-lavette; je ne m'occupe pas beaucoup de ce petit monde. Mais quejevous racontedonc quelque chose qui va bien vous
diver-tir une histoire de l'Ogre des Iles
Javottc
(luis'était
éloignée pourvoir a distance l'effet de lacoiffure, ne s'aperçut point qu'un tremblement faible agita
tout
à couples paupières de sajeune maîLresse,pendant qu'une nuance de pâleur plus materemontait à son front.S'en fut-elle aperçue, que rien ne lui eût semble plus naturel, car il sunisaitde prononcer le nom terrible du comte Otto Béringhsm, l'Homme de Fer, pour faire pâlir et tremblerles jeunes filles.
C'était le grand épouvantaildes côtes normandes eL bre-tonnes.Le peu de mots que nousen avons dit dans les premiers chapitres de cette histoire, l'ont montré déjà sous ce jour fan-tastique et mystérieux qui grandit héros et coquins au-dessus de la taillehumaine.
Mais nous n'avons pu dire l'innombrable quantité de ver-sions, changeantde lieue en lieue, le long de la côte, qui prê-taient cent figures diverses au même personnage, et le char-geaient d'un fardeau de péchés que n'eussent pu porter cent larges consciences de réprouvés.
Le fond de
tout
celaétait
manifestementune réminiscence des horreurs idiotes et sauvages, révéléesparles récents procès du maréchal de Baiz. L'esprit publicavait
été violemment frappé. On voyait partout des crimes contre nature, des mi-rades que la science des alchimistes promettait toujours pourne les produire jamais.
Chaque forêt
était
alors peuplée d'esprits malfaisants. Le plus clair taillis avait son petit diable qui égratignaitles pas-sants, lorsque sa faiblesse ne lui permettait point de leurLctdrc le cou.
Les épouvantables fêtes du château de Barbe-bleue, les sépulcresvioles, les autels profanés et tachés de sang humain, les caves de Tiffaugcs, pleines d'ossements qui n'avaient pas voulu se changer en or, le grand chêne creux de Pausauges, mutilé d'en haut par le feu céleste, brûlé d'en bas par l'haleine
de l'enfer,le puits de Craon où bouillonnaitl'eau chaude et rouge, enfin ces sombres et magnifiques galeries où l'infâme Florentin Prélaii s'entretenaitavec leroi du mal,
tout
celaavait été consacré pas desdébats publics, suivisd'un arrêt solennel.Et les juges étaient Jean de Malestroit, évoque de Nantes, chancelier de Bretagne, et Pierre de l'Hospital, sénéchal de Rennes, président de Bretagne.
Ces hauts seigneurs, l'un prince de l'Église,
l'autre
à la fois hommed'état et
chef de la magistrature avaient recueilli l'aveu des coupablesen pleine séance de l'othcialité.Et chacun se souvenait de l'échafaud tendu de noir où Gilles de Raiz, le fils du grand comte Brémorde Lavai, était monté,
les mains jointes, la tête rase, les larmes aux yeux.
Des années s'étaient écoutées depuis
lors;
mais les choses sombres et terribles ne s'oublientpas en Bretagne.Les veillées répétèrent le nom maudit de Gilles de Raiz pen-dant bien longtemps, et la poésie, qui est l'âmedeschaumières bretonnes s'empara de !a légende pour la perfectionner, pour l'exagérer, pour la diviser a l'int~ii, et composer avec chacun de ses tronçons un conte à hérisser
ks
cheveux.Le diable a toujours été grandement à la mode chez les bonnes gens de nos côtes de l'ouest. Il était alors plus à la mode que jamais. Chacr
savait
bien qu'il y avait dans les roclies de Pen-Marchdes hommesà longues cheveluresbleues, nourris de l'écume des mers, qui savaient le mot formidable auquel obéit la tempête.Auprèsdes grottesdruidiquesde Sen, parmi les troncs sacrés qui abritaient jadis les prétresses (ceux qui ne croyaient pas pouvaient y aller voir), un Gaulois, plus âgé que le monde, écrasait de son souflle les navires en détresse dans la baie des Trépassés.
Carnac.chaque nuit de Noël,voyaitune pierrede plus grossir l'armée de ses mystérieux f? en/ïtrs. Et vingt-quatre vierges de la ville de Carentoir, égarées dans la forêt de Rieux, ali-gnaient, sous les roseaux de l'Oust, leurs pauvres squelettes, disséqués par la Femme Blanche des Marais, ce gigantesque fantôme, habillé de brouillards qu. plane au-dessus du gouffre de Trémculé.
