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Autres formes : satisfaction et garantie de non-répétition

II- La nature de la réparation : donner la priorité à la réparation collective

1) Autres formes : satisfaction et garantie de non-répétition

L’art. 75 du Statut ne cite que les trois formes susdites de réparation mais, comme nous l’avons établi, cette liste n’est pas exhaustive et il existe d’autres formes dont il faut dire maintenant quelques mots, à la fois pour les présenter et pour examiner si elles seraient adaptées au fonctionnement de la CPI. C’est aussi faire le lien entre deux des thèses que nous soutenons ici, à savoir qu’il faut introduire la responsabilité étatique dans le régime de réparation de la CPI, comme nous l’avons vu, et qu’il faut également donner la priorité à la réparation collective, comme nous allons le voir. Car les deux formes de réparation qu’il faut maintenant examiner, la satisfaction et la non-répétition, sont issues du droit de la responsabilité étatique et, contrairement aux trois formes présentes dans le Statut qui ont le tort d’être davantage tournées vers l’individu (même si la réhabilitation a une indéniable dimension collective), elles sont résolument tournées vers le groupe. Amenées par l’introduction de la responsabilité étatique que nous souhaitions tout à l’heure, et

amenant avec elles la dimension collective dont nous avons besoin maintenant, ces autres formes de réparation jouent un rôle charnière dans le raisonnement.

Le Handbook on Justice for Victims, dont le but est d’éclairer l’application de la Déclaration de 1985, en donne trois exemples : l’excuse, la commémoration (par un événement, un monument, un nom donné à un lieu) et l’accès à une sécurité sociale70. La troisième forme pourrait relever de l’indemnisation (couverture des frais médicaux, psychologiques, sociaux) ou même de la réhabilitation (accès à de tels services). Les deux premières appartiennent à l’une des formes retenues par les Principes de 2005 : la satisfaction (§22), qui est la troisième des formes de réparation considérées par les Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (2001), avec la restitution et l’indemnisation. C’est une forme subsidiaire auquel on a recours « dans la mesure où [le préjudice causé] ne peut pas être réparé par la restitution ou l’indemnisation ». Elle peut alors consister « en une reconnaissance de la violation, une expression de regrets, des excuses formelles ou toute autre modalité appropriée » (art. 37), comme une commémoration par exemple. Les Principes ajoutent une autre forme de réparation qui ne se trouve pas dans l’art. 75 du Statut : la garantie de non-répétition (§23), qui consiste en un certain nombre de mesures préventives (indépendance du pouvoir judiciaire, enseignement des droits de l’homme, protection des défenseurs des droits de l’homme, prévention des conflits sociaux, etc.).

Ces formes ne figurent pas dans le Statut car elles semblent impliquer la responsabilité étatique que celui-ci cherche précisément à éviter. Mais, en défendant l’introduction de la responsabilité étatique dans le régime de réparation de la CPI, nous les incluons de plein droit. Par ailleurs, même en l’état actuel du Statut, ces deux formes de réparation pourraient être en partie appliquées. Il y a dans les énumérations des §§22 et 23 des Principes certaines mesures qui n’engagent pas forcément la responsabilité étatique et qui pourraient donc être appliquées par la Cour ou des organes subsidiaires sous son contrôle effectif. La divulgation complète et publique de la vérité (22(b)), par exemple, peut reposer sur des médias indépendants de l’État territorial, la recherche des personnes disparues et l’identification des victimes (22(c)) peuvent être effectuées par la Cour, même si la coopération de l’État lui faciliterait la

70 UN Office for Drug Control and Crime Prevention (ODCCP), Handbook on Justice for Victims. On the use and application of the Declaration of Basic Principles of Justice for Victims of Crime and Abuse of Power, New York, 1999, p. 43.

tâche. L’enseignement du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, qui devrait mentionner les violations constatées (22(h)) ne se limite pas aux établissements publics contrôlés par l’État : l’ONU a des programmes d’éducation aux droits de l’homme, les ONG tentent sur le terrain d’informer la population des droits dont elle dispose, et les médias (internet en premier lieu là où c’est possible) peuvent enrichir le matériel d’enseignement de manière plurielle. Les seuls éléments de la satisfaction qui relèvent de la responsabilité étatique, au fond, sont les déclarations officielles, les décisions de justice interne, les excuses publiques, les sanctions judiciaires et administratives ainsi que les commémorations. Tout cela, on ne peut pas le faire à la place de l’État. On peut certes le faire en partie de l’extérieur – la communauté internationale peut condamner, le jeu diplomatique peut sanctionner –, mais tout l’intérêt de la satisfaction est d’obtenir ce comportement de l’intérieur, de la part de l’État visé, qui est considéré comme responsable des exactions.

Même observation pour les garanties de non-répétition : la plupart des mesures du §23 relèvent de la compétence de l’État et il n’est pas possible de contrôler les forces armées, renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire et protéger certaines professions à sa place. Néanmoins, des ONG peuvent veiller au respect de la liberté de la presse, observer si les avocats peuvent travailler librement, si les défenseurs des droits de l’homme ne sont pas opprimés et, à défaut de pouvoir agir à la place du gouvernement en place, informer au moins la population, les médias et la communauté internationale, dont la pression pourrait avoir un effet réel. Par conséquent, même s’il est évident que la satisfaction et la garantie de non-répétition sont des formes de réparation davantage adaptées à la responsabilité étatique qu’à la compétence de la CPI, ce qui explique leur absence du Statut, quelques mesures parmi celles prônées par les Principes de 2005 semblent pouvoir inspirer la CPI, soit directement soit, dans la plupart des cas, par l’intermédiaire des ONG et des organisations internationales qu’elle peut mobiliser dans son action.