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particulièrement propre à favoriser l’apparition des névroses étant donné les répressions d’affects imposées par le service » (Ferenczi, 1918 : 124) L’armée entraîne effectivement à

contenir ses émotions, ne rien laisser paraître. Le psychiatre allemand Honigman les nomma en 1907

névroses de guerre

.

La Grande Guerre, terrain d’enquête fondamental des psychanalystes

Pendant la Grande Guerre90, Thomas W. Salmon, psychiatre en chef du corps expéditionnaire

américain développa la psychiatrie de l’Avant pour assurer des soins le plus rapidement possible. Dans ces mouvances psychiatriques, et en accord avec ce principe, les médecins psychanalystes européens partirent en guerre et constituèrent une banque de données cliniques qui développa le traumatisme primaire puis la chaîne traumatique… En effet, des gouvernements successifs, allemands, puis anglais…, ont missionné91 les précurseurs de la psychanalyse pour analyser des troubles liés à la guerre. L’envoi au « front » fut une confrontation à la mort et à la violence. Contrainte à se spécialiser dans la traumatologie, tant sur le plan physique que psychique, la dynamique morbide de guerre apporta un matériel clinique majeur et amena la psychiatrie à utiliser la méthode psychanalytique : les psychanalystes furent interrogés sur la possibilité de travailler auprès des soldats, au plus près

89 Freud validera plus tard en les étayant les théories d’Oppenheim : lors d’un traumatisme, un trouble s’effectuerait dans le cerveau qui aggraverait l’excitation et la fatigue psychique. D’autres médecins parlèrent de troubles endocriniens secondaires au traumatisme ou encore de tissus neurologiques endommagés, par des microhémorragies post traumatisme…

90 Guerre de proximité (baillonnettes, arme blanche au bout du fusil) et de multitudes (gazifications obus, dans les tranchées…). Cette guerre devint la Grande Guerre par une violence, une attente (dans les tranchées) et une quantité de morts et blessés conséquents

des champs de bataille et sur la possibilité de prendre en charge les soldats traumatisés, en dehors du champ de bataille.

La théorie clinique du traumatisme s’améliora ainsi à partir de l’expérience du front. Ces missions de recherches ont permis de rassembler des éléments cliniques et d’inclure les névroses de guerre dans la typologie des névroses traumatiques, les rapprocher des hystéries de conversion, et plus particulièrement les angoisses hystériques. Pourtant, des obstacles se posèrent à l’avancée des recherches. Le corpus médical de l’époque rejeta cette clinique de blessures psychiques. Les psychanalystes eux-mêmes se divisèrent par obédiences. En effet, ils constatèrent des comportements inexplicables et subis par le sujet, emporté et dévasté par ce à quoi il devait faire face. Cette guerre mit en évidence une

« montée en puissance des

atteintes à l’esprit chez les combattants »

(Piketty, 2010 : 14). Mais, alors que les Américains et les Britanniques tinrent quelques comptabilités des séquelles de guerre, la France ne fit aucun relevé précis quantifiable. Cependant, les psychiatres continuèrent à colliger leurs observations permettant de décrire quatre phases cliniques : l’hypnose des batailles (fascination par la violence), le syndrome du vent de l’obus (attente dans les tranchées), l’obusite (« plicatures » par choc émotionnel), et le shell shock (malaises physiques, cauchemars).

Strümpell (1853-1925), professeur en médecine interne et neurologie, reconnut une

problématique psychique mais s’opposa à prodiguer un soin empathique, attitude contre productive qui maintiendrait dans une position de victime. Il préconisa un retour rapide à la vie normale ou, au front. Il suggéra même de supprimer les pensions à ceux qui conservaient leur invalidité « hystérique ». Or, Strümpell, influent, discrédita le névrosé de guerre, qui dès lors, fut traité de simulateur…

Ainsi, certains purs psychiatres induisirent un dénigrement de ces hommes : Hontes aux blessés psychiques, Honneurs aux blessés physiques. L’avenir du blessé excluait l’espoir et la résilience et se limitait à un renvoi au front, ou une hospitalisation et un hospitalisme92.