Pourquoi? Hélas jeunes et vieux pouvaient répondre parce que
tout était
confusion et impiété sur la terre; parce que la sainte croix des paroissesn'avait plus le pouvoirde pro-téger les alentours fIl eût été bien singulier que, dans ce déluge de croyances surnaturelles, les grèves du mont Saint-Miche), si fertiles en malheurs, les côtes brumeuses et ces îles que l'œil devine au loin, par delà Tombelène. restassent sans légende. Aussi en curent-elles plutôt dix qu'une seule, et l'Homme de Fer, l'Ogre des îles, fut comme le
Jupiter
de cette obscure et fan-tasque mythologie.Le comte Otto Béringhcm
était
dans le pays depuis quatre ans. Le motif apparent de sa venue avait été un pèlerinage à la basilique du mont Saint-Michel; mais il n'yétait
entré qu'une fois, armé, visière baissée, et onl'avait
emporté a bras hors de la chapelle où il était tombé dèsl'introït
de la messe, comme si la foudre de Dieu l'eût atteint.Une chose étrange parmi tant de bizarreries, c'est que personne n'avait aperçu jamais le visage du comte Otto. La galerie de son casque, couronné de perler,
était
toujours fer-mée.Les uns prétendaient qu'il était noir comme les sauvages des sources du Nil, les autres disaient que la visière de son casque d'or recouvraitle visage d'un squelette. Les premiers approchaient peut-être davantage de la vérité, car le comte Otto avait toujours à sa suite deux écuyers et quatre servants d'armes qui, tous les six, étaient de race nègre.
Il les habillait de soie blanche brodée d'argent.
Maintenait, comment exprimer cela? le comte Otto
était
triple il y avait en lui l'Homme de Fer, à la barbe bleue, l'ogre et le spectre des légendes allemandes, apportées en Bre-tagne par les pèlerins du Mont. Les gens de la campagne bre-tonne conçoivent et rendent parfaitement ces prodigieuses multiplications de l'être. En thèse générale, leur esprit, saturé de récits merveilleux, n'a besoin d'aucuneffort pour admettre l'impossible. Le comte Otto Béringhem, sous sa
pre-mière espèce, l'Homme de Fer
était
un guerrier armé de toutespièces, monté sur un grand cheval noir, et suivi de six Éthio-piens couleur d'ébène qui portaient des tuniques blanches.
1 .'Ogre des Iles, au contraire,
était
un monstrevelu, courantla nuit, à poiLsur un cheval sauvage,tout
nu, avec une hache dans la main, de la fumée dans les dents, du feu dans le creux de ses yeux.Et pourtant
l'Ogre et l'Homme de Fer étaient bien la même personne, qui se transformait au besoin et prenait une troisième apparence. Celle-ciétait
le rêve germanique un beau jeune homme, pâle comme le linceul des morts, froid, triste, muet, des cheveux noirs soyeux, sur un front d'ivoire, des mains plus blancheset plus efféminées que les mains d'unefille noble, un regard doux, une voix grave et
tendre.
Or, choisissez entre les trois
Et
ne vous étonnez plus s'il y eut un peu d'émotion chez la jolie Berthe de MaureverquandJavotte,
sa chambrière, lui annonça qu'elle allait conter une histoire du comte Otto Bé-ringhem.XV
A LA PLUS BELLE
Javotte
commcnç ainsi cettehistoire qui devaittant
diver-tir Berthe de Maurever
Voilà donc qu'hier,à la brune, on a ferméles portesde la
\Hle, à cause des soudards du roi de France qui campent
là-has, de
l'autre
côtéde Couesnon,au bordde la grève. C'est bon.\Iais il y a des êtres qui passent par les portes fermées, pas vrai?
Et
à propos des soldats du roi de France, j'espère que nous allons en avoir, des fêtes, en veux-tu en voilà1.
Elle s'arrêta pour comptersur ses doigts.
Tenez1 fit-elle, nous avons d'abord l'assemblée (1) de
Pontorson, d'ici et de là du Couesnon Bretagneet Normandie, avec les milliers de pèlerins des grèves, oh 1 mi Jésus1 ce sera beau, par exemple voilà pour une. Nous avons ensuite la '~ranoe cérémonieoù le roi consacrera ses nouveauxchevaliers
de Saint-Michel tournois, joutes, bagues et le
tra
déri dérala 1 Ça fait deux. Vous en serez, si vous voulez; pas moi.
Nous avons enfin la réception de notre seigneur le duc qui va venir en sa bonne ville de Dol avec
toute
la cournantaise.
– Mais ton
histoire, ma fille 1 dit Berthe.–
C'est
vrai,monhistoire.
Ily a donc des êtres quipassent(1) On nomme ainsi les fêtes patronales dans la haute Bretagne.Dans
le Morbihan, le Finistère et les Côtes-du-Nord, ce sor.t les pardons.