• Aucun résultat trouvé

Les défauts de l’individualisation de la procédure devant la Cour

II- Une procédure problématique

4) L’accès à un soutien temporaire

Les procès peuvent durer longtemps, d’autant plus si les preuves manquent, si l’avancement de la procédure dépend du zèle que mettent certains États à coopérer, et si un accusé peut en amener d’autres, au fur et à mesure que la chaîne de responsabilité est reconstituée. Les victimes ne souffrent pas également de cette attente. Certaines victimes peuvent être de riches propriétaires, ayant perdu par exemple l’une de leurs propriétés durant le conflit, dans des conditions qui relèvent bien de la compétence de la Cour, mais qui de toute évidence n’affectent pas véritablement leur train de vie (c’est la question des victimes « non méritantes » que nous avons examinée tout à l’heure). D’autres, au contraire, sont dans le dénuement le plus total et ont un besoin urgent de recevoir de l’aide. Or, la réparation en tant que telle ne viendra, le cas échéant, que si l’accusé est reconnu coupable. D’ici là, la victime a besoin d’un soutien temporaire. C’est notamment vrai des victimes de violences sexuelles, dont l’état physique peut rapidement se dégrader, surtout si elles sont séropositives comme l’a montré la pratique du TPIR129. La question s’était

d’ailleurs déjà posée au Séminaire de Paris en 1999, où l’on demandait que soit traitée dans le RPP la question de savoir si le Fonds devait « [p]révoir des secours

127 Le formulaire standard de demande de réparations parle quant à lui d’ « une expérience pertinente

de 10 ans » (p. 14).

128 Formulaire standard de demande de réparations devant la Cour pénale internationale réservé aux

personnes physiques et aux personnes agissant en leur nom, p. 15.

d’urgence telle que l’assistance médicale par exemple pour des victimes atteintes du virus du sida ou en état de grossesse à la suite d’un viol »130.

Il y a au moins deux manières d’introduire un traitement différentiel pour tenter de compenser ce déséquilibre, c’est-à-dire faire preuve de discrimination positive. D’une part, nous recommandons d’introduire une priorité dans le traitement des dossiers et surtout dans les paiements, selon différents critères, dont la nature du crime et celle de la victime. C’est notamment ce qu’a fait la UNCC, en adoptant les

Priority of Payment and Payment Mechanism Guiding Principles131. Le Statut n’en dit rien mais la règle 65 du RF le permet. Nous souhaitons que la Cour, et non seulement le Fonds, dispose de cet outil afin de discrimer les demandes, et donner la priorité aux cas les plus urgents.

D’autre part, nous recommandons l’usage des aides provisoires, qui était initialement prévu dans les versions précédentes de la règle 98 du RPP, mais qui a disparu de la version finale : « La Cour peut, à tout moment avant qu’elle ne se soit prononcée sur la réparation, ordonner au Fonds de fournir aux victimes des secours provisoires, comme des soins médicaux ou un suivi psychologique ou autre forme d’assistance humanitaire ». Mais une note de bas de page posait aussitôt un certain nombre de problèmes :

Il faudra préciser les circonstances dans lesquelles la Cour peut ordonner la fourniture de secours provisoires aux victimes. Il faudra peut-être également trouver le moyen d’éviter des conflits entre le Fonds au profit des victimes et le Groupe d’aide aux victimes et aux témoins. Il faudra également examiner les conséquences des mesures provisoires dans les cas où la Cour ne reconnaît pas l’accusé coupable et ne peut donc ordonner une réparation, et voir si le fait de recevoir des secours de ce type peut créer l’apparence d’un préjugé de la part d’un témoin potentiel.132

L’aide provisoire, qui permettrait donc à la Cour, par l’intermédiaire du Fonds, d’apporter un soutien temporaire aux victimes dans le besoin, est une bonne idée qui pourrait avoir de mauvaises conséquences. Le Fonds octroierait des subventions à des victimes présumées de crimes présumés avant même que la condamnation ait été prononcée : il s’agirait donc de fonds préliminaires, intérimaires, et non de

130 Doc. PCNICC/1999/WGRPE/INF/2 (6 juillet 1999), questions identifiées par l’atelier 4, 1b. 131 Doc. off. NU S/AC.26 (17 décembre 1994).

réparations stricto sensu. Cela pose deux difficultés : d’une part, il faut avoir les moyens financiers de couvrir ces dépenses. Or, tout le monde s’accorde pour dire que les maigres ressources du Fonds sont déjà insuffisantes pour les réparations en tant que telles, donc cela pose une question purement pratique de financement. D’autre part, ces dépenses préliminaires auront un impact sur la suite : si l’accusé est reconnu coupable et que la Cour ordonne des réparations, il faudra prendre en compte dans leur détermination les sommes déjà allouées (faudra-t-il purement et simplement les déduire ? Pas forcément, le calcul sera complexe). Et si l’accusé est finalement acquitté, à quel titre aura-t-on effectué ces dépenses préliminaires ?

Par ailleurs, comme le signale la note de bas de page, il y a un risque réel de chevauchement avec l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins (UVT). L’aide aux victimes et aux témoins est en principe une responsabilité du Greffier (règle 16(1)(b) RPP). C’est la raison pour laquelle l’art. 43(6) lui demande de créer « au sein du Greffe, une division d’aide aux victimes et aux témoins » dont le rôle est « de conseiller et d’aider de toute manière appropriée les témoins, les victimes qui comparaissent devant la Cour et les autres personnes auxquelles les dépositions de ces témoins peuvent faire courir un risque ». Cette idée s’inspire explicitement de l’expérience du TPIY133. Il s’agit donc d’un organe de la Cour, financé par la Cour, qui « a pour but de fournir assistance et protection aux témoins et aux victimes qui comparaissent devant la Cour »134. Si le Fonds se mêle lui aussi de la phase antérieure à la condamnation, il empiète alors sur le terrain du Groupe d’aide aux victimes et aux témoins, et leurs rôles respectifs doivent être clairement définis. Il pourrait toutefois ne pas y avoir chevauchement si les victimes des uns ne sont pas celles des autres, ce qui peut être le cas puisque le champ d’application du Fonds est plus large que celui de la Cour.