Dès 1917, neurasthéniques, angoissés, hystériques, furent classifiés

névrosés de

guerre

et parfois même

psychotiques

. Les mentalités restaient causalistes et défaitistes. L’étiologie se nichait dans une vulnérabilité pré-existante du sujet, une prédisposition individuelle à ces blessures psychiques. Ainsi, la névrose de guerre était

« l’apanage des

92 A l’entrée dans la deuxième guerre, de nombreux combattants de la première guerre étaient encore dans les hôpitaux, soit 20 ans après les faits : enfermement, médicalisation, trépanation, micro-électrocution… Après la médicales au nom de l’avancée de la science. Après la guerre, ils vécurent l’enfer des essais cliniques… quelques tortures médicales au nom de l’avancée de la science.

faibles

». Ceci laissait l’espoir que le traumatisme et la névrose traumatique atteignaient les plus faibles, et, enlevaient l’espoir d’une quelconque résilience. Ces constatations cliniques médicales persistaient dans le fatalisme. Intolérances… En témoigne la célèbre gifle du Général George Pattone (1885-1945) qui fut obligé de faire des excuses publiques au soldat souffleté. Pour rappel, l’époque n’était pas complaisante : les individus déserteurs mais bien souvent dévastés, combattants hébétés, ou fuyant, furent maltraités et rejetés jusqu’au 20ème siècle, quand ils n’étaient pas pendus ou fusillés. Quiconque ne se battait pas était une honte et quiconque fuyait était puni.

1.5.2/ Conceptualisations initiales du traumatisme par la psychanalyse

Karl Abraham, psychiatre (1877-1925), missionné par le gouvernement, dès 1915,

créa et géra un établissement psychiatrique pour les soldats dits névropathes. Il classifia le traumatisé de guerre comme fragile et labile, supposant l’existence d’un lien entre le traumatisme et la nature/ou l’origine sexuelle de la névrose (le traumatisme dans son rapport à la sexualité infantile). Il émit l’hypothèse qu’une régression narcissique s’activerait mais serait contenue par le groupe armé. Cette régression s’amplifierait si le sujet traumatisé quittait ce groupe. Il proposa dans son article

Sur les névroses de guerre, Contribution à la

psychanalyse de guerre

en 1919, d’instaurer un temps de soin relationnel mais les limites apparurent bien vite face à la montée en charge du nombre de patients. Il considérait que les psychanalystes étaient les experts les plus à même de traiter les sujets souffrants de névroses traumatiques. Il suggéra alors la création de services réservés aux sujets souffrants de ces pathologies dans lequel la psychanalyse serait le traitement. Ses recommandations ne furent pas appliquées par le régime politique en place.

Karl Abraham et Ferenczi constatèrent une

modification régressive qui va dans le sens du

narcissisme (…) pour une partie des combattants

(Abraham, 1919 : 47) suite au traumatisme. Karl Abraham pensait qu’un même évènement ne génère pas pour tous un vécu traumatique. Chaque évènement et ses conséquences sont contextuels. Il postulait une

pré disposition

individuelle

(Abraham, 1919 : 47). Les sujets les plus atteints de névroses traumatiques seraient ceux, qui avant l’évènement, étaient

limités dans leur puissance sexuelle

(Abraham, 1919 : 49) : la libido des traumatisés serait déjà atteinte93 avant l’évènement, et la guerre aggraverait l’état de ces sujets par des contraintes terribles, la blessure (blesser ou être blessé) ou la mort (tuer ou être tué), alors que le sujet ne serait pas prêt à faire ce type de sacrifice. La névrose de guerre serait donc un refuge face à une demande trop forte émanant de l’extérieur. Ce serait comme une fuite. Abraham finalement, estimait que moins le sujet est apte à un transfert libidinal, plus il est candidat au traumatisme. Plus il rentre dans la névrose traumatique, plus il régresse et s’enferme dans le narcissisme, et moins il est apte au transfert. Le processus de régression fut donc mis en évidence :

« par leur symptômes, ils revivent sans

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