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Le produit des amendes ou les biens confisqués

Les insuffisances du Fonds au profit des victimes

I- L’origine des ressources du Fonds

1) Le produit des amendes ou les biens confisqués

La deuxième source de financement identifiée par la règle 21 du RF correspond à l’art. 79(2) du Statut et dépend donc d’une décision de la Cour qui « peut ordonner que le produit des amendes et tout autre bien confisqué soient versés au fonds ». Si la Chambre le demande, « le Conseil de direction soumet des observations écrites ou orales sur le transfert » (règle 31 RF et règle 148 RPP) mais, et c’est important de le comprendre, il ne peut pas disposer de ces fonds comme il l’entend : il est obligé dans ce cas d’appliquer les consignes de la Cour, car seule la Présidence de la Cour, après consultation des représentants du Fonds et autres personnes concernées, peut se prononcer « sur toutes les questions concernant la liquidation ou l’affectation des biens ou avoirs réalisés en exécution d’une décision de la Cour » (règle 221 RPP). Le Fonds, en somme, fonctionne ici comme un intermédiaire de la Cour, chargé d’appliquer ses décisions. Cela ne signifie pas, toutefois, que le Conseil de direction ne bénéficie d’aucune marge de manœuvre : lorsque les ressources transférées sont clairement insuffisantes pour répondre aux besoins des bénéficiaires désignés, il peut notamment décider au cas par cas d’y ajouter des fonds complémentaires, issus des contributions volontaires.

Cette source de financement est particulièrement incertaine et présente au moins trois inconvénients : les fonds en question sont difficiles à saisir, généralement insuffisants lorsque saisis, et ils risquent également d’être utilisés lors du procès par la personne reconnue coupable.

Premièrement, donc, cette source dépend entièrement de la capacité de la Cour à retracer et geler des fonds. Or, c’est bien connu, il s’agit d’une procédure longue et coûteuse, dont les résultats sont très contingents. Les fonds peuvent être disséminés dans plusieurs États, lesquels peuvent se montrer réticents à coopérer. L’accusé peut avoir senti le vent venir et avoir dissimulé ses biens en conséquence. Ce que montre l’expérience des tribunaux ad hoc est que la plupart des accusés établissent qu’ils n’ont pas les moyens de se défendre eux-mêmes. Ils sont donc représentés par un conseiller financé par le tribunal, ils bénéficient d’une aide judiciaire et plaident l’insolvabilité. Bien entendu, cela ne signifie pas qu’ils soient tous réellement insolvables (même si beaucoup le sont) : certains criminels ont accumulé de fortes

richesses lorsqu’ils étaient au pouvoir. Mais ils ont aussi développé leurs efforts et leurs talents pour dissimuler ces fonds et brouiller les pistes. Les biens en questions peuvent également être en la possession de quelqu’un d’autre – auquel cas la Cour conserve la capacité de les saisir à condition que l’accusé en soit le véritable propriétaire, mais cette procédure est longue puisqu’il faut prouver que les fonds détenus par une tierce personne sont bien ceux de l’accusé. On peut aussi envisager la concurrence d’autres poursuites : la Cour pourrait n’être pas la seule à tenter de localiser et saisir les fonds de l’accusé. Si celui-ci est une personnalité importante d’un gouvernement corrompu et déchu, par exemple, il fera probablement l’objet de poursuites nationales. Cette concurrence pourrait compliquer la saisie des fonds par la Cour. Bref, pour de nombreuses raisons, la saisie des fonds est une opération difficile et laborieuse, dont l’issue est très incertaine. Schabas, d’ailleurs, n’y croit pas : « It may simply be unrealistic to expect the new Court to be able to locate and seize substantial assets of its prisoners »153.

