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question du sens de celui-ci pour le genre humain» (De Charentenay P : 2) Lacan parle de

Lalangue

(Lacan,

Encore

).

L’officier doit donc intégrer cette dimension de la parole, une dimension utilitaire, professionnelle, collective. Le discours militaire est un rite, et a pour fonction de mettre de l’Ordre : d’une part, il ordonne le soldat comme sujet de lui-même et de l’institution, il donne, ou plutôt restitue une place ; d’autre part, il institue le soldat comme fils, d’abord, et l’inscrit donc, dans une généalogie, une différenciation.

L’officier par son discours vient instituer le sujet : il organise la parole et laisse ouverte une question, celle du rapport du militaire au monde, à l’autre, à soi même. Il est l’instigateur d’un travail en profondeur, lent, souvent, de maturation, de positionnement, d’évolution. Il est parfois la seule parole qui est entendue comme bienveillante. Ce discours ne peut être que simple pour être accessible pour tous.

Le discours, un rite contenant

Le discours de l’officier vers le groupe paraît au premier abord abrupt, rude et rudimentaire. Pourtant, il fonctionne parfaitement comme un code. Il ne faut donc pas sous estimer le contenu, ni le processus de construction de ce discours, qui est élaboré ainsi depuis des siècles. L’histoire a montré son opérativité, fruit d’une culture et d’une expérience transmise. Il a un sens et une portée majeurs. Il est auto constructif.

Ainsi, derrière la concrète discipline et obéissance demandées, se construit un processus complexe inconscient, pour le militaire, mais voulu par l’institution militaire, porté par l’officier. L’institution militaire ouvre dans sa parole le chemin de la socialisation. En tant qu’organisatrice de rites, et au travers de son discours, elle accompagne le militaire dans le processus de différenciation vis-à-vis de l’Autre.

Le discours construit et stratégique

Le discours du militaire est élaboré, confectionné, construit, selon des objectifs et des attentes. A la suite de la réflexion traversant tous les chapitres précédents, et à l’instar du Chef d’Escadron Delanoy, l’engagement militaire devrait s’agrémenter d’une réflexion sur le besoin qui conduit à ce métier ainsi que d’une aide à la métabolisation de la réalité de la mort135.

Ainsi, que les militaires aient, ou non, symboliquement « tué » (détachement) la référence paternelle biologique, on peut espérer que leur engagement professionnel soit fondé sur un choix conscient, conscient de la référence parentale majeure dans l’armée, conscient de la recherche de réparation subjective et individuelle. Il s’agirait, en fait de retrouver la source, la causalité et en même temps la finalité de la quête individuelle, sans remettre en cause la réalité de la masse. Dans le processus du langage porté à l’autre, le militaire retrouverait des références parentales, des éléments d’origine et de futur, des possibilités d’explication, et au mieux d’explicitation. Il peut se trouver en tant que sujet.

Il y a donc un espace que la libération de la parole peut aider à s’approprier, et permettre de distancier son vécu, s’en détacher, se l’approprier, le remanier, s’en différencier, en un mot, le métaboliser.

L’officier accèderait à une réflexion et parole libératoires du vécu, du passé, du travail, afin que les conflits puissent prendre une juste place, qui n’envahit pas (névrose). Il s’agit, en fait d’identifier et être à l’aise avec la source, la causalité et en même temps la finalité de la quête individuelle. En connaissant ces éléments d’origine et de futur, l’officier, sujet de lui-même, oscille entre action, explication, explicitation.

Le discours, reconnaissant le sujet

En conclusion, le discours militaire est un outil de management. Il n’enlève en rien, la capacité au langage, donc l’ouverture à l’Autre. Il est la marque d’une appartenance à une communauté sociale, professionnelle et ne réduit pas le militaire à sa profession.

