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Le don est le support d’une réflexion s’ouvrant sur l’amour, la relation à l’Autre, et finalement la relation à soi même et à son propre vécu (parents, enfance, projection sur l’Autre aimé). Toute la problématique est ramenée à la question du sacrifice, du manque, de l’oubli de soi pour l’autre. Ce qui est l’illustration du militaire.

Ce qui intéresse ici, c’est penser l’espace entre le militaire et la communauté militaire, ou la relation de l’officier à l’Autre. Ceci oblige à revenir sur la base relationnelle parentale, l’éducation à la relation, la transmission du lien social. En effet, la première communauté, le premier lien social naît du groupe famille, et se transfère dans le monde professionnel.

Le don, qu’est-ce ?

Dans le langage courant, un don est soit un acte (le fait de donner « gratuitement » quelque chose à un tiers) soit une qualité de l’être ( don138 pour la musique…).

Le don est définitif, contrairement au prêt qui est temporaire. Donner sa vie,

Mourir pour la

patrie

, s’inscrit dans un don de soi irréversible qui permet au militaire décédé d’intégrer la généalogie des héros morts pour la France et d’incarner dans sa désincarnation « offerte » la mythologie (En étant tué, sa mort crée un vide, qui vient remplir la part symbolique du mythe du sauveur).

Le don narcissique

Au premier abord, le don fait appel à l’idéal (aider l’autre, sauver sa patrie par exemple) ; au second abord, on s’aperçoit que le don valorise le donneur. Le don restaure l’estime de soi, ou la représentation sociale de soi. Il résulte souvent d’un profond besoin de reconnaissance (dans l’institution militaire et par conséquence seconde, dans la société civile pour le militaire). Ce type de don, même anonyme, s’élabore souvent dans un processus de réparation : Freud parlait de

noblesse inattendue du névrosé

( Freud,

Totem et tabou

: 106) par le déplacement de pulsion de mort vers un autre, un ailleurs.

L’engagement pour la patrie est une offrande, quitte à se mettre en danger (on retrouve cela dans de nombreux métiers : soignants, pompiers, humanitaires, militaires…). Donner de soi est thérapeutique, réparateur. Il s’agirait d’un narcissisme primaire non satisfait aboutissant à un manque de confiance en soi inconscient, et se manifestant en prenant soin ou en défendant les autres. Ainsi, l’altruisme contribue à restaurer le

Moi « selon le type de narcissisme : ce que

l’on aime soi même, ou ce que l’on a été soi même, ou la personne qui a été une partie du

propre soi, et par étayage : La femme qui nourrit, ou L’homme qui protège »

(Causse : 3) (mère patrie, ou père état).

Le donneur se rapproche du receveur, ou de l’Objet dans lequel il se projette par son acte et dans lequel il s’instille psychiquement. Ce rapprochement s’assimilerait au processus du narcissisme secondaire, qui fait que le sujet investit un ailleurs sensé compléter un manque, c'est-à-dire servir de complément moïque connue dans les scènes primitives. L’officier permet

donc au groupe de se reposer sur un autre que soi, et de se rassurer. Il gagne ainsi en

légitimité mais aussi en solidarité protectrice. Ainsi, le don sauve le donneur. Le don est un processus salvateur. Il soulage, valorise, socialise139, déculpabilise140. Levier plus ou moins maîtrisé, il bénéficie autant au receveur qu’au donneur. Il prévient et soigne le « fautif », il calme la culpabilité surmoïque.

La force du chef serait-elle de transformer la dette évoquée dans les chapitres précédents en don ?

139 Le don est un moteur du lien, inévitable. Il est possible, accessible pour tous. Il est langage universel. 140 « L’agression par la conscience perpétue l’agression par l’autorité » (Freud, Malaise dans la civilisation).

La culpabilité trop forte ou maintenue est source de regain d’agressivité. En effet, dans le processus de culpabilité, le regard punitif des parents a fini par être assimilé et intériorisé par l’enfant, qui se développe avec l’appréhension de ce regard. Il va même être « rongé » et croire à la possible croissance de cette inquisition punitive. Elle va se glisser dans l’individu qui sera toujours en proie au doute : si je n’obéis pas, je suis mauvais, on ne m’aimera plus. L’individu normal essaye de se détacher de cette notion de culpabilité.

Le don, instituant une relation de pouvoir et institué par la relation de pouvoir

Bénéficiant de la référence parentale attendue, le sujet dans l’armée, de même que l’enfant pour ses parents, a devoir d’obéissance, discipline, cohésion au point d’angoisser en dehors de ces injonctions et cadres. Pour exemple, le témoignage d’un soldat blessé qui suite à des fractures vertébrales post atterrissage de parachutage ne put suivre ses collègues en Afghanistan, et crut trahir et abandonner ses frères d’armes partis en mission. Or, de telles émotions, dans un contexte de travail, paraissent disproportionnées, voire incohérentes. La dette ne se raisonne pas dans ce cas : d’évidence, cet homme aurait ralenti le groupe voire l’aurait mis en danger puisque diminué physiquement.

