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Une quote-part des contributions obligatoires des États parties à la Cour

Les insuffisances du Fonds au profit des victimes

I- L’origine des ressources du Fonds

1) Une quote-part des contributions obligatoires des États parties à la Cour

Nous recommandons que la Cour elle-même puisse financer le Fonds, à travers une quote part de la contribution des États parties. L’hypothèse a été soulevée à plusieurs reprises, notamment au Séminaire de Paris en 1999 : « En ce qui concerne le Fonds au profit des victimes, il conviendrait d’envisager qu’une proportion des contributions obligatoires des États à la Cour soit destinée à ce fonds »165. La France

en particulier la soutient à au moins deux reprises, en 1999 au sein du Groupe de travail sur le RPP, et en 2000 au sein du Groupe de travail sur le Règlement financier et les règles de gestion financière : « (X) % de la contribution annuelle des États Parties au budget de la Cour sont versés chaque année au Fonds créé en application de l’article 79, paragraphe 1 »166 ; « Chaque année, l’Assemblée des États parties

attribue un pourcentage des ressources financières de la Cour au fonds au profit des victimes visé à l’article 79 du Statut »167. L’objection classique à ce genre de

proposition consiste à brandir l’indépendance : le principe même de tout fonds, celui

164 Keller supra note 38 à la p. 203, note 70.

165 Doc. PCNICC/1999/WGRPE/INF/2 (6 juillet 1999), recommandation D. 166 Doc. PCNICC/1999/WGRPE(7)/DP.1 (19 novembre 1999), règle 7.3.

167 Doc. PCNICC/2000/WGFIRR/DP.24 (28 novembre 2000). C’est aussi la conclusion du colloque de

Montréal du 28 janvier 2006 : « the participants recommended that 5% of a nation's budget for the ICC should be earmarked for victim services, specifically the Victim Participation and Reparation Unit and the Victim Witness Protection Unit. In addition, given the large number of victims affected by these crimes, an amount equal to 10% of the country's contribution to the ICC should be donated to the TFV » (Wemmers, supra note 68 à la p. 38).

de la CPI comme tout autre, est l’auto-suffisance. Il doit pouvoir jouir d’un budget propre et distinct, sans dépendre des aléas des activités de la Cour168.

On peut répondre qu’en l’espèce ce n’est déjà pas le cas : le budget du Fonds dépend des activités de la Cour (produit des réparations, des amendes et biens confisqués) et nous verrons bientôt que sa seule portion qui semble propre et distincte (les contributions volontaires) reste dépendante de la Cour en ce qui concerne son utilisation. L’indépendance du Fonds est une fiction. On ne doit pas se priver d’une ressource non négligeable, qui augmenterait sensiblement le budget du Fonds, au nom d’un principe illusoire qui n’est déjà pas respecté. Le problème est plutôt que la Cour est pauvre. Les tribunaux ad hoc, qui sont des organes subsidiaires du CS, sont financés par le budget de l’ONU et par des contributions volontaires, tandis que la Cour est financée par les États parties. Le seul cas dans lequel elle peut recevoir de l’argent de l’ONU est pour couvrir les dépenses liées à une saisine par le CS (en vertu de l’art. 13(b)). Par conséquent, les tribunaux ad hoc jouissent d’un financement à la fois plus important et plus stable que la CPI – ce qui peut sembler paradoxal étant donné qu’ils ne disposent pas du coûteux régime de réparation de la Cour. En d’autres termes, la Cour doit faire mieux avec moins. Si donc on souhaite qu’une quote part de la contribution annuelle des États parties aille au Fonds, il ne faudrait pas que cela se fasse au détriment de la Cour, il faudrait que les États parties réajustent leur contribution en conséquence, ce qui revient à leur demander d’augmenter leur participation au budget de la Cour, afin de pouvoir en reverser une partie au Fonds.

Cette solution est d’autant plus souhaitable qu’il y a aujourd’hui un déséquilibre frappant entre les moyens mis à disposition de la Cour pour arrêter quelques criminels et ceux dont dispose le Fonds pour réparer les souffrances de très nombreuses victimes. La contribution annuelle des États au budget de la Cour s’élève à environ 230 millions d’euros quand le Fonds dispose à l’heure actuelle de 2,3 millions d’euros, soit exactement cent fois moins169. Cette situation témoigne que

nous sommes bien, avec la CPI, dans une logique pénale où l’essentiel reste la détermination de la culpabilité – le sort des victimes étant pris en compte, certes, davantage même que dans les tribunaux précédents, mais au second plan toujours. Ce déséquilibre est d’autant plus indécent lorsque l’on connaît les frais de

168 Voir par exemple Ingadottir, supra note 162 à la p. 159.

fonctionnement de la Cour et du Fonds, et en particulier les salaires très confortables des fonctionnaires internationaux. Cela se fait-il au détriment des victimes ? Oui, d’une certaine manière, si l’on considère d’une manière générale qu’un certain nombre de frais superflus et luxueux pourraient être économisés et réinvestis dans la réparation des victimes. Non, dans le cas particulier du Fonds, puisque ses frais de fonctionnement (par exemple une vidéoconférence à 13 000 € de l’heure170 et une réunion à 52 720 €171) ne sont pas prélevés sur le Fonds lui-même, lequel reste « au profit des victimes », mais sur le budget ordinaire de la Cour172. Par ailleurs, les membres du Conseil de direction ne sont pas rémunérés : ils « siègent à titre personnel et gracieux » (règle 16 RF).

Il y a alors deux attitudes possibles. La première, réformiste, consiste à accepter ce parti pris en faveur de la détermination de la culpabilité et à tenter, sans le remettre en cause, d’améliorer la situation des victimes en faisant avec ce que l’on a, tout en demandant davantage lorsque c’est possible. La seconde, radicale, consiste à s’indigner de ce parti pris, souhaiter que les États augmentent considérablement leur contribution à la Cour afin qu’une quote-part soit directement reversée au Fonds, en visant peut-être un équilibre entre la détermination de la culpabilité et la réparation aux victimes, voire même une priorité donnée aux victimes puisqu’elles sont beaucoup plus nombreuses que leurs bourreaux.

Disons-le tout net : cette seconde attitude n’est pas seulement radicale, elle est abolitionniste puisqu’elle revient, dans les faits, à arracher la réparation aux victimes de la CPI, au sein de laquelle elle ne pourra jamais atteindre les objectifs visés. Afin de se convaincre que les États parties ne sont pas du tout prêts à faire le moindre effort pour aller dans ce sens, il suffit de rappeler que l’AEP refuse toujours l’augmentation reflétant l’inflation que le Comité du budget et des finances lui demande depuis deux ans173. Si les États refusent la moindre augmentation, même

celle reflétant l’inflation, il serait naïf de croire qu’ils peuvent décupler leur contribution afin de donner au Fonds les moyens dont il a besoin. Non seulement ils sont insusceptibles d’augmenter leur contribution, mais encore faudrait-il déjà qu’ils la paient intégralement : le niveau de contributions dues acquittées dans les temps

170 Doc. ICC-ASP/3/14/Rev.1 (26 août 2004), p. 27. 171 Doc. ICC-ASP/5/8 (21 août 2006), p. 12. 172 Rés. ICC-ASP/4/Res.3 (3 décembre 2005). 173 Voir Doc. ICC-ASP/6/2 (29 mai 2007), §21.

s’est amélioré en 2007, passant de 44% à 62%, mais il reste préoccupant. Le 24 avril 2007, seuls 31 États parties sur 104 avaient payé intégralement leur contribution annuelle, ce qui laisse un exercice impayé de 39,7 millions d’euros174. Dans ces conditions, qui témoignent de la réticence des États à payer ce qu’ils doivent déjà, on ne doit pas espérer d’augmentations radicales des contributions. Par conséquent, les partisans de la seconde attitude, les radicaux qui souhaitent accorder aux victimes un poids au moins égal aux coupables, n’ont pas d’autre choix que d’arracher la réparation de la CPI, puisqu’en son sein elle restera toujours, par définition, une question de second rang. C’est la question de savoir s’il faut donner au Fonds plutôt qu’à la Cour le rôle principal dans les réparations, ou même s’il faut souhaiter le contournement du régime de réparation de la CPI par la création de fonds ad hoc, que nous examinerons à la fin de ce chapitre. Il faut pour discuter ces hypothèses en connaissance de cause terminer d’exposer les caractéristiques du Fonds.