le préconise Autès face à la disqualification du travail social, ils contribuent à retisser un sens au travail social, avec en tête « les idéaux démocratiques de promotion, d’auto-organisation et d’émancipation » (1998, p.75) et une réflexion plus globale sur les rapports sociaux qui génèrent de l’exclusion.

En ce sens, leur pratique conjointe sur les individus et sur l’environnement social (dans le sens également de la promotion d’un changement social), réconcilie les deux dimensions du travail social, ceci malgré les limites d’une action sur le contexte économique à l’origine des situations de désinsertion.

Le fait de prôner à chaque étape, la conscientisation, l’auto-détermination, la confiance dans les individus et dans leurs moyens d’action, inscrit en effet leur travail dans un projet de promotion et d’émancipation des individus sur les plans tant individuels que collectifs.

Si généralement, les pratiques d’insertion ne cherchent pas à modifier la réalité mais à s’y plier (ibid.), le travail à Migr’Action montre alors qu’il est possible d’être porteur d’un projet de changement social, tout en travaillant à l’insertion.

17.3.2 Vers un travail social engagé

Par un travail engagé et sans compromission sur le sens, les animateurs montrent qu’il est possible de conjuguer les paradoxes et les tensions évoqués dans mon cadre théorique. Plutôt que de vouloir à tous prix rendre certaines logiques compatibles, ils cherchent à défendre la primauté de certaines valeurs au cœur de leur activité.

Il n’en reste pas moins que de travailler avec des pratiques qui s’éloignent des injonctions d’efficacité objectivable et de rentabilité à court terme est un réel défi.

La tendance évoquée à évaluer les dispositifs en termes quantitatifs et statistiques est une des tendances au cœur des paradoxes institutionnels opposant logiques existentielles et institutionnelles (De Gaulejac, 1994). Par ailleurs, cela participe au déni des aspects structurels à l’origine de certaines problématiques et renforce le postulat selon lequel l’insertion repose avant tout sur la responsabilité individuelle.

Dans ce contexte il est plus que jamais nécessaire de remettre en valeur le rôle du travail social dans le champ de l’insertion et de viser une réelle émancipation individuelle et des dynamiques de liens qui puissent prévenir les effets de la désintégration du lien social favorisée par les approches individualisantes.

Ce qui permet de dégager un espace de liberté et d’affronter les difficultés que cela implique tient sans doute pour une part au fait d’être renforcé par des convictions et un engagement personnel fort. Etre garant de certains principes humanistes, d’un accompagnement respectueux de l’itinéraire des personnes et de leur singularité, croire en leur possibilité, penser la relation au cœur du travail social, appelle un travail engagé de la part des travailleurs sociaux.