Les systèmes comme l’armée, l’hôpital, bien maillés, auto génèrent historiquement et expérimentalement cette dialectique cohésion/trahison enchevêtrant la psyché dans un métier qui donne l’impression d’être le principe et le centre fondateur de sa vie.

Ainsi, dans certains engagements professionnels, notamment les militaires, le don reçu de l’institution (sécurité, sécurisation, famille d’adoption, référence parentale, formation professionnelle…) induit pour le sujet une dialectique recevabilité/redevabilité qui dépasse, l’engagement professionnel : on retrouve la notion de dette imaginaire et symbolique. Ce mécanisme est auto catalytique et s’auto aggrave.

Donner génère un lien et positionne l’autre en récepteur mais implique toujours une relation de pouvoir plus ou moins consciente : le receveur peut culpabiliser de recevoir (culture catholique européenne…). Dans ce cas, persiste la redevabilité que l’officier saura exploiter à la juste mesure. Il peut être lui-même enchaîné dans ce processus, avec plus ou moins de discernement, de liberté et de sérénité... Il s’agit d’une chaîne à plusieurs maillons.

L’armée entretient la dette imaginaire et symbolique du militaire dont elle se nourrit.

Elle joue sur le conflit de loyauté affective (famille personnelle et le collectif militaire) et le conflit des instances psychiques. Elle fait primer l’intérêt du collectif et de l’institution

sur le sujet et développe la loyauté militaire, permettant au sujet de trouver un soutien

psychique par une identité collective forte (solidarité, cohésion, fraternité…) et une

sécurisation, structuration (repères…). Ce processus de socialisation militaire génèrerait

des risques soit l’élaboration d’un symptôme social par une dépendance psychique du sujet vis-à-vis du groupe, et donc par effet secondaire, le déni du psychotraumatisme par peur pour l’armée de perte de dynamisme, de perte d’officiers, et pour le sujet : de perdre sa place dans le groupe.

Ainsi, grâce à l’institution militaire, l’officier saurait trouver sa place de professionnel, dégagé un certain temps, de la culpabilité individuelle, grâce à son haut degré

2.3.2/ La fonction de substitut paternel, l’espace psychique dissociant

Quel est le contexte du commandement, de sa responsabilité et culpabilité dans le groupe particulier de l’armée ? Comment le commandement peut s’analyser ? Quelles sont les variations des processus psychiques en jeu ? Qu’en est-il du traumatisme pour l’officier ? Trois possibilités persistent :

- Le traumatisme est dénié, car l’homme doit rester un chef, - Le traumatisme est avéré, et l’homme le reconnait,

- Le traumatisme est accepté, et digéré, par un processus de

transformation

(Wilfred Bion141 ). Il est optimisé.

Mais auparavant, comment préparer au traumatisme afin qu’il ait moins de résonnances ultérieures ? L’armée induirait un filet du soutien de la psyché. La stratégie militaire forme et déforme la psyché, d’une part en travaillant sur la personnalité de l’individu (stimuler le respect à l’autorité, maîtriser son sens des responsabilités et temporiser sa culpabilité, son

Surmoi

) et d’autre part en nourrissant des traits de personnalité affectionnant le goût de l’honneur, de l’héroïsme (proposer un

idéal du Moi

auquel se référer).

La fonction paternelle protégerait-elle du psychotraumatisme ?

De la

significativité

de l’officier, selon Freud

Selon Freud, Giuseppe Di Chiara… l’aptitude au lien social du sujet est profondément influencée par quelques

« personnes dont chacune a acquis pour lui une énorme

significativité »

(Freud, 1921 : 6) : la majorité (quantité d’individus du groupe) influerait moins que la qualité des relations (reproductibilité du lien relationnel appris dans la famille, transféré dans le milieu professionnel). Selon Le Bon, le groupe était hypnotisé par l’officier. Le sujet au sein du groupe est en état de

contagion

, et

d’aptitude à la suggestion

(Freud, 1921 : 13). L’officier, modèle hiérarchique, fonctionnel porterait la

significativité

. Son positionnement serait essentiel, pour les individus qu’il dirige, mais… essentiellement subjectif aussi...

L’officier serait respecté, son autorité et ses compétences sont reconnues. Pour la

horde

, le chef est censé traiter tout le monde équitablement, c'est-à-dire que ses choix répondraient à des critères rationnels, moralistes, en laissant de côté tout affect ou sensibilité. Cette croyance, catéchisée par le commandement, en une égalité des frères d’armes serait primordiale pour la

cohésion, la paix sociale donc la survie du groupe. Cela satisfait l’idéal familial dans lequel le père de famille aimerait tous ses enfants de manière égale, et ne ferait pas de différences sentimentales, éducatives… Les masses organisées tiendraient grâce à

l’illusion d’un chef

suprême qui aimerait tout le monde d’un amour égal

(Freud, 1921 : 32). La théorie

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