Au contraire, le discours vient ici instituer le militaire comme sujet de son groupe qui existe, persiste, et ne perd pas son langage. C’est ainsi que l’armée est comme

« la main

135 Freud, Essais de psychanalyse, Notre relation à la mort, éditions Payot 2001, 305 pages, page 34

« Nous trouvons encore des hommes qui savent mourir et qui même réussissent à en tuer un autre. Là seulement se trouve réalisée la condition qui pourrait nous permettre de nous réconcilier avec la mort, à savoir : conserver encore, en dépit des vicissitudes de la vie, une vie à l’abri de toute atteinte. Il est en effet triste qu’il en puisse aller de la vie comme du jeu d’échecs, où un coup mal joué, peut nous contraindre à donner la partie pour perdue, à cette différence près qu’il n’y a pour nous aucune possibilité de seconde partie, de revanche. Dans le domaine de la fiction, nous trouvons cette pluralité de vie dont nous avons besoin. Nous mourons en nous identifiant avec tel héros, mais pourtant nous lui survivons et sommes prêts à mourir une seconde fois, toujours sans dommage, avec un autre héros.

Il est évident que la guerre balaie nécessairement cette manière conventionnelle de traiter la mort. La mort ne se laisse plus dénier ; on est forcé de croire en elle. »

de l’ange qui arrête le couteau prêt à égorger Isaac. (…) c’est sans doute un des enjeux

majeurs de l’analyse qu’un sujet puisse répondre par la négation, qu’il puisse vivre de ce qui

l’autorise à dire non. (…) »

. Ce refus, Lacan l’énonce dans son séminaire XX :

« je te

demande de refuser ce que je t’offre parce que ce n’est pas ça ».

Alors, peut s’ouvrir l’espace d’une autre paternité et d’une autre filialité »136, auquel certains sujets vont accéder. Il s’agit d’une épreuve de liberté intérieure.

136 Causse JD., extrait du cours V152PHP7, Concepts fondamentaux de la psychanalyse, les mythes bibliques au regard de la psychanalyse :

2.2.2/ Commander une foule organisée (Freud), l’espace psychique

distancié

Dans les parties précédentes sont exploités les éléments de sociologie et stratégie militaire, afin de mieux comprendre les conditions socio-professionnelles, et psychiques du chef dans son processus d’initiation et de maturation dans le circuit militaire. La question qui se présente maintenant est de réfléchir aux mécanismes psychiques chez l’officier, qui le préserveraient du psychotraumatisme.

L’étude sociologique de l’armée par Mme Léon, montre l’existence d’un microcosme, (les militaires restent entre eux…), relativement endogame. Mais, au-delà d’une identité sociale bien marquée, c’est tout le processus psychique, qui est marqué de cette empreinte militaire : dans la vie privée, publique, l’identité militaire prédomine.

L’armée est bel et bien un rassemblement d’individus. Elle constitue une foule de personnes, de sujets, liés par la profession, et par d’autres processus qui relèvent d’un caractère logistique… généalogique, filial, libidinal… Ainsi, pouvons-nous dire que la structure psychique de la personnalité des militaires est elle-même organisée… par l’armée.

Dans ce chapitre, nous disséquerons la

foule organisée

qu’est l’armée.

La foule

En 1921, dans

Psychologie des masses et analyse du moi

, Freud, centré jusqu’alors sur l’étude du sujet dans son individualité et son rapport à l’objet d’amour primaire (liens narcissiques), étudia le groupe (liens sociaux), et analysa le sujet dans son rapport à la foule, avec toutes les influences qui la traversent. Il cibla particulièrement l’armée et l’église. Il employa alors le terme de

psychologie des masses

.

Freud s’inspira des études de Gustave Le Bon, dont

Psychologie des foules

(1895). Selon ce dernier, au sein du groupe, réuni par des motifs nettement inconscients, le sujet perd son individualité137 (phénomène de désindividuation déjà mentionné dans cette thèse).

Freud jugea la foula

influençable, crédule, sans critique

(Freud, 1921 : 14),

simple,

exubérante, ni doute, ni incertitude, antipathie, haine

(Freud, 1921 : 15). Il proclama qu’

il est

dangereux de se mettre en contradiction avec la foule

(Freud, 1921 : 23), car le sujet dans la

137 Freud, 1921 : 9

« Dans la masse, selon Le Bon, les acquisitions individuelles des hommes pris isolément s’effacent, et par là disparaît leur spécificité ».

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