Deuxièmement, l’expérience du TPIY par exemple montre que les fonds que l’on parvient à saisir sont généralement rares et insuffisants, avec des amendes de l’ordre de quelques milliers de dollars seulement. Dans le cadre de la CPI, les amendes sont d’ailleurs limitées : « [e]n aucun cas ce montant ne peut au total dépasser les trois quarts de la valeur des avoirs identifiables, liquides ou réalisables et des biens de la personne condamnée, déduction faite d’un montant suffisant pour répondre à ses besoins financiers et à ceux des personnes à sa charge » (règle 146(2)). Tous les observateurs s’accordent pour dire que les fonds saisis ne suffiront pas. Ils pourront au mieux compléter le budget, mais mieux vaut ne pas compter sur eux pour le constituer. Henzelin et al. considèrent d’ailleurs qu’à eux seuls ils ne permettraient qu’une réparation symbolique154. L’équation est simple, en effet : un très grand nombre de demandes + peu de ressources = des montants de réparation très faibles, voire symboliques – si l’on persiste à les attribuer individuellement (d’où la nécessité de penser collectivement, comme nous l’avons établi dans la seconde section du premier chapitre). Jorda et Hemptinne, quant à eux, suggèrent le vote relativement

153 William A. Schabas, An Introduction to the ICC, Second Edition, Cambridge, Cambridge

University Press, 2004, p. 175.

mystérieux d’un budget spécifique155. Reste à savoir d’où viendrait le budget en question. De l’AEP ?

L’insuffisance des fonds saisis témoigne aussi des limites de la comparaison, assez courante, entre le régime de réparation de la Cour et celui des programmes nationaux et internationaux, dont la UNCC. Ferstman, par exemple, a tendance à exagérer l’impact des amendes et biens confisqués en se basant sur l’expérience très différente (et incomparable) de la UNCC : « In those instances where it is possible to seize assets and such assets are transferred to the Trust Fund, this will have a tremendous impact on the income of the Fund. One need only think of the Iraqi oil wells that funded the UN Compensation Commission or the seized bank accounts that funded the Iran-US Claims Tribunal ». La comparaison est fallacieuse pour au moins deux raisons. La première, que reconnaît aussitôt Ferstman, est dans l’attribution : « such assets will most likely be attributed to special classes of beneficiaries, at least in large part, as opposed to the Trust Fund as a whole, e.g., the assets of a given perpetrator will be attributed to the victims of acts for which the perpetrator is responsible »156. On pourrait aller plus loin : dans quelle mesure un coupable pourrait-il financer des réparations à des victimes qui ne sont pas les siennes ? Directement, ce n’est pas possible puisque l’ordonnance de réparation émise contre une personne condamnée ne peut bénéficier qu’aux victimes de celle-ci – même si l’article 75(2) reste vague en parlant de ce « qu’il convient d’accorder aux victimes » et non pas à ses victimes. Mais indirectement, par l’intermédiaire du Fonds, c’est ce qui se passe puisque la procédure n’est pas individualisée : la réparation éventuellement octroyée par le Fonds a une origine indéterminée, puisque le Fonds a lui-même plusieurs sources de financements, elle peut donc provenir en tout ou partie des amendes d’un coupable qui n’est pas celui dont les victimes bénéficiaires sont victimes. Cela signifie aussi que, si le produit des amendes excède les dépenses en réparations, le Fonds reçoit plus qu’il ne perd, le produit des amendes peut alors constituer une ressource importante, et les amendes éventuelles d’un coupable richissime pourraient occasionnellement renflouer le Fonds. La seconde raison, qui est encore plus importante, est que dans le cas de la UNCC la responsabilité étatique s’applique (résolution 687), ce qui change beaucoup de choses, notamment en terme

155 Jorda et Hemptinne, supra note 58 à la p. 1415.

156 Carla Ferstman, « The International Criminal Court’s Trust Fund for Victims: Challenges and

de budget, et c’est la raison pour laquelle nous défendons l’introduction de la responsabilité étatique dans le régime de réparation de la